Paris : Histoire de l'Île Saint Louis, création mouvementée d'un ensemble urbain prestigieux au XVIIème siècle - IVème



L’Île Saint Louis, lieu propice à la flânerie, attire par son atmosphère si singulière amoureux du Vieux Paris, promeneurs et touristes du monde entier. La Maison Berthillon et ses célèbres glaces, les belles librairies, les jolies échoppes et les coquets cafés rivalisent de charme. L’Île Saint Louis, desservie par cinq ponts reconstruits à plusieurs reprises, hormis le Pont Marie seul ouvrage d’origine, offre un passage privilégié entre la rive droite et la rive gauche. Malgré les nombreuses transformations et les destructions du XIXème siècle, ce confetti d’à peine cinq hectares conserve l’un des plus remarquables ensembles d’hôtels particuliers du XVIIème siècle. Préservées, les façades sur les quais présentent un alignement conforme au tracé d’origine. Les ruelles intérieures consacrées dès leur création au commerce et à l’artisanat perpétuent ce souvenir par leur morphologie inchangée. Fruit d’une opération immobilière d’envergure menée entre 1616 et 1660, l’Île Saint Louis témoigne de l’urbanisation parisienne au XVIIème siècle. Elle est alors constituée par la réunion de deux îlots - l’Île Notre Dame dont elle conserve le nom jusqu’au XVIIIème siècle et l’Île aux Vaches - séparés au XIVème siècle par un chenal artificiel. Son histoire contrastée entre gloire, désamour et renaissance s’inscrit dans celle d’un patrimoine parisien à préserver.










En 867, le roi Charles le Chauve offre l’Île Notre Dame, îlot sauvage à fleur d’eau, à Enée, évêque de Paris. Celui-ci décède dans l’année et lègue ses biens au Chapitre de Notre Dame. L’Île Notre Dame est alors reliée à la rive gauche par un pont de bois situé au niveau de notre pont de la Tournelle. Sous le règne de Jean II le Bon, roi de France de 1350 à 1364, en pleine Guerre de Cent Ans (1337-1453) contre les Anglais, l’enceinte défensive de Philippe Auguste autour de Paris est renforcée. Un profond chenal est creusé dans le prolongement de la muraille qui divise l’île en deux entités, à l’ouest l’île Notre-Dame et à l’est l’île aux Vaches. Cette dernière, inhabitée couverte de pâturages, fait parfois office de dépôt d’ordures. L’île Notre Dame, plus active, abrite certains entrepôts des mariniers. Ils partagent ses rives avec les chemins de halage et les pêcheurs. Les lavandières, blanchisseuses, versent une redevance afin d’y étendre leur linge à sécher. 

En 1577, un projet envisage de relier la rive droite et la rive gauche par deux ponts alignés traversant l’île Notre Dame. Sous le règne d’Henri IV (1589-1610), l’Île de la Cité se modernise avec la construction du Pont Neuf et de la place Dauphine. Ce vaste ensemble suscite des vocations. Descendant d’une famille de maîtres maçons réputés dès la fin du XVIème siècle, Christophe Marie (1580-1653) entrepreneur général des Ponts et Chaussées du Royaume de France de 1608 à sa mort, conçoit un projet d’urbanisation pour l’Île Notre Dame. Il s’associe à Lugles Poulletier secrétaire de la chambre du roi et commissaires des guerres et François Le Regrattier trésorier des Cents-Suisses, compagnie d'infanterie d'élite composée de mercenaires suisses au service du roi de France. 











Le 19 avril 1614, sous la régence de Marie de Médicis, Christophe Marie signe un contrat avec la Couronne. Il obtient la jouissance des droits fonciers durant soixante ans en contrepartie de l’urbanisation des deux îlots. Il s’engage à réunir les îles Notre Dame et aux Vaches, combler le bras de Seine artificiel creusé au XIVème siècle. Il est chargé de renforcer les berges en créant des quais maçonnés, rehaussés par rapport au niveau du fleuve. Sa charge inclut également de tracer des rues et d’édifier deux ponts donnant accès à l’île unifiée. L’emplacement du Pont Marie qui porte son nom est fixé par les échevins, les magistrats municipaux, dans l’alignement de la rue des Nonnains d’Hyères.

