Paris : Maison Loo, une pagode chinoise au coeur du quartier haussmannien de la plaine Monceau - VIIIème



La Maison Loo dresse sa silhouette singulière d’inspiration chinoise en plein cœur d’un quartier à l’esthétique très haussmannienne. Haute demeure de quatre étages, elle est l’héritage architectural légué à la Plaine Monceau par Ching Tsai Loo (1880-1957), marchand et collectionneur d’art asiatique. Lorsque l’homme d’affaires achète la bâtisse originelle en 1922, il s’agit d’un très classique hôtel particulier Napoléon III, établi sur seulement deux niveaux. Monsieur Loo qui a le sens de la communication confie la transformation de cet édifice à l’architecte Fernand Bloch (1864-1945). Il souhaite offrir un écrin à ses collections personnelles et faire rayonner son commerce, des galeries spécialisées dans l’art extrême-oriental. La Maison Loo, adaptation libre de l’architecture chinoise, est caractérisée par un enduit rouge ocre qui tranche avec panache sur la pierre de taille blonde du quartier. Toit en épis, avant-toits incurvés relevés en courbes, tuiles vernissées, le riche décor de la façade se complète de corniches moulées, de pilastres et bandeaux richement ornés. Les garde-corps des fenêtres se parent de motifs caractéristiques. Deux colonnes surmontées d’éléments en céramique et de frises gravées encadrent le portail d’entrée en bois précieux. L’intérieur à l’avenant n’est malheureusement pas accessible au public. Administrée par une société privée, Pagoda Paris, la Maison Loo a abandonné ses projets culturels pour embrasser une vocation de salle dédiée aux événements privés. 







Par sa présence incongrue dans un quartier bourgeois au classicisme haussmannien, la Maison Loo nous raconte par-delà les décennies le destin d’un jeune marchand d’art ambitieux, modeste orphelin chinois qui par son entregent, et son absence de scrupules, a construit un puissant empire commercial. Ching Tsai Loo (1880-1957), discret sur ses origines, s’est inventé un passé afin de séduire la bonne société occidentale. Né à Huan Wen, il se prétend le descendant d’une famille d’intellectuels ruinés. A l’âge de dix ans, il perd ses parents et entre au service de la famille Zhang, enrichie dans le commerce de la soie. Attaché au fils aîné, Zhang Jinjiang, il le suit à Paris lorsqu’il est nommé à l’ambassade de Chine en France en 1902.

En parallèle de ses devoirs diplomatiques, Zhang Jinjiang développe des activités commerciales. A la Belle Epoque, les expéditions archéoligiques publiques et privées ont mis le goût chinois est la mode. Zhang établit un magasin de marchandises d’importation place de la Madeleine, la galerie Tongyun, bientôt rebaptisée Ton-ying. Rapidement, la gestion de la boutique est confiée à C.T. Loo où il acquiert une réputation d’expert. En 1908, il ouvre sa propre galerie rue Taitbout, la galerie Laiyuan, « qui vient de loin ». Au cours des années 1910, l’instabilité politique en Chine favorise les affaires. La dynastie Qing abdique en 1912 et les seigneurs de guerre se disputent le pouvoir. Au début du XXème siècle, en Occident, la plupart des institutions muséales et des collectionneurs privés se contentent encore de « chinoiseries » des pièces d’artisanat de piètre qualité, produites uniquement dans l’intention d’être exportées. 







C.T. Loo initie les acheteurs occidentaux à l’art asiatique véritable. Il les instruit et forme leur goût pour les jades et les bronzes archaïques, les fresques bouddhiques, la grande statuaire. Il n’hésite pas pour alimenter le marché qu’il a créé à recourir au pillage des trésors nationaux chinois. C.T. Loo fait appel à des receleurs ou organise lui-même des expéditions dans les temples, les tombes, les palais impériaux. Le commerce d’antiquités orientales rencontre un véritable succès. Le marché florissant lui permet d’ouvrir une succursale à Londres puis une troisième à New York en 1915.

