Paris : Décor d'une ancienne boulangerie au 23 rue des Francs-Bourgeois / 21 rue de Sévigné, le quotidien du patrimoine culturel - IVème

 

L’ancienne boulangerie reconvertie en boutique de prêt-à-porter, à l’angle des rues Francs-Bourgeois et de Sévigné, a conservé ses décors de la fin du XIXème siècle et son enseigne, rappel émouvant d’une vocation passée. Les numéros 17, 19 et 21 de la rue de Sévigné, trois immeubles de style Louis-Philippe, ont été édifiés à l’emplacement des jardins de l’hôtel Lamoignon. Les parcelles correspondent à trois lots vendus en 1838 et sur lesquels n’ont pas tardé à croître de nouvelles bâtisses. La création du premier commerce à cet emplacement peut être estimé vers 1850. En devanture de l’ancienne boulangerie, les cinq peintures fixées sous verre représentent des scènes champêtres, moulin, champs de blé, temps des moissons tandis qu’à l’intérieur le plafond s’orne d’un envol d’oiseaux et de bouquets de fleurs. Oeuvres de l’atelier Thivet fondé en 1854, devanture et décor intérieur ont fait l’objet d’une inscription partielle au titre des Monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984. Le plafond de la pâtisserie Stohrer rue Montorgueil et la devanture de la boulangerie du 34 rue Toudic illustrent le talent de la maison Thivet, fort réputée en son temps. 









Jusqu’au XVIIème siècle, les commerces de bouche disposent de comptoirs sur rue. Les clients n’entrent pas dans les magasins. L’accueil en boutique devient la norme pour les établissements les plus élégants vers 1650. Le décor, moulures, dorures et miroirs, reflète l’opulence de la boutique. A la fin du XVIIIème siècle, au lendemain de la Révolution, l’attention se porte sur les devantures jusqu’alors négligées. L’évolution des techniques ornementales permet d’envisager des formes inédites. 

De 1850 à 1900, les grands travaux d’Haussmann font émerger une ville moderne. Les trottoirs deviennent la norme et les piétons prennent goût à la flânerie. Sous le Second Empire, les commerçants, y compris ceux du quotidien le plus trivial, redoublent de raffinement afin de séduire de nouveaux clients. Ils font appel à des décorateurs pour réaliser de superbes devantures. Parmi les spécialistes renommés, l’atelier fondé par Léon Thivet en 1854 fait figure de précurseur. Besnoit et fils en 1868, Anselm en 1887, Raybaud en 1912 et Panzani, Dailland, Dewever sont parmi les plus réputés.

Cette mode des façades décorées concerne essentiellement les commerces de bouche. Les peintres artisans développent pour ces derniers un répertoire ornemental spécifique, en accord avec la nature des denrées et de la boutique, boulangerie, charcuterie, crèmerie. Ils s’inspirent des peintures rococo du XVIIIème siècle, François Boucher, Jean-Honoré Fragonard, des scènes bucoliques du XIXème siècle Jean-François Millet. La boulangerie, son imaginaire champêtre et son aliment phare le pain, procure des sujets classiques aux artisans qui peignent volontiers le travail des champs. Semeuse, moissonneur et glaneuse en plein labeur, bottes de foin, épis de blé et fleurs que ce soient les coquelicots, les iris ou les bleuets, ils s’attachent à représenter les quatre saisons d’une nature aussi généreuse qu’idéalisée.







Les décors des boutiques parisiennes suivent les tendances et différentes techniques se succèdent dans le cœur des commerçants. Celle du verre églomisé remonte à l’Antiquité. Ces panneaux destinés aux devantures résistent assez bien aux intempéries. Sur une mince feuille d’or fixée sous verre, l’artisan exécute un dessin à la pointe sèche. Ce dernier est préservé et fixé par une deuxième couche ou bien une seconde plaque de verre. Le procédé utilisé tout d’abord sur des médaillons prend de l’ampleur tandis que la technique se perfectionne. Il est appliqué pour des pièces d’envergure, des tableaux entiers de dimension importante. La technique alternative la plus répandue, est la peinture fixée sous verre. Réalisé à l’huile sur toile ordinaire, le décor est, une fois sec, encollé directement sur un panneau de verre.  

Les devantures peintes connaissent leur apogée vers 1900. Les magasins prospères affichent leur réussite et assurent leur publicité par le biais de ces décors. Avec l’évolution des goûts, le déclin se manifeste après la Première Guerre Mondiale. Si pour la boulangerie du 23 rue des Francs-Bourgeois, pains et viennoiseries ont été remplacés par des vêtements, ce patrimoine culturel minuscule demeure un précieux témoignage du quotidien et de la riche histoire parisienne.

Décors sous verre d’une ancienne boulangerie 
23 rue des Francs-Bourgeois / 21 rue de Sévigné - Paris 4



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
L’art du fixé sous verre à Paris, Vitrines du passé - Aline Boutillon - Editions Artena
Paris Décors - Art Nouveau - Art Déco - Dominique Camus - Editions Christine Bonneton 
Le Marais, évolution d’un paysage urbain - Danielle Chadych - Parigramme
Le guide du promeneur 4è arrondissement - Isabelle Brassart et Yvonne Cuvilliers - Parigramme