Paris : 10 hôtels particuliers méconnus, 10 pépites insolites à découvrir au fil de la promenade

 

A Paris, environ quatre-cents hôtels particuliers préservés témoignent de l’histoire de la ville, ses évolutions urbanistiques et démographiques. Vestiges médiévaux et renaissance du quartier Latin, ensemble unique du Marais sauvegardé grâce à la loi André Malraux, demeures aristocratiques du Grand Siècle sur l’Île Saint Louis, résidences bourgeoises de la Belle Epoque du côté de la Plaine Monceau, pépites des quartiers aisés de l’ouest parisien entre Passy et Auteuil, ils symbolisèrent l’opulence de leur commanditaire, ils ont désormais changé de vocation. Transformés, altérés par les initiatives privées, devenus bureaux de prestige, lieux de réception, grands hôtels, ambassades, plus rarement pieds à terre parisiens de richissimes hommes d’affaires étrangers, selon leurs caractéristiques, ils ont pu être acquis par l’Etat et l’Institut de France. Les plus beaux hôtels particuliers ont été transformé en ministères, en bibliothèques ou bien en musées d’envergure, Musée Picasso dans les murs de l'hôtel Salé, Musée Rodin à l'hôtel Biron, Archives Nationales l'hôtel de Soubise. Souvent les donateurs, les artistes eux-mêmes, mais aussi les mécènes, grands collectionneurs du XIXème siècle ont légué leurs collections et leurs demeures particulières : le Musée Nissim de Camondo, le Musée Cernuschi, le Musée Gustave Moreau, le Musée Jacquemart-André. Selon leur intérêt patrimonial, ces bâtiments font l’objet de protections variées, le Graal étant le classement à l’inventaire des Monuments historiques. Survivances du Vieux Paris, préservés de l’appétit des promoteurs immobiliers et de leur obsession de rentabilisation du moindre mètre carré, les hôtels particuliers confèrent un charme unique à la ville. Pourtant peu adaptés à la vie contemporaine, ils n’auraient pu être sauvés sans l’engagement de leurs propriétaires et la passion de certaines associations citoyennes. Florilège, 10 hôtels particuliers méconnus. 





54 rue Vieille du Temple / 42-44 rue des Francs-Bourgeois - Paris 3
Métro Rambuteau ligne 11

De l’ancien Hôtel Hérouet édifié au début du XVIème siècle, dévasté par un bombardement en 1944, entièrement reconstruit dans les années 1970, il ne demeure d’origine que la tourelle d’angle au décor flamboyant. Ce dernier vestige authentique témoigne de l’élégance disparue d’un bâtiment construit à l’initiative de Jean Hérouet - parfois écrit Herouët - seigneur de Carrières, secrétaire en 1497 du duc d’Orléans, futur Louis XII. Contrairement à ce qu’affirment certaines sources, la maison n’a jamais fait partie du lotissement de l’hôtel Barbette ni du parc du cardinal Bertrand. La bâtisse originelle illustre avec panache le foisonnement de l’art ogival, courant qui précède la Renaissance italienne, et que les hôtels de Sens et de Cluny représentent encore dignement à Paris. La Maison Jean Hérouet est édifiée en parements de briques rouges et noires disposées en losanges. La pierre souligne les fenêtres à meneaux, le soubassement et les chaînes. L’édifice possède un certain cachet avec son décor raffiné, ses mansardes percées sous les combles, sa console sculptée et sa tourelle d’angle coiffée d’un toit en poivrière. Ce bel exemple des goûts architecturaux du début du XVIème siècle évoque les fonctions variées des échauguettes. A l’origine, points de surveillance des entrées, postes d’observation, elles offrent dans le Marais des aristocrates, un panorama piquant sur le spectacle de la rue. Les tourelles d’angle en encorbellement abritent souvent des cabinets ou des escaliers à vis. Une ordonnance de 1607 proscrit les surplombs et les saillies proscrits. La tolérance de l’administration cesse avec une seconde ordonnance de 1667 prise au lendemain du grand incendie de Londres. Et l’urbanisme parisien en fut bouleversé.





