Paris : 119 rue Saint-Lazare, l'ancienne brasserie "Au Roi de la Bière Jacqueminot-Graff" devenue franchise McDonald - VIIIème



Au 119 rue Saint-Lazare, une maison alsacienne, pastiche imaginé par un restaurateur strasbourgeois à la fin du XIXème siècle, contraste avec les lignes classiques tout en monumentalité des immeubles haussmanniens. Le décor baroque de cette étroite façade fait un pied de nez à l’esthétique Second Empire du quartier. Cette curiosité architecturale abonde dans les détails cocasses, cigogne perchée sur la cheminée d’un toit en pignon, briques et pans de bois, fenêtres à petits carreaux, menus personnages à la mine réjouie. Elle est dotée de surcroît d’une statue ventrue de Gambrinus, bock levé à la santé des passants, le fameux « Roi de la Bière » qui a donné son nom à l’établissement d’origine. Ce personnage issu du folklore des Flandres est devenu l’icône universelle des zytophiles, les amateurs de bière. Situation cocasse pour un bâtiment partiellement classé, l’ancienne brasserie au décor alsacien abrite depuis 1998 une franchise McDonald. Le décalage ne manque pas de piquant.







A la suite de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand en 1871, de nombreux Alsaciens s’exilent à Paris. Ils fondent des brasseries où ils perpétuent les traditions gastronomiques de leur région natale.  Zimmer, Frédéric Bofinger, Hansi, Robert Jenny… et Jacqueminot-Graff se font rapidement un nom. Au 119 rue Saint-Lazare, ce dernier engage la construction, en 1892, d’un bâtiment originel sur deux étages, destiné à accueillir son restaurant. Sur une parcelle d’une dizaine de mètres de largeur, l’architecte L. Chausson imagine un édifice aux dimensions modestes. Les trois salles du rez-de-chaussée au décor de staff moulé toujours en place dateraient de cette époque. 

Avec un certain sens moderne de la communication et du marketing, Jacqueminot-Graff envisage d’étendre le style régionaliste intérieur de la brasserie à la façade. L’architecte Paul Marbeau (1843-1907) mène le chantier de transformation en 1894. Le bâtiment surélevé, comporte désormais trois étages carrés plus les combles sous un toit à pignon. La façade revêt un parement de briques et de colombage. Elle est agrémentée d’ornementations variées, telle qu’un blason évoquant celui de la ville de Strasbourg ou une cigogne. Rebaptisée « Au Roi de la Bière Jacqueminot-Graff » la brasserie affiche en grand sa mascotte, Gambrinus. 


1894

1894

1915

1915


La légende raconte que Gambrinus, carillonneur désespéré par une déception amoureuse, choisit de signer un pacte avec le diable. Les graines de houblon offertes en échange de son âme lui permettent de brasser la meilleure bière et d’acquérir une immense réputation, la fortune et l’oubli. Mais au moment de payer son dû au démon, Gambrinus se défile avec astuce. Il s’empare d’un carillon et fait un tel raffut qu’il parvient à le faire fuir. Ainsi il échappe à sa dette. Durant le carnaval, Gambrinus parade désormais parmi les géants à Lille, Armentières, Steenvoorde ou encore Béthune.

Le 8 septembre 1894, la brasserie « Au Roi de la Bière Jacqueminot-Graff » donne son déjeuner d’inauguration. Fréquentée en son temps par Dos Passos, Ezra Pound, Ernest Hemingway, elle ferme définitivement ses portes en 1994. Le bâtiment fait l’objet d’une protection patrimoniale. Façade sur rue et toitures, y compris la cigogne et la statue de Gambrinus ainsi que l’enfilade des trois salles au décor stuqué du rez-de-chaussée sont inscrites aux Monuments historiques par arrêté du 18 novembre 1997.







Le pittoresque établissement est investi par le roi de la restauration rapide américaine en 1998. A cette occasion, la chaîne MacDonald met largement la main à la poche afin de soutenir financièrement la rénovation menée par les Bâtiments de France, un ravalement de façade pointilleux sous la houlette d’un conservateur en chef et d’un architecte en chef.

Ancienne Brasserie Au Roi de la Bière - McDonald Saint-Lazare
119 rue Saint-Lazare - Paris 8



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 8è arrondissement - Philippe Sorel - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme