Paris : Musée Cernuschi, réouverture en couleurs, parcours permanent renouvelé, vénérable institution revivifiée - VIIIème



Le Musée Cernuschi, second musée d’arts asiatiques en France, cinquième musée le plus important concernant les arts chinois en Europe, est réputé dans le monde entier. Ses collections exceptionnelles, particulièrement les bronzes archaïques, les statuettes funéraires des dynasties Han et Wei, les pièces Han et les céramiques des dynasties Tang à Song ont assis un prestige indéniable. A la lisière du parc Monceau, l’institution muséale est nichée dans un hôtel particulier de la fin du XIXème siècle édifié pour Henri Cernuschi (1820-1896). Financier, banquier, patron de presse et collectionneur d’art, cet homme au destin singulier fit don à sa mort de ses trésors et de l’édifice à la Ville de Paris afin qu’y soit constitué un musée à son nom. C'est chose faite en 1898. Depuis, le fond de l'établissement n'a cessé de croître. Au printemps 2019, le Musée Cernuschi avait fermé ses portes afin de se refaire une beauté et de repenser sa muséographie. Après dix mois de travaux, le musée accueille à nouveau le public depuis le 4 mars 2020. Dans une vision d’ensemble renouvelée, le parcours permanent, accessible gratuitement, rend désormais compte des phénomènes culturels transasiatiques de la Chine, à la Corée, au Japon jusqu’au Vietnam. Il souligne les points communs, les échanges artistiques et la diffusion des courants esthétiques tout en illustrant l’importance du rayonnement de la civilisation chinoise dans tout l’Extrême-Orient. Alors qu’en réserve près de 14 350 pièces sommeillent précieusement préservées, des artefacts dont certains n’avaient pas été présentés au public depuis plus de cinquante ans, ont retrouvé une place dans les vitrines. Sur les 650 objets exposés, 430 sont inédits. Il est temps de redécouvrir le Musée Cernuschi dans toute sa splendeur.











Figure originale, républicain convaincu, philanthrope, économiste brillant, Henri Cernuschi (1821-1896) s’est illustre en France comme banquier, patron de presse et collectionneur d’art. Né à Milan, jeune homme il est proche de Garibaldi et de la révolution italienne. A la suite des échecs du Risorgimento, il est contraint de s’exilé en France où il trouve refuge en 1852. Alors qu’il travaille pour la banque Crédit Mobilier, ses connaissances de l’économie et de la finance, lui permettent d’amasser les bases d’une fortune considérable. Mais son engagement politique contre le plébiscite du 8 mai 1870 qui doit valider les réformes constitutionnelles menées depuis 1860 par l’Empereur, lui vaut d’être expulsé. Henri Cernuschi revient à Paris en septembre 1870 au lendemain de la chute de l’Empire. Il participe alors au financement du journal républicain Le Siècle dont le rédacteur en chef, Gustave Chaudet, homme politique et magistrat est un ami. En 1871 lors des évènements de la Commune de Paris, Chaudet est arrêté par les Versaillais. Cernuschi et le critique d’art Théodore Duret (1838-1927) se rendent à la prison de Saint-Pélagie pour tenter de le faire libérer. Le général de Lacretelle, commandant des Versaillais, ordonne que Cernuschi soit saisi et exécuté. Il échappe de peu à cet ordre. Mais quelque peu échaudé, il décide de s’éloigner de cette atmosphère délétère.

Henri Cernuschi se lance dans tour du monde de deux ans en compagnie de Théodore Duret, écrivain, journaliste, collectionneur averti des impressionnistes et des arts asiatiques qui jouera un rôle important dans la diffusion du japonisme en France à la fin du siècle. Le voyage débute lorsqu’ils arrivent au Japon un septembre 1871. Ils y demeurent jusqu’en février 1872. Très tôt au cours de son périple, Henri Cernuschi se porte acquéreur du monumental bouddha Amida dont le piédestal en forme de lotus est gravé des noms des supérieurs des temples de l’école Joido. La statue monumentale haute de 4,40 mètres autour de laquelle les espaces du musée Cernuschi sont articulés est vraisemblablement une oeuvre rescapée de l’incendie du Banryuji, petit temple du quartier de Meguro à Tokyo. Abandonnée à l’air libre, elle est envahie par la végétation lorsque Cernuschi et Duret la découvre. L’oeuvre en bronze réalisée grâce à une technique d’assemblage complexe est démontée afin d’être transportée jusqu’à Paris où les ateliers Barbedienne se chargent de la remonter. Hormis le nimbe plus récent probablement endommagé lors du sinistre, les différents éléments datent du XVIIIème siècle.

