Paris : 10 commerces disparus, mémoire du Vieux Paris en 10 anciennes façades préservées

 


Ces 10 commerces disparus ont marqué la ville de leur empreinte. Désormais, ces 10 anciennes façades, et souvent également les décors intérieurs de ces boutiques, appartiennent au petit patrimoine insolite. Le flâneur curieux les découvre en levant la tête, vestiges d’un temps révolu. Façades richement ornées, enseignes potence, devantures peintes au charme désuet racontent l’histoire de la ville, celle des pratiques commerciales, l’évolution démographique. Elles révèlent la personnalité du Vieux Paris, curiosités architecturales cocasses, pastiches, décors de plâtre, de bois, de mosaïque, panneaux de céramique, ornements de bronze. Selon la tradition, les commerces de bouche rivalisent particulièrement d’inventivité. Ces entrepreneurs d’une autre époque confient la conception de leurs établissements, la réalisation de ces devantures à des artisans de talent afin se distinguer des concurrents. A l’origine, l’opulence du décor fait office de réclame, attire la clientèle et affirme la réussite de l’entreprise, sa prospérité. Baroques, extravagantes, les belles façades, les anciennes boutiques traversent les âges tandis que les commerces, les entreprises se succèdent dans les locaux. Parfois le changement de vocation est radical. La boucherie chevaline devient marchand de chaussettes, la boulangerie boutique de prêt-à-porter. Les enseignes de l’agro-alimentaire, et de restauration rapide se laissent aussi tenter par ses devantures classées aux Monuments historiques. Les façades intactes ont conservé leurs particularités et nourrissent la nostalgie. Ces 10 commerces disparus confèrent à la ville un pittoresque unique, une authenticité charmante. Voyage dans le temps.




95 rue Saint Honoré - Paris 1
Métro Louvre Rivoli ligne 1

« À la Renommée des Herbes Cuites », ancienne enseigne XIXème d’un épicier-traiteur au 95 rue Saint Honoré, appartient aux charmants vestiges du Vieux Paris. Devantures de commerces disparus, façades préservées quand les vocations des boutiques ont changé, confèrent à la ville une qualité de nostalgie douce, un pittoresque évocateur. L’immeuble date du début du XIXème siècle. Les Monuments historiques ont classé la façade par arrêté du 23 mai 1984. Jusqu’à la fin du XIXème siècle l’enseigne porte un nom différent « la Renommée des épinards » qui devient « À la Renommée des herbes cuites » au début du XXème siècle. Changement de vocable mais pas de vocation, cette épicerie fait office à la fois de maraîcher, de crémier et de boucher. De nos jours, l'adresse est occupé par un restaurant. 





73 rue Montorgueil / 1 Léopold Bellan - Paris 2
Métro Sentier ligne 3

Du Café Biard de la rue Montorgueil, il ne reste que la façade au décor de mosaïque, lettrage bleu sur fond ocre. L’enseigne disparue a laissé place depuis 2013 à un joli magasin de jouets et de jeux de société, le Joker de Paris, tenu par François Rodon Fores. Cette adresse incontournable pour les amateurs de jeux de société qui proposait grand classiques et trouvailles insolites semble avoir fermé récemment. Le lieu a longtemps abrité une annexe du Parti Socialiste, la section Centre. L'ancienne permanence du 2ème arrondissement accueillait militants du quartier, bénévoles et curieux. Le décor du vieux café préservé derrière le placage de bois bordeaux a réapparu avec le changement de vocation et le nouveau propriétaire. Cette devanture convoque le souvenir de l’ancêtre de nos actuelles chaînes de restauration parisiennes, les Cafés Biard très en vogue au début du XXème siècle. 





10 - 12 rue des Petits Carreaux - Paris 2
Métro Sentier ligne 3

L’enseigne « Au planteur » indique la présence d’un ancien marchand de café implanté vers 1890, au 10/12 rue des Petits Carreaux. Le petit immeuble du XIXème siècle est occupé au rez-de-chaussée par des commerces. Les deux premiers niveaux de la bâtisse sont agrémentés d’un coffrage de bois, façade décorée de colonnettes, feuillages et motifs empruntées au répertoire du XVIIIème siècle. Au premier étage, un panneau de céramique signé Crommer représente une scène pour le moins troublante, voire pour nos yeux contemporains et en absence de cartel explicatif tout à fait outrageante. Les traces de peinture témoignent de la colère que suscite cette enseigne souvent vandalisée. Dans le paysage tropical d’une plantation de café, un homme noir, vêtu d’une simple culotte à rayures, nu-pied et torse-nu, des bracelets d’esclave aux biceps et aux avant-bras, sert une tasse de café à un homme blanc assis sur des sacs, complet blanc et chapeau élégant, pipe à la main. L’évocation directe, naïve dans son manque de malice, des conditions d’exploitation des domaines soulève des questions éthiques. Elle convoque la mémoire de l'esclavage et des colonies. Recontextualisée dans son époque, l’enseigne, inscrite aux Monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984, pourrait devenir l’instrument d’une démarche pédagogique. 





