L’immeuble Lavirotte au 29 avenue Rapp, exemple frappant du Baroque 1900, érotique et décadent, est l’oeuvre de l’architecte Jules Lavirotte (1864-1929) l’un des maîtres de l’Art Nouveau en France avec Hector Guimard. Auteur d’immeubles aux façades remarquables, il a choisi de bannir les lignes droites, de célébrer les courbes et l’exubérance asymétrique. Ses structures ouvragées, richement ornées, s’illustrent par leurs foisonnants décors de grès flammé imaginés en collaboration avec Alexandre Bigot, le céramiste du Modern’ Style, ainsi que par l’utilisation inédite du béton. Achevé en 1901, le curieux édifice du 29 avenue Rapp, source d’étonnement lors de sa révélation, attire toujours les regards curieux des passants sur le chemin de la Tour Eiffel et du Champ de Mars voisins. L’immeuble Lavirotte, prouesse technique, morceau de bravoure, explore les possibilités plastiques des panneaux de grès flammé dans une débauche de formes et de couleurs. La théorie selon laquelle Alexandre Bigot serait le commanditaire de l’immeuble du 29 avenue Rapp est sujette à controverse. Si certaines sources mentionnent l’idée de promouvoir le travail du grès flammé sous toutes ses formes, les Archives de la ville de Paris conservent la demande de permis de construire du 30 Octobre 1899 déposée par Lavirotte lui-même. Ce document indique en maîtres d’ouvrage, c’est à dire propriétaires de l’immeuble, Jules Lavirotte et Charles Combes, un industriel, associé dans cette affaire de spéculation immobilière. L’architecte serait donc celui qui aurait imaginé de faire valoir ses talents à travers cette construction.
L’immeuble Lavirotte se déploie sur sept niveaux et quatre travées disposées de façon irrégulière. Travée latérale gauche en saillie sur toute sa hauteur, travée droite interrompue au troisième étage, l’asymétrie attire l’œil vers la gauche et la fenêtre ovale qui surplombe le deuxième étage. Cette disposition particulière donne une impression de mouvement. Le soubassement, rez-de-chaussée et premier étage en pierre de taille traditionnelle, s’élève vers la brique des niveaux médians et les tuiles vernissées des deux derniers. A partir du deuxième étage, selon les préceptes techniques préconisés par Cottancin, les cloisons montées en briques armées sont traversées par des fils de fer attachés aux planchers et fixés en façade aux plaques de grès lesquelles munies de rebords sont percées de trous. L’ensemble est colmaté au ciment. La relative minceur de la cloison, vingt-sept centimètres d’épaisseur, est compensée par une seconde en briques armées de six centimètres d’épaisseur et un vide de quinze centimètres qui confèrent au mur salubrité et isolement. Au troisième étage, la loggia à l’italienne se pare d’arcades en cintres surbaissées.
Le grès flammé omniprésent, véritable parti pris esthétique, acquiert une dimension flamboyante dans la surenchère décorative de la façade, association audacieuse de pierre, de brique et de céramique. A l’encontre des principes académiques, les irrégularités bouleversent la symétrie. La palette chromatique se fait luxuriante pour mieux évoquer la nature, motifs végétaux et bestiaire pléthorique. Le décor virtuose de Lavirotte compte notamment deux têtes de bœufs d’un grand réalisme au balcon du troisième étage. La porte est ornée de cygnes, de griffons stylisés et d’une poignée en forme de lézard, synonyme de sexe masculin en argot parisien du début du XXème siècle. Les balcons du rez-de-chaussée disposent de surprenants pieds de bélier en guise de balustres. Les linteaux des fenêtres du rez-de-chaussée liés aux garde-corps de l’entresol reprennent d’étranges formes, scarabées ou selon les interprétations, allégorie du sexe féminin.
Le caractère érotique des différents motifs décoratifs, aussi excentriques qu’il puisse paraître de nos jours, serait bien plus un reflet de la mode, de l’époque qu’une véritable lubie de l’architecte. Le symbolisme Art Nouveau emprunte à l’anatomie humaine, mêlant fascination et répulsion. Le dessin de la porte du 29 avenue Rapp évoque un phallus ainsi que le plan du vestibule et de la cour. La façade dissimule d’autres allusions sexuelles notamment sur les clés des plates-bandes des fenêtres du rez-de-chaussée ainsi que le décor des consoles soutenant le balcon du deuxième étage. La stylisation des ornements prend des voies fantaisistes. L’inattendu décoratif complète les caractéristiques Art Nouveau des éléments architecturaux, fenêtres, balcons, chéneaux, colonnes, bow windows.
Ce foisonnement décoratif inédit est rendu possible grâce à la solidité du revêtement en grès flammé conceptualisé par Alexandre Bigot. La façade du 29 avenue Rapp est la première à Paris à faire l’objet d’un tel déploiement de céramique, une démesure qui se retrouve lors d’une collaboration postérieure entre Lavirotte et Bigot à l’occasion du spectaculaire Ceramic Hotel de l’avenue de Wagram. Les sculpteurs Théobald-Joseph Sporrer, Firmin Michelet, Alfred Jean Halou et Jean-Baptiste Larrivé interviennent afin de compléter le programme décoratif de la façade. Jean-Baptiste Larrivé (1875-1928) est l’auteur notamment de l’encadrement de la porte principale, le couple nu, ainsi que la figure mélancolique de femme, enveloppée dans un renard, qui serait peut-être un portrait de l’épouse de Jules Lavirotte, Jane de Montchenu-Lavirotte, artiste-peintre. Auguste Dondelinger (1876-1940) signe les ferronneries du balcon du troisième étage.
La façade de l’immeuble du 29 avenue Rapp est primée en 1901 au concours des façades de la Ville de Paris (le panneau histoire de Paris indique 1903). Le jury du Concours souligne la prouesse technique, première façade parisienne aux couleurs si vives grâce au grès flammé. Il émet néanmoins quelques réserves : « M. Lavirotte qui l’a construite, y a déployé beaucoup d’ingéniosité, tant au point de vue de la construction que de la décoration ; c’est le premier exemple de l’application de la céramique utilisée pour la construction courante, dans les conditions où elle y est employée, et sur une aussi grande échelle. Il y a plutôt abus, mais cet abus a son excuse dans le programme même qu’il s’était donné de faire de la maison de son client une sorte d’exposition de ses produits. »
Avec un flair certain, Lavirotte abandonne le style Art Nouveau en 1907. Bientôt, l’entre-deux-guerres et le déclin du mouvement seront fatals à Guimard. Façade et toiture de l’immeuble Lavirotte ont fait l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques en 1964. Façades et toitures sur rue et sur cour, hall d'entrée, escalier et cage le seront également par arrêté du 23 octobre 2015. Le bâtiment est labellisé Patrimoine du XXème siècle.
Immeuble Lavirotte
29 avenue Rapp - Paris 7
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme
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