Grâce à ses facilités budgétaires, Henri Cernuschi visite le Japon à une époque où les étrangers n’y sont pas encore accueillis. La crise économique qui frappe alors le pays lui permet d’acquérir de nombreux trésors. La révolution des Meiji a ruiné certaines familles aristocratiques qui se voient contraintes de disperser certains objets précieux pour subvenir à leurs besoins. La disette frappe dans les temples d’Yedo et d’Aodale. Les religieux sans ressources vendent les artefacts affectés à leur culte. Henri Cernuschi poursuit son voyage à Ceylan actuel Sri Lanka en Inde et en Chine où il se rend à Shanghai, Beijing, Nankin, Canton, Hong-Kong. Il passe d’une région à l’autre sans s’attarder et demeure rarement plus de trois mois au même endroit. Au cours de son périple, Cernuschi rassemble près de 5000 pièces. Il n’hésite pas à acheter par lots. Au total 900 caisses contenant des bronzes, céramiques, bois laqués, peintures, estampes, photographies seront envoyées en Europe.











A son retour en France en 1873, Henri Cernuschi fonde avec Adrien Delhante et Edmond Joubert la Banque de Paris qui fusionne avec la Banque de Crédit de dépôt des Pays-Bas pour devenir la Banque de Paris et des Pays-Bas, future Paribas puis BNP-Paribas. La même année, une grande exposition orientaliste au Palais de l’Industrie rassemble les plus prestigieuses collections privées d’art extrême-oriental par lesquelles celles de Cernuschi qui imagine déjà léguer l’ensemble des œuvres à la Ville de Paris. L’évènement connaît un succès retentissant.

Les nouvelles fortunes de la finance et de l’industrie se font construire de prestigieuses résidences dans le quartier de la Plaine-Monceau. Depuis des années, elles y rivalisent de luxe autour du parc et les terrains s’y font rares. Cernuschi acquiert rue Vélasquez une parcelle étroite, boudée par les grandes familles car trop modeste, pour y élever un hôtel particulier de célibataire endurci. De 1873-74, l’architecte Willem Bouwens van der Boijen (1834-1907) imagine l’écrin qui accueillera les riches collections asiatiques du banquier, une maison-musée à la fois lieu d’exposition et lieu de vie où se déroulent de grands dîners mondains et des bals masqués. Voisine de Cernuschi, la comédienne Sarah Bernhardt (1844-1923) se trouvant dans un besoin urgent d’argent, propose de lui vendre son tigre dit Tora bois laqué et doré aux yeux incrustés de perles de verre, aujourd’hui l’un des chefs-d’œuvre du musée.

Dès 1875, soucieux de rendre ses collections accessibles au public, il organise des visites privées sur rendez-vous de son hôtel particulier. Gustave Moreau et Emile Zola sont des habitués de la maison. Henri Cernuschi appartient aux cercles qui favorise la diffusion du japonisme en France. Il entretient des liens avec Philippe Burty (1830-1890) critique d'art, dessinateur, lithographe et collectionneur français ainsi qu’avec les frères Goncourt, Edmond de Goncourt (1822-1896) et Jules de Goncourt (1830-1870). Dès leur adolescence, les deux écrivains débutent ensemble une collection. A partir de 1838, ils rassemblent notamment des pièces d'art décoratif du XVIIIe siècle. Dans les années 1860, ils sont pris d’engouement pour les arts asiatiques devenant les chantres expansifs du japonisme.  











A sa mort en 1896, Henri Cernuschi lègue son hôtel particulier et ses collections à la Ville de Paris. Le musée à son nom dédié aux arts d’Extrême-Orient est inauguré en 1898. Le premier conservateur Henri d’Ardenne de Tizac (1877-1932), sinologue et écrivain, sous le pseudonyme de Jean Viollis, oriente les acquisitions vers les hautes époques négligées par Henri Cernuschi.

En 1920, le remarquable vase you en bronze dit La Tigresse de la dynastie Shang, rejoint les collections. Datant du XIIème siècle avant JC, caractérisé par un décor foisonnant, il représente un félin serrant conte son poitrail un petit humain. La Société des Amis du Musée Cernuschi, fondée en 1922, est constituée de mécènes, amateurs d’art et collectionneurs. Elle contribue à l’enrichissement des collections grâce à des dons, des legs, des financements. A partir de 1933, René Grousset (1885-1952), historien spécialiste de l'Asie et membre de l'Académie française, devient conservateur en chef du Musée Cernuschi. Il sollicite l’intervention de l’architecte Pierre Fournier afin d’adapter les espaces de l’institution à la présentation des collections qui ne cessent de se développer. Dans les années 1930, le Musée Cernuschi finance des fouilles en Indochine à la suite desquelles il organise en 1937, une importante exposition dédiée aux bronzes chinois anciens. 

Vadime Elisseeff (1918-2002), historien de l'art spécialiste de l'Extrême-Orient, prend la tête du Musée Cernuschi à partir de 1952. Sous sa direction, est acquis en 1956, le rouleau « Chevaux et palefreniers » l’une des très rares œuvres conservées du peintre du VIIIème siècle Han Kan. Alors que la collection du Musée Cernuschi atteint les 12 000 pièces, de vastes travaux sont menés de 2001/2005 afin de mettre en valeur édifice et corpus. Les surfaces d’exposition sont étendues, les collections redéployées, la circulation fluidifiée. Le parcours permanent s’axe uniquement sur les arts de Chine. 











En 2019, un nouveau chantier de dix mois est lancé. Le Musée Cernuschi rouvre le 4 mars 2020. Il a retrouvé ses éclatantes couleurs originelles, rouge laque de Chine et bleu des porcelaines que la précédente restauration avait éclipsées derrière des beiges et des gris. La scénographie confiée à l’atelier Maciej Fiszer s’attache à mettre en lumière des facettes originales des collections. Le parcours permanent repensé, aéré, pédagogique, se veut désormais plus accessible aux familles. Orienté originellement vers les arts de la Chine, du néolithique à la dynastie Song au XIIIème siècle, il s’ouvre désormais sur la création du Japon, de la Corée, du Vietnam auquel sont dédiées deux vitrines, et s’étend jusqu’au XXIème siècle. 

Le Musée Cernuschi consacre désormais un espace hommage au fondateur Henri Cernuschi. Le parcours chronologique, soutenu par des outils de médiation et des tablettes tactiles, lance des ponts entre le XIVème siècle et le XXIème siècle afin de rendre compte également de la créativité des artistes contemporains comme Zao Wou-Ki, Lee Ungno, Hua TianYou, Ru Xiaofin. Il souligne les liens entre les civilisations d’Asie orientale, la créativité et les savoir-faire à travers les âges. Le Musée Cernuschi affirme son entrée dans l’ère numérique en déployant une application mobile gratuite qui dispensent des informations complètes, éléments de contextualisation, suggestions de parcours.  

La nouvelle salle des peintures sous atmosphère climatisée permet d’exposer des pièces délicates, peintures sur papier, sur soie, éventails et paravents. L’accrochage sera renouvelé quatre fois par an. Un espace particulier sous la mezzanine est dédié à l’art funéraire afin de rassembler figurines, vases, portes de chambre mortuaires. A l’occasion de la fermeture du musée, une campagne de restauration, rendue possible grâce à un financement participatif, a été menée autour d’un ensemble de céramiques rares, œuvres issues de fouilles archéologiques, peu exposées du fait de leur fragilité. Ces pièces exceptionnelles sont désormais à nouveau présentées au public. En tant que musée de la Ville de Paris, les collections permanentes du Musée Cernuschi sont accessibles gratuitement. 

Musée Cernuschi
7 avenue Velasquez - Paris 8
Tél : 01 53 96 21 50
Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h, fermé le lundi et les jours fériés
Tarifs : Parcours collections permanentes gratuit



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.