25 rue Danielle Casanova - Paris 2
Métro Opéra lignes 3, 7, 8

Au 25 rue Danielle Casanova, demeure la devanture d’une ancienne laiterie, appellation surannée des crèmeries. Ces commerces proposaient des produits laitiers variés ainsi que des œufs. La composition originale d’inspiration Art déco date des années 1930. La devanture s’élève du rez-de-chaussée à l’entresol. Plaquée sur une façade de marbre, la vieille enseigne en métal forgé annonce beurre œufs laiterie. A l’intérieur, un plafond signé Benoist et fils évoque le travail de cet atelier familial en activité de 1859 à environ 1940. Oeuvre de la troisième génération d’artisans, le décor floral stylisé se distingue par la technique du fixé sous verre, toile peinte encollée protégée par des plaques de verre typique de la maison Benoist et fils. La devanture et le décor intérieur sont inscrits à l’inventaire des monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984. La boutique a connu des destins contrastés en conservant sa particularité. Tour à tour maison de thé, coiffeur pour homme, il semble qu'elle soit promise à une nouvelle vocation. Le 25 rue Danielle Casanova est devenu un café.  





23 rue des Francs-Bourgeois / 21 rue de Sévigné - Paris 4
Métro Saint Paul ligne 1

L’ancienne boulangerie reconvertie en boutique de prêt-à-porter, à l’angle des rues Francs-Bourgeois et de Sévigné, a conservé ses décors de la fin du XIXème siècle et son enseigne, rappel émouvant d’une vocation passée. Les numéros 17, 19 et 21 de la rue de Sévigné, trois immeubles de style Louis-Philippe, ont été édifiés à l’emplacement des jardins de l’hôtel Lamoignon. Les parcelles correspondent à trois lots vendus en 1838 et sur lesquels n’ont pas tardé à croître de nouvelles bâtisses. La création du premier commerce à cet emplacement peut être estimé vers 1850. En devanture de l’ancienne boulangerie, les cinq peintures fixées sous verre représentent des scènes champêtres, moulin, champs de blé, temps des moissons tandis qu’à l’intérieur le plafond s’orne d’un envol d’oiseaux et de bouquets de fleurs. Oeuvres de l’atelier Thivet fondé en 1854, devanture et décor intérieur ont fait l’objet d’une inscription partielle au titre des Monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984. Le plafond de la pâtisserie Stohrer rue Montorgueil et la devanture de la boulangerie du 34 rue Toudic illustrent le talent de la maison Thivet, fort réputée en son temps. 





15 rue Vieille du Temple / 54 rue du Roi de Sicile - Paris 4
Métro Hôtel de Ville lignes 1, 11 ou Saint Paul ligne 1

L’ancienne boucherie chevaline à la croisée des rues Vieille-du-Temple et du Roi-de-Sicile a conservé une remarquable façade en mosaïque. Ce décor rouge, orange et or, à motif de cheval cabré réalisé entre 1930 et 1946 répond au code couleur qui signalait précisément les boucheries chevalines, les distinguant ainsi des boucheries classiques. Le rez-de-chaussée en angle de l’Hôtel de Vibraye est entièrement recouverte de la fresque vermillon, exécutée selon la technique dite du carreau cassé. Le commerce hippophagique a désormais été remplacé par une boutique de chaussettes. L’établissement réformé entretient par la préservation de cette mosaïque le souvenir de l’une des premières boucheries chevalines inaugurée à Paris au milieu du XIXème siècle, à la suite de l’ordonnance en 1866 autorisant l’hippophagie. L’ancien Hôtel de Vibraye, édifié au milieu du XVIIème siècle, entièrement repensé en 1699 et reconstruit au début du XVIIIème siècle a été acquis en 1920 la société du Bazar de l’Hôtel de Ville. Les façades sur rues, sur cour et sur l’ancien jardin, les toitures correspondantes, l’escalier avec sa cage et sa rampe en fer forgé sont inscrits à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 28 avril 1964. Cela inclut donc la fresque annonçant la boucherie chevaline disparue. 





