L’Hôtel particulier du 6 rue Alfred Roll se démarque par le foisonnement d’un décor néogothique remarquable. Brique rouge, pierre blanche pour le rez-de-chaussée et les encadrements de fenêtre, bestiaire sculpté, motifs architecturaux garde-corps à remplages de pierre, entrelacs, gâble et crochet, la façade emprunte au répertoire du style troubadour. Les créatures ailées fantastiques, cohorte de chimères, myriade de dragons, marmousets farceurs animent des chapiteaux ouvragés. Edifié, selon le plan local d’urbanisme, à la fin du XIXe siècle, voire 1905 selon d’autres sources, le programme décoratif se réfère à un à un Moyen-Âge fantasmé, une Renaissance idéalisée. Le style troubadour a connu un essor particulier dans la première moitié du XIXème siècle et demeure du goût de certains commanditaires à l’aube du XXème. Cet esprit médiéval puise aux principes du courant néogothique anglais. Ce dernier, apparu dans le dernier tiers du XVIIIème siècle, va inspirer tout un pan de l’Art Nouveau. La liberté prise avec la réalité historique, projection des aspirations de l’époque, s’inscrit dans la lignée des théories esthétiques de l’architecte Viollet-le-Duc, l’une des dernières figures de ce mouvement. De 1898 à 1914, le concours de façade de la Ville de Paris annuel attise les imaginations. La grande inventivité formelle est soutenue par la diffusion des nouveaux matériaux, à l’instar du béton, qui ouvrent des possibilités inédites. Ainsi l’habillage médiéval de façades préexistantes devient une pratique courante.
Jeanne Hatto dans le rôle de Nedda en 1904 Opéra "Paillasse" de Ruggero Leoncavallo |
L’hôtel particulier au style troubadour est offert vers 1911 par Louis Renault (1877-1944) fondateur de la firme automobile à sa maîtresse, Jeanne Hatto (1879-1958) célèbre cantatrice de l’Opéra de Paris. La mezzo-soprano a fait ses débuts sur la scène de la prestigieuse institution en 1899. Elle s’illustre dès ses plus jeunes années par la qualité de ses interprétations d’un vaste répertoire, Reyer, Saint-Saëns, Gounod, Mozart, Leroux, Wagner. Moderne avant l’heure, en 1901, elle est sollicitée par la société Pathé Céleste Phono Cinéma afin d’enregistrer certains de ses plus grands succès, parmi lesquels l’air « Ô toi qui prolongeas mes jours » extrait de l’opéra « Iphigénie en Tauride » de Gluck.
Jeanne Hatto, l’artiste lyrique coqueluche des cercles intellectuels parisiens, rencontre Louis Renault, l’industriel peu enclin aux mondanités, lors d’un embouteillage de voitures au bois de Boulogne. Sous le charme de cette entrevue fortuite, il fait parvenir chaque jour un bouquet à la cantatrice, mais sans mot signé ni carte de visite. Curiosité piquée au vif, Jeanne Hatto se renseigne directement auprès du fleuriste afin de découvrir le nom de son admirateur secret. Ainsi elle fait le premier pas en lui envoyant ses remerciements.
Louis Renault fait preuve d’un certain esprit pratique lorsqu’il installe sa maîtresse dans son voisinage en 1911. Il réside avec sa famille au 4 rue Parvis de Chavannes. Jeanne Hatto habite entre son hôtel particulier parisien et sa propriété de Roquemaure dans le Gard, également cadeau de Louis Renault. D’une jalousie féroce, proportionnelle à son dévouement et sa générosité, l’industriel promet de l’épouser si elle renonce à sa vocation. Elle refuse. Sans enfant né de leur liaison, ils se quittent en bons termes à la veille de la Première Guerre Mondiale. Les anciens amants entretiennent une complicité sans faille jusqu’à la disparition de Louis Renault. Jeanne Hatto décède dans son hôtel particulier parisien le 26 février 1958.
Hôtel particulier de style troubadour6 rue Alfred Roll - Paris 17
Grammaire des immeubles parisiens - Claude Mignot - Parigramme
Le guide du promeneur 17è arrondissement - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Louis Renault, patron absolu - Gilbert Hatry - Editions Lafourcade
Sites référents
Plan local d’urbanisme
Le site de Louis Renault, une aventure industrielle
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