Afin de financer l’opération, les associés diversifient les sources de revenus sur place. Ils perçoivent un péage perçu au passage des ponts de bois provisoires entre les deux rives de la Seine. Les premières constructions sont dédiées aux commerces et aux cours artisanales. Ils développent un jeu de paume, des établissements de bain, six moulins ainsi que des espaces réservés de pêche. Les entrepreneurs louent les maisons-boutiques du Pont Marie qui débordent sur les quais. L’ouvrage de pierre composé de cinq arches en plein cintre est édifié entre 1614 et 1635. Sa largeur de vingt-cinq mètres permet la construction de deux rangées de vingt-cinq maisons sur le modèle de celles du Pont Notre Dame. Neuf mètres de profondeur, une pièce par étage, elles sont distribuées sur trois niveaux, un rez-de-chaussée, d’une boutique et d’un entresol. En 1658, une redoutable crue de la Seine tourne à la tragédie. Les flots emportent une vingtaine de maisons et leurs habitants. L’usage du pont ne sera rétabli qu’en 1659. Pendant du Pont Marie, le Pont de la Tournelle, achevé en 1656, ne comporte pas de maisons.











L’entreprise des sieurs Marie, Poulletier et Le Regrattier rencontre des difficultés. De 1616 à 1660, les travaux s’éternisent. Les retards se multiplient. Aux divergences entre les associés s’ajoutent les oppositions variées. Les Mariniers font valoir que ces nouveaux ponts sont susceptibles d’entraver la navigation. Le chapitre de Notre Dame craint que les hauts quais augmentent la force des courants et une répercussion sur les rives de l’île de la Cité dépourvues de quais protecteurs. Les chanoines soulèvent le problème des inondations lors des crues et déposent une plainte en justice. L’affaire est réglée par un arrêt du 16 mai 1642 qui dédommage le chapitre de Notre Dame. Les propriétaires de terrains sur l’Île Saint Louis devront verser une somme totale de cinquante mille livres, réunie par une taxe proportionnelle à la taille des parcelles. 

Chargés du lotissement des parcelles, les trois associés favorisent la création d’un ensemble homogène dont l’unité architectural nous est parvenue. Entre 1618 et 1660, le réseau de rues rectilignes est tracé. La rue des Deux Ponts et le pont de la Tournelle sont placés sur l’axe central qui relie les deux rives. La rue Saint Louis en l’Île, parallèle au cours du fleuve, coupe cet axe d’est en ouest. La rue Poulletier est percée sur le tracé de l’ancien fossé comblé. La rue Guillaume, actuelle rue Budé, s’inscrit dans le prolongement du pont de bois provisoire qui de 1618 à 1647 relie l’île à la rive gauche. 

Sur les plus petites parcelles à l’intérieur de l’île, des maisons ouvertes sur des cours artisanales voient le jour le long des deux voies principales, la rue Saint Louis en l’Île et la rue des Deux Ponts. Les commerces destinés aux artisans et aux marchands se complètent d’habitations développées autour de la première chapelle édifiée en 1622/23, pour les contremaîtres et ouvriers engagés dans les travaux. En 1622, François Le Vau frère de Louis établit les plans de l’église à venir. Gabriel Le Duc prend la relève à son décès en 1670. En 1701, une violente tempête endommage l’église dont achèvement et reconstruction partielle sont alors confiés à Jacques Doucet. L’église Saint Louis en l’Île ne sera consacrée qu’en 1726.











A partir de 1638, les parcelles sur les quais attirent des parlementaires, magistrats, financiers, artistes consacrés. La qualité des terrains vierges suscite bientôt l’intérêt des riches familles bourgeoises et des hauts dignitaires puis enfin des seigneurs proches du pouvoir royal qui se réservent les plus prestigieuses parcelles. Ils rivalisent de luxe et font appel aux architectes les plus réputés. Louis le Vau premier architecte du roi de 1654 à 1670 se fait un nom en intervenant sur de nombreux chantiers. Pour l’hôtel de Bretonvilliers édifié de 1637 à 1642 sur la pointe orientale de l’île, Claude Le Ragois de Bretonvilliers (1582-1645), secrétaire au Conseil du Roi Louis XIII et financier fait appel à l’architecte Jean Androuet du Cerceau. Simon Vouet en 1643 et Sébastien Bourdon en 1663 se succèdent pour peindre les décors. 

Au lendemain de la Révolution, les hôtels particuliers des grands seigneurs déchus sont abandonnés, divisés, subdivisés, transformés en meublés de plus en plus modestes. Au XIXème siècle, l’Île Saint Louis, victime du désamour, attise la convoitise des promoteurs immobiliers. A la suite de spéculations lucratives, ils entament de grands travaux qui mènent à de regrettables destructions. La rue Boutarel est percée en 1846. La rue Jean du Bellay ouverte en 1860-62 éventre la pointe ouest de l’île. En 1874 le Pont de Sully qui traverse la pointe orientale la propriété morcelée à la Révolution de l’ancien hôtel de Bretonvilliers, en ruines depuis 1840, n’épargne qu’un modeste pavillon. En 1914, la partie orientale de la rue des Deux Ponts est rasée à l’occasion de son élargissement. 

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’Île Saint Louis séduit à nouveau, artistes, comédiens, chanteurs, hommes politiques. Désormais, elle est le repaire privilégié de familles fortunées et d’investisseurs étrangers sensibles à la valeur du patrimoine. 


Histoire de l’Île Saint Louis

Bibliographie 
Atlas de Paris, évolution d’un paysage urbain - Danielle Chadych et Dominique Leborgne - Parigramme
Le guide du promeneur 4è arrondissement - Isabelle Brassart et Yvonne Cuvillier - Parigramme
Île Saint Louis et Île de la Cité, diagnostic urbain et patrimonial - Atelier parisien d’urbanisme

Les quatre quais de l’Île Saint Louis
- quai d'Anjou, sur la rive droite de l’île entre le pont Sully et le pont Marie
- quai de Bourbon, sur la rive droite, du pont Marie jusqu’à la pointe avale et au pont Saint-Louis
- quai d’Orléans, sur la rive gauche, entre le pont Saint-Louis et le pont de la Tournelle
- quai de Béthune, sur la rive gauche, du pont de la Tournelle au pont Sully

Les voies de l’Île Saint Louis
- rue Saint Louis en l’Île parallèle au cours de la Seine
- boulevard Henri-IV, qui se poursuit entre les deux parties du pont Sully
- rue de Bretonvilliers, entre le quai de Béthune et la rue Saint-Louis-en-l’Île 
- rue Poulletier, entre le quai de Béthune et le quai d’Anjou 
- rue des Deux-Ponts, entre le pont de la Tournelle et le pont Marie 
- rue Budé, entre le quai d’Orléans et la rue Saint-Louis-en-l’Île 
- rue Le Regrattier, entre le quai d’Orléans et le quai de Bourbon 
- rue Boutarel, entre le quai d’Orléans et la rue Saint-Louis-en-l’Île 
- rue Jean-du-Bellay, entre le pont Saint-Louis et le pont Louis-Philippe

- La place Louis Aragon à la pointe nord-ouest 

Les cinq ponts de l’Île Saint Louis
- Pont Saint-Louis depuis l’île de la Cité 
- Pont de la Tournelle depuis la rive gauche 
- Pont de Sully entre la rive gauche et la rive droite, traverse l’île
- Pont Louis-Philippe depuis la rive droite
- Pont Marie depuis la rive droite



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.