C.T. Loo est impliqué dans la vente aux Etats-Unis de deux stèles remarquables à décor de chevaux, appartenant à l’ensemble « Les six coursiers » du mausolée Zhao, prélevées dans la tombe de Tang Taizong deuxième empereur de la dynastie Tang (618-907). Après la révolution de Xinhaire, en 1912 ou 1913, les six bas-reliefs du mausolée sont volés à Zhaoling. Les autorités de la province du Shaanxi les saisissent et les envoie à Beijing en 1915 à l’instigation président chinois Yuan Shikai. Là, deux bas-reliefs sont revendus par un intermédiaire à au marchand Lu Qinzhai connu dans le monde occidental sous le nom de C. T. Loo. Les quatre derniers bas-reliefs sont confisqués par les autorités locales. Ils sont déposés à la bibliothèque provinciale de Shaanxi jusqu'aux années 1950 date à laquelle ils sont transférés au musée Beilin à Xi'an, où ils se trouvent encore. 

Les deux premiers bas-reliefs volés sont expédiés aux États-Unis quelque temps avant mars 1918. Inestimables, ils sont néanmoins vendus par C.T. Loo à l'University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology pour la somme de 125 000 dollars (environ 2,5 millions de dollars actuels). Un pareil montant donne lieu à une longue tractation qui s’étend de 1918 à 1921. Au final, Eldridge R. Johnson, hommes d’affaires et ingénieur, premier producteur américain de phonographes et de disques phonographiques, finance l’achat et fait don des bas-reliefs au musée. Le commerce de C.T. Loo a enrichi les plus grandes collections publiques et privées, dont le Musée Guimet en France, le Smithsonian à Washington, le MET à New York. 







L’hôtel particulier de la plaine Monceau est acquis en 1925 par le marchand d’art afin d’accueillir ses collections privées, son domicile et un espace de vente. C.T. Loo missionne l’architecte Fernand Bloch afin de métamorphoser le classique hôtel particulier en maison chinoise ce qui éclaire le sens inné du marketing de l’homme d’affaires. Cet écrin est développé sur une originelle de deux niveaux, surélevée pour devenir cette grande pagode à quatre étages. Les façades et toitures, le sol de la parcelle, sont inscrits aux Monuments historiques par arrêté du 9 décembre 2002, modifié par arrêté du 14 mars 2006, ainsi qu’une partie des intérieurs aménagés avec faste. 

Au rez-de-chaussée la salle dite des "cavaliers" déploie une frise à décor de chars. Les deux salons sont agrémentés de plafonds à caissons en staff ornés de dragons chinois. Au premier étage, le palier et les deux salles en laque chinoise du Shansi des XVIIème et XVIIIème siècles composent un ensemble remarquable. Au quatrième étage, la galerie indienne présente des boiseries et des sculptures aux motifs de cavaliers et d’éléphants qui datent du XIXème siècle, somptueux décor provenant d'un temple du Rajasthan. L'ensemble de la cage d'ascenseur et sa cabine en laque et bois, la salle d'exposition au sous-sol sont également inscrits aux Monuments historiques.








A partir de 1948, la galerie parisienne de C.T. Loo est gérée par sa fille, Janine Loo. En Chine, le régime communiste ferme les frontières aux exportations dès 1949. Les nouvelles réglementations internationales d’exportation des antiquités conduisent à la diminution drastique des activités de la famille. Joël Cardosi Loo (1945-2017), le petit-fils, revend la Maison Loo au début des années 2010, à un investisseur privé qui entreprend un vaste chantier de rénovation. Au bout de deux ans de restauration, l’inauguration de ce nouveau musée privée se fait en grande pompe le 12 octobre 2012. Il est administré par une société privée, Pagoda Paris, dont la baronne Jacqueline von Hammerstein-Loxten est la gérante. Cette dernière a de grandes ambitions pour ce lieu mais peu de temps après sa réouverture, la Maison Loo abandonne sa vocation culturelle pour devenir essentiellement une salle dédiée aux événements privés. La bibliothèque de C.T. Loo, un fonds d’archives exceptionnel composé de 1300 livres, 3000 catalogues d’expositions et de ventes, 3000 photos originales d’objets d’art ainsi que la correspondance professionnelle du marchand et de nombreux artefacts rares, y est toujours conservée.  

Maison Loo
48 rue de Courcelles - Paris 8



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du promeneur 8è arrondissement - Philippe Sorel - Parigramme
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme

Sites référents