134 rue Mouffetard - Paris 5
Métro Censier-Daubenton ligne 7

La façade du 134 rue Mouffetard se singularise par un pittoresque décor, réalisé dans les années 1930 selon la technique du Sgraffito, héritée de la Renaissance italienne. Biche, sanglier, faisan s’ébattent sur un fond de motifs végétaux, arabesques gracieuses, volutes foisonnantes. La présence incongrue de ce gibier apporte une touche pittoresque au petit immeuble du XVIIème siècle. Entre les fenêtres de l’entresol, quatre cartouches sont ornées de panneaux en tôle représentant des scènes champêtres. Cette façade baroque a longtemps été l’enseigne de la Maison Facchetti, charcuterie-traiteur. Commande du patron à un compatriote italien, le décor est réalisé entre 1929 et 1931 par un maçon dont le nom serait selon les sources « Eldi Gueri » ou « Adigheri ».  Dans la tradition des anciennes enseignes héritées du Moyen-Âge, Facchetti y voit l’occasion de faire sa réclame pour attirer une nouvelle clientèle, tout en affirmant la prospérité du commerce. Rue Mouffetard, l’omniprésence des commerces de bouche poussent les artisans à se démarquer par leur créativité. Situé juste en face du parvis de l’église Saint-Médard où se tient le marché, la façade du 134 rue Mouffetard attire encore l’attention près d’un siècle plus tard. L’établissement Facchetti clôturé le 2 février 2001 a été remplacé par une crèmerie fameuse dans tout Paris et un traiteur italien qui ne dépare pas. 





119 rue Saint-Lazare - Paris 8
Métro Saint Lazare ligne 3, 12, 13, 14

Au 119 rue Saint-Lazare, une maison alsacienne, pastiche imaginé par un restaurateur strasbourgeois à la fin du XIXème siècle, contraste avec les lignes classiques tout en monumentalité des immeubles haussmanniens. Le décor baroque de cette étroite façade fait un pied de nez à l’esthétique Second Empire du quartier. Cette curiosité architecturale abonde dans les détails cocasses, cigogne perchée sur la cheminée d’un toit en pignon, briques et pans de bois, fenêtres à petits carreaux, menus personnages à la mine réjouie. Elle est dotée de surcroît d’une statue ventrue de Gambrinus, bock levé à la santé des passants, le fameux « Roi de la Bière » qui a donné son nom à l’établissement d’origine. Ce personnage issu du folklore des Flandres est devenu l’icône universelle des zytophiles, les amateurs de bière. Situation cocasse pour un bâtiment partiellement classé, l’ancienne brasserie au décor alsacien abrite depuis 1998 une franchise McDonald. Le décalage ne manque pas de piquant.





55 boulevard Haussmann - 35/37 rue Tronchet - Paris 8
Métro Havre-Caumartin lignes 3, 9

Aux Tortues, maison disparue remplacée par la succursale Paul, chaîne de boulangeries, a conservé son ancienne devanture datant de 1910. A l’angle du boulevard biHaussmann et de la rue Tronchet, le site est remarqué par les Monuments historiques, avec une inscription par arrêté du 6 août 1975 suivie d’un classement le 23 mai 1984. La boutique originelle, fondée par Léonidas Garland entre 1861 et 1864, se spécialise dans la vente d’objets en ivoire et en écaille de tortue. Les frères Garland à la tête d’une entreprise d’importation, commercent avec les colonies françaises où ils sélectionnent des artefacts variés. Sous le Second Empire, les élites et les artistes se prennent d’intérêt pour les objets d’inspiration asiatique et africaine - vague du Japonisme, curiosité pour « l’art nègre ». La Maison de l’écaille dite aussi Maison Aux Tortues propose éléments de décoration, brosses, peignes, éventails, nécessaires de voyage et autres accessoires susceptibles de plaire aux élégantes Belle Epoque. La société des frères Garland connaît un essor remarquable. Elle développe une succursale à Vichy et ancre son dépôt à Trouville sous l’enseigne Maison Bataille au 46 rue de Paris. 





92 boulevard Rochechouart - Paris 18
Métro Anvers ligne 2

Au 92 boulevard de Rochechouart, une curieuse maison à colombages rouges a conservé de sa précédente vocation une façade amusante. Parfaite réclame pour les différents restaurant qui l’ont occupées depuis le début du XXème siècle. Un rez-de-chaussée, un étage et des combles habitées, scandent l’élévation modeste. Au centre de la composition, est placée une niche vide formée des deux vis d’un pressoir. Il y a peu de temps encore, s’y trouvait une curieuse statuette de bois, un chevalier en armure, ou peut-être encore Gambrinus, le roi de la bière. Elle semble avoir disparu depuis trois ans (les photographies datent de 2015). Pré-crise sanitaire, la maison abritait un magasin de souvenirs made in China, caractéristiques des lieux trop touristiques de Paris. Fermé depuis, il reste à souhaiter que ce petit patrimoine insolite retrouve une nouvelle vie plus pimpante. 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.