17 quai d’Anjou - Paris 4
Les visites : Attention ! L’hôtel n’est pas ouvert au public. Il n’est accessible que lors de très ponctuelles visites groupées en compagnie d’un guide conférencier. 
Métro Pont Marie ligne 7

L’hôtel de Lauzun est un l’un des rares hôtels particuliers du XVIIème siècle ayant conservé la richesse de son décor intérieur. Il fait partie de ceux ayant le moins subi de transformation depuis sa construction. Il offre encore de nos jours un témoignage vibrant de la vie des aristocrates du Grand Siècle. Longtemps attribué à Louis Le Vau, de récents travaux ont permis de découvrir le nom de son véritable architecte, Charles Chamois. Edifié pour Charles Gruÿn des Bordes, homme d'affaires enrichi sous Mazarin, il devient en 1682 la propriété du duc de Lauzun, qui n’est alors que comte. Il le cède rapidement en 1685 au marquis de Richelieu. Après la Révolution, l’hôtel de Lauzun divisé, cloisonné, devient, un temps, immeuble de rapport avant d’être acquis en 1850 par Jérôme Pichon (1812-1886). Baron de la noblesse d’Empire, diplomate, collectionneur d’art, bibliophile, il développe une véritable passion pour ce bien unique qu’il transmet à son petit-fils Louis Pichon. Collectionneurs, ils s’appliquent à rétablir la splendeur originelle des appartements d’apparat ce qui explique leur exceptionnel état de préservation. Parfois sous leur férule enthousiaste, l’idée d’un XVIIème siècle fantasmé par le XIXème siècle prend le pas sur la fidélité historique. Propriété de la Ville de Paris depuis 1928, l’hôtel de Lauzun classé au titre des monuments historiques par arrêté du 12 février 1906, abrite depuis 2013, l’Institut d’études avancées de Paris. 




12 rue Sédillot - Paris 7
Métro Alma Marceau ligne 9 ou Ecole Militaire ligne 8

Au 12 rue Sédillot, l’ancien hôtel Monttessuy est devenu en 1949 le lycée italien Leonardo da Vinci. Edifié en 1899 par Jules Lavirotte (1864-1929 ou 1924) pour la comtesse Pauline de Monttessuy (1825-1905), ce bâtiment s’inscrit dans la carrière de l’architecte comme la première réalisation d’envergure embrassant pleinement le style Art Nouveau. La structure classique en pierre de taille s’anime par la fantaisie des lignes. L’asymétrie des trois derniers niveaux marque la recherche d’une esthétique novatrice. L’architecte imagine des mansardes surmontées d’imposants frontons. Le vocabulaire plastique mêle mondes végétal et animal, mascaron à tête féminine, et volutes abstraites des grilles et balustrade dessinées par l’architecte lui-même. L’atelier d’Auguste Dondelinger conçoit les ferronneries tandis que le programme décoratif sculpté est confié à Léon Binet. Le portail à colonnes polychromes traduit une ambition décorative alternative. Les éléments en gré flammé sont signés Alexandre Bigot, collaborateur historique de Jules Lavirotte. Les balustres en fuseaux du balcon filant au deuxième étage sont caractéristiques. Le modèle des piliers des garde-corps sera réemployé pour l’immeuble Lavirotte voisin au 29 avenue Rapp ainsi que pour l’hôtel du 23 avenue de Messine.





48 rue de Courcelles - Paris 8
Métro Courcelles ligne 2

La Maison Loo dresse sa silhouette singulière d’inspiration chinoise en plein cœur d’un quartier à l’esthétique très haussmannienne. Haute demeure de quatre étages, elle est l’héritage architectural légué à la Plaine Monceau par Ching Tsai Loo (1880-1957), marchand et collectionneur d’art asiatique. Lorsque l’homme d’affaires achète la bâtisse originelle en 1922, il s’agit d’un très classique hôtel particulier Napoléon III, établi sur seulement deux niveaux. Monsieur Loo a le sens de la communication et confie la transformation de cet édifice à l’architecte Fernand Bloch (1864-1945). Il souhaite offrir un écrin à ses collections personnelles, faire rayonner son commerce, des galeries spécialisées dans l’art extrême-oriental. La Maison Loo, adaptation libre de l’architecture chinoise, se caractérise par un enduit rouge ocre qui tranche avec panache sur la pierre de taille blonde du quartier. 





15 square Vergennes - Paris 15
Métro Vaugirard ligne 12

Incursion verdoyante au coeur de la ville, le square Vergennes, du nom d'un ministre de Louis XVI, est accessible depuis la très urbaine rue Vaugirard. Entre l'ambassade du Honduras et de coquettes maisons de ville, survivances d'un XVème arrondissement post-moderne, l'impasse dissimule un secret architectural bien gardé. Trésor des lieux, la Maison Barillet a été réalisée par Robert Mallet-Stevens (1886-1945) entre 1931 et 1932 pour son ami Louis Barillet (1880-1948), maître-verrier, peintre, mosaïste. A la fois atelier et appartement, l'esthétique de l'édifice est marqué par sa double fonction, lieu de travail, de production industrielle et domicile. Inscrit au titre des Monuments historiques par arrêté du 7 juin 1993, il a été entièrement rénové au début des années 2000 par un mécène passionné d'Art déco et de modernisme, l'industriel Yves Poulain qui y a inauguré un premier musée dédié aux arts et au design avant qu'il ne devienne en 2014 le musée Mendjisky - Ecoles de Paris. Malheureusement, celui-ci a fermé définitivement ses portes laissant l'avenir de ce beau bâtiment incertain.





60 rue Jean de la Fontaine - Paris 16
Métro Jasmin ligne 9

L’Hôtel Mezzara construit entre 1910 et 1911 par Hector Guimard (1867-1942) pour son ami, l’industriel du textile Paul Mezzara (1866-1918), témoigne d’un assagissement du style Guimard au cours de cette période. Fleuron de l’Art Nouveau, seul bâtiment de l’architecte encore propriété de l’Etat, l’hôtel particulier a été classé en totalité en 2016, avec sa parcelle d'implantation et ses grilles de clôture sur rue. Cette réalisation illustre puissamment la vision de l’architecte et son attention aux détails. En façade, les nombreux éléments sculptés, les motifs végétaux, les volutes embrassent la courbe de l’édifice. La fluidité des lignes rythme le mouvement de la ferronnerie, les arabesques des grilles ouvragées ornées de ronces, les balcons et garde-corps en fonte dessinés par Guimard lui-même. La porte d’entrée ouvragée est caractéristique de l’Art Nouveau. L’Hôtel Mezzara s’articule autour d’une travée centrale décentrée qui marque une volonté d’asymétrie. Les deux corps du bâtiment se rencontrent sur un hall central. A l’intérieur, le vestibule, ancien espace d’exposition, est surmonté d’une verrière colorée véritable puit de lumière, orné d’un vitrail zénithal. L’escalier courbe est remarquable. Internat de jeunes filles de 1953 à 2015, il a, malgré ses fonctions, conservé sa distribution, ses volumes et ses décors d’origine notamment de remarquables ferronneries, corniches en staff, cheminées, vitraux ainsi que le mobilier de la salle à manger, imaginé par Hector Guimard. Un projet de musée initié par le Cercle Guimard, association œuvrant au rayonnement de son héritage artistique, attend financement pour se concrétiser.





6 rue Alfred Roll - Paris 17
Métro Pereire ligne 3

L’Hôtel particulier du 6 rue Alfred Roll se démarque par le foisonnement d’un décor néogothique remarquable. Brique rouge, pierre blanche pour le rez-de-chaussée et les encadrements de fenêtre, bestiaire sculpté, motifs architecturaux garde-corps à remplages de pierre, entrelacs, gâble et crochet, la façade emprunte au répertoire du style troubadour. Les créatures ailées fantastiques, cohorte de chimères, myriade de dragons, marmousets farceurs animent des chapiteaux ouvragés. Edifié, selon le plan local d’urbanisme, à la fin du XIXe siècle, voire 1905 selon d’autres sources, le programme décoratif se réfère à un à un Moyen-Âge fantasmé, une Renaissance idéalisée. Le style troubadour a connu un essor particulier dans la première moitié du XIXème siècle et demeure du goût de certains commanditaires à l’aube du XXème. Cet esprit médiéval puise aux principes du courant néogothique anglais. Ce dernier, apparu dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, va inspirer tout un pan de l’Art Nouveau. La liberté prise avec la réalité historique, projection des aspirations de l’époque, s’inscrit dans la lignée des théories esthétiques de l’architecte Viollet-le-Duc, l’une des dernières figures de ce mouvement. De 1898 à 1914, le concours de façade de la Ville de Paris annuel attise les imaginations. La grande inventivité formelle est soutenue par la diffusion des nouveaux matériaux, à l’instar du béton, qui ouvrent des possibilités inédites. Ainsi l’habillage médiéval de façades préexistantes devient une pratique courante.   





8 rue Eugène Flachat - Paris 17
Métro Pereire ligne 3

Au 8 rue Eugène Flachat, se dresse un délicieux hôtel particulier de style troubadour, édifié en 1881 sous la direction, selon le plan local d’urbanisme, de Gaston Aubry, architecte du service des édifices diocésains à partir de 1888 et adhérent de la société des amis des monuments parisiens de 1885 à 1900. L’année suivante, en 1882, Georges-Louis Bayard serait intervenu pour des travaux complémentaires, auteur également du 24 rue Eugène Flachat. La porte d’entrée est surmontée de deux cartouches, dans l’un desquels une signature gravée indique « Tréhot archte ». Cette mention soulève des doutes sur l’identité du cabinet en charge de l’édification. La bâtisse en pierre blanche, établie sur quatre niveaux, débute par un soubassement percé de soupiraux, et s’achève sur une rangée supplémentaire de lucarnes sous combles. La façade est distribuée sur deux travées asymétriques. A gauche, des colonnettes à chapiteau corinthien subdivisent les trois larges baies rectangulaires superposées dont les linteaux s’appuient sur des chimères variées. A droite la portion plus étroite comprenant la porte d’entrée, s’élève jusqu’à un amusant toit en pointe dans lequel s’ouvre une curieuse meurtrière. Ordonnancement équilibré, le programme décoratif se caractérise par le foisonnement des motifs végétaux. Les lignes déliées et les reliefs des balcons évoquent des fleurs de lys. Cette nature idéalisée se complète d’un bestiaire fantastique, chimères, dragons, et petits personnages cocasses, Adam et Eve, putti joufflus, cohorte qui anime des chapiteaux ouvragés.





22 rue Norvins - Paris 18
Métro Abbesses ligne 12

La Folie Sandrin située au 22 rue Norvins au nord de place du Tertre est un hôtel particulier remarquable qui a hérité son nom de son commanditaire. Au XVIIIème siècle, le sieur Sandrin bourgeois enrichi décide de se faire construire une maison hors de la ville, perchée sur la Butte. La résidence secondaire à la campagne dans le village de Montmartre est le symbole de sa réussite sociale. Entièrement rénovée dans les années 70, la façade de la Folie Sandrin a retrouvé le fronton triangulaire de ses origines qui avait été supprimé au XIXème siècle. Au 24, sur une partie des anciens jardins de la Folie, des pavillons d’artistes connus sous le nom de la Cité des artistes ont été construits par la Ville de Paris. Le projet immobilier des appartements de standing qui occupent la Folie Sandrin ont permis sa réhabilitation complète.





7 impasse Marie-Blanche - Paris 18
Métro Blanche ligne 2

Dans le quartier des Grandes-Carrières, l’ancienne impasse Constance devenue passage Sainte-Marie puis impasse Sainte-Marie-Blanche avant de prendre le nom impasse Marie-Blanche en 1873 est une coquette voie publique animée en ce moment par la construction d’un immeuble qui promet luxe, calme et volupté. A la droite du chantier, une singulière bâtisse passerait presque inaperçue. Il s’agit d’une villa néo-gothique, pseudo-médiévale qui appartenait à l’antiquaire Ernest Eymonaud. L’hôtel particulier a été construit entre 1892 et 1897 par l’architecte Joseph Charles Guirard de Montarnal selon les goûts d’une époque à l’esthétique marquée par les travaux de Viollet-le-Duc. La Maison Eymonaud se caractérise par une tour carrée de deux étages, des fenêtres à meneaux, des poivrières et de riches décors sculptés, singes en bois, gargouilles et personnages d’inspiration médiévale. L’encadrement ciselé de la porte dans un esprit Renaissance reprend cette idée des motifs gothiques. Les ornements évoquent le programme décoratif de l’hôtel de l’Escalopier voisin qui se trouvait au niveau des 13-19 rue Joseph de Maistre, construit en 1835 et démoli en 1882. Les historiens estiment qu’à cette occasion, Ernest Eymonaud a probablement racheté des éléments pour les intégrer à la façade de sa future demeure.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.