Paris : Hôtel de Lauzun, appartements remarquables du XVIIème siècle, opulence et démesure du Grand Siècle - IVème



L’hôtel de Lauzun est un l’un des rares hôtels particuliers du XVIIème siècle ayant conservé la richesse de son décor intérieur. Il fait partie de ceux ayant le moins subi de transformation depuis sa construction. Il offre encore de nos jours un témoignage vibrant de la vie des aristocrates du Grand Siècle. Longtemps attribué à Louis Le Vau, de récents travaux ont permis de découvrir le nom de son véritable architecte, Charles Chamois. Edifié pour Charles Gruÿn des Bordes, homme d'affaires enrichi sous Mazarin, il devient en 1682 la propriété du duc de Lauzun, qui n’est alors que comte. Il le cède rapidement en 1685 au marquis de Richelieu. Après la Révolution, l’hôtel de Lauzun divisé, cloisonné, devient, un temps, immeuble de rapport avant d’être acquis en 1850 par Jérôme Pichon (1812-1886). Baron de la noblesse d’Empire, diplomate, collectionneur d’art, bibliophile, il développe une véritable passion pour ce bien unique qu’il transmet à son petit-fils Louis Pichon. Collectionneurs, ils s’appliquent à rétablir la splendeur originelle des appartements d’apparat ce qui explique leur exceptionnel état de préservation. Parfois sous leur férule enthousiaste, l’idée d’un XVIIème siècle fantasmé par le XIXème siècle prend le pas sur la fidélité historique. Propriété de la Ville de Paris depuis 1928, l’hôtel de Lauzun classé au titre des monuments historiques par arrêté du 12 février 1906, abrite depuis 2013, l’Institut d’études avancées de Paris. 











L’Ile Saint-Louis est le fruit d’un projet d’urbanisation, la réunion de l’île aux Vaches et de l’île Notre Dame, formulé sous le règne d’Henri IV, puis réellement mis en oeuvre à partir de 1614 sous la régence de Marie de Médicis, mère de Louis XIII. En échange d’un droit sur le lotissement du terrain, Christophe Marie, entrepreneur général des Ponts, est mandaté. Il a pour mission de combler le chenal, de construire des ponts et de renforcer les quais. Pour la mener à bien, il s’associe à deux entrepreneurs, Lugles Poulletier et François Le Regrattier. Dès 1640, séduits par l’emplacement, dignitaires du Parlement, aristocrates font construire de nombreux hôtels particuliers le long des quatre quais de l’île Saint-Louis. L’hôtel de Lauzun fera partie des derniers à être édifié sur les rives de ce qui s’appelle encore le quai d’Anjou dans sa partie orientale, d’Alençon dans sa partie occidentale. 

Charles Gruÿn ou Groïn, fils de Philippe Gruÿn cabaretier de renom, propriétaire de La Pomme de Pin, un célèbre cabaret au bout du pont Notre Dame, fréquenté par Racine, Boileau, La Fontaine, Molière, Sully, Mignard, Chapelle, est un homme d’affaires qui connaît des succès financiers sous Mazarin. Protégé de Fouquet, il obtient des charges auprès du roi, commissaire général des vivres pour la cavalerie légère, fermier général des gabelles. Bourgeois enrichi, il prend le nom de l’une de ses propriétés, Les Bordes, se fait appeler Charles Gruÿn des Bordes et prend pour armes le sanglier. En 1641, il fait l’acquisition d’un terrain sur l’ile Saint Louis. Il envisage d’y faire élever un hôtel particulier. Sous la houlette de l’architecte Charles Chamois, l’édification débute en 1656, car Charles Gruÿn est soudain pressé par une nouvelle union. En 1657, Le sieur des Bordes épouse en secondes noces, Geneviève de Mony, veuve de monsieur de Lanquetot, élégante d’ancienne noblesse. Elle le pousse à hâter les travaux afin d’y établir sa résidence principale. 

La façade sobre, classique annonce l’opulence de la maison par un fastueux balcon en fer forgé doré qui s’avance depuis l’étage noble. La belle cour intérieure richement orné, possède un remarquable cadran solaire, et un beau mur renard, mur en trompe-l’œil destiné à préserver l’effet de symétrie. A milieu du XVIIème siècle, L’hôtel de la marquise de Rambouillet près du Louvre revendique le titre de référence architecturale à Paris. Chamois reprend sa particularité principale en plaçant l’escalier d’apparat sur l’un des côtés de la maison et non plus au centre du bâtiment, afin de libérer l’espace et donner de l’ampleur aux appartements d’apparat. A l’hôtel de Lauzun, quatre pièces en perspective constituent une enfilade spectaculaire où l’effet d’optique est renforcé par un trompe-l’œil ingénieux, la réduction progressive de la taille des chambranles dorés de plus en plus petits à chaque pièce. 

Les peintres Charles Le Brun (1619-1690), Sébastien Bourdon (1616-1671), Pierre Patel (1604-1676) et Eustache Le Sueur (1616-1655) signent les décors de l’hôtel de Lauzun et demeurent dans un état remarquable. Plafonds, boiseries, bas-reliefs, ors, sculptures sont frappés du G des Gruÿn et du M des Mony. En 1661, avec la disgrâce de Nicolas Fouquet, son protecteur, Charles Gruÿn des Bordes est accusé d’enrichissement illégitime, de malversations puis condamné en 1662 à une amende colossale par Colbert. Il inspirera à Molière en 1670 le personnage du Bourgeois Gentilhomme. 








En 1682, l’hôtel du 17 quai d’Anjou est vendu Antonin Nompar de Caumont (1632-1723), marquis de Puyguilhem, comte de Saint Fargeau, comte de Lauzun devenu duc en 1692.  Homme flamboyant, fort en gueule habitué de la Bastille, grand libertin apprécié de Louis XIV, ennemi de la favorite Madame de Montespan, qu’à la suite d’une trahison sournoise, il traite notamment de « pute à chien », Saint Simon le décrit comme « la plus belle jambe du monde, peu de lettres et beaucoup d’esprit ». En 1670, lieutenant-général, il prend le commandement des armées qui accompagnent le roi en Flandre. Cette même année, Lauzