Paris : Folie Sandrin à Montmartre, histoire d'une lubie champêtre - 22 rue Norvins - XVIIIème



La Folie Sandrin, au 22 rue Norvins, située au nord de place du Tertre est une bâtisse remarquable qui a hérité son nom de son commanditaire. Le sieur Sandrin bourgeois enrichi décide de se faire construire une maison hors de la ville, perchée sur la Butte. La rue Norvins, désignée au XIème siècle comme « le chemin de charroy qui va de Montmartre à Paris », se nomme de 1468 à 1868 rue Traînée. La signification de cette appellation est sujette à polémique, les historiens avançant plusieurs hypothèses sur la traînée en question « piège à loup » ou « file de maisons ». En 1868, la voie principale du village prend le nom de Jacques Macquet, baron de Montbreton de Norvins (1769-1854) défenseur ardent de l’empereur qui lui consacra un ouvrage, Histoire de Napoléon. Entièrement rénovée dans les années 70, la façade de la Folie Sandrin a retrouvé le fronton triangulaire de ses origines qui avait été supprimé au XIXème siècle. Au 24, sur une partie des anciens jardins de la Folie, des pavillons d’artistes connus sous le nom de la Cité des artistes ont été construits par la Ville de Paris. Si les appartements de standing qui occupent la Folie Sandrin ont permis sa réhabilitation, son histoire ne manque pas de piquant.

Rue Norvins vers la place du Tertre - Montmartre






L’histoire du village de Montmartre remonte à l’époque gallo-romaine. Tout d’abord désigné sous le nom de Mons Mercore, mont de Mercure, puis Mons Martis, mont de Mars et enfin le culte de saint Denis, dont la légende fut inventée vers 835 par Hilduin, abbé de Saint-Denis, éclipsant les croyances païennes, Mons Martyrium à partir du XIème. Au XVIIIème siècle, le hameau relativement isolé est desservi par des chemins non carrossables.

Domaines agricoles et en particulier les vignobles dominent l’activité économique alors que la meunerie et les célèbres moulins à vent prospèrent. Alors que la population modeste s’accroit peu à peu, gentilshommes et bourgeois appréciant les lieux exceptionnels, se font bâtir des maisons de campagne de charme. Au XIXème siècle avec le développement des carrières à ciel ouvert de gypse, dont l’exploitation devient la principale activité industrielle de Montmartre, si une certaine agriculture se maintient notamment la vigne, les terres maraîchères régressent ainsi que les jardins et les bois. C’est l’âge d’or des guinguettes qui s’installent dans les moulins délaissés. En 1860, Montmartre fera partie des communes annexées à Paris.

En 1774,  le sieur Antoine Gabriel Sandrin (parfois orthographié Cendrin), charmé par la vue imprenable sur Paris, achète une vaste propriété au cœur du petit village de Montmartre, en haut de la rue de la Traînée voie principale de l’agglomération. Il y trouve tout l’agrément de la campagne à proximité de la capitale et de la vie économique. Sur cette parcelle se trouve au XVIIIème siècle, Le Palais Bellevue. Le bâtiment principal et les constructions annexes édifiés à la fin du XVIIème, peu au goût du jour, sont rasés pour faire place à une coquette demeure vaste et claire, une folie ou feuillée, maison de campagne sous les arbres.







Lorsque Sandrin revend à un dénommé « Pruneau » marchand de vin résidant à Paris rue d’Orléans-Honoré, l’actuelle rue du Louvre, l’inventaire notarial de l’acte vente datant de 1795, révèle toute l’opulence de cette folie. Un corps de logis de deux étages au toit de tuiles, vingt-sept croisées (fenêtres) au midi et autant au nord, quatre au couchant. Au rez-de-chaussée grand salon de compagnie, boudoir, salle de billard, une cuisine, un office. Au premier étage neuf pièces, huit cheminées ornées de miroirs au second neuf pièces également et des combles formants de vastes greniers. Au total, la demeure possède vingt-quatre pièces et des jardins s’étendant sur un hectare disposés en un jardin d’agrément aménagé dans le goût anglais orné de bosquets, boulingrins, espaliers accoté à un verger et un potager. Les rocailles qui ensauvagent le jardin inspirent les Montmartrois qui surnomment la folie Sandrin, la Maison des rocailles.

En 1805, le marchand de vin qui avait racheté la folie dix ans plus tôt, vend à son tour la propriété au docteur Pierre Antoine Prost, médecin aliéniste disciple de Philippe Pinel qui y établit une maison de santé afin de développer de nouveaux traitements plus humains pour soigner les maladies mentales. Il fait agrandir la maison puis la cède en 1820 à un confrère, le célèbre docteur Esprit Blanche. Celui-ci y accueille nombre d’artistes, la syphilis, l’alcool, l’absinthe en particulier et les tourments de la création dans des conditions miséreuses faisant des ravages.

S’y croisent le poète Lasailly, Antoni Deschamps, traducteur de la Divine Comédie de Dante en français, Claude Barizain dit Monrose,  le doyen de la Comédie Française, Emilie de la Valette. Mais le plus célèbre patient demeure Gérard de Nerval qui y fût interné du 21 mars au 22 novembre 1841. En 1847, la clinique du docteur Blanche déménage dans un hôtel particulier, quai de Passy ayant appartenu à la princesse de Lamballe à deux pas de la maison de Balzac.








Jusqu’en 1875, la folie Sandrin devient une institution de demoiselles de bonne famille tenue par une certaine veuve Matthieu. Par la suite s’y installe, brièvement, la fabrique artisanale de broderies et dentelles d’un Monsieur Gilbert. En 1920, elle est reprise par des religieuses et redevient une école de jeunes filles. Le Cours normal de Montmartre prend la relève de 1950 à 1971. Au début des années 70, des promoteurs rachètent la folie Sandrin, alors en triste état, la restructure et la modernise. Elle est divisée en appartements de luxe. Jean Marais (1913-1998) habite l'un des appartement lors de ses séjours à Paris. 

L’âme de la Butte, lieu d’exception, est marquée par son architecture, immeubles modestes et maisons basses aux toits de tuiles. Le charme préservé de Montmartre, ses nombreux jardins privés, la végétation abondante, ses ruelles pittoresques sont une invitation à la poésie, à la flânerie heureuse, terreau d’une vie artistique intense. Dès le XIXème siècle et tout au long du XXème siècle, peintres, écrivains, musiciens sont pris d’engouement pour ces lieux qui ne cessent de séduire aujourd’hui des millions de touristes chaque année. Laissons les derniers mots à Gérard de Nerval « Rien n’est plus beau que l’aspect de la grande butte quand le soleil éclaire ses terrains d’ocre rouge veinés de plâtre et de glaise, ses roches dénudées et quelques bouquets d’arbres encore touffus, où serpentent des ravins et des sentiers… »

La Folie Sandrin
22 rue Norvins - Paris 18

Bibliographie
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Le guide du promeneur 18ème arrondissement - Daniel Chadych - Dominique Leborgne - Parigramme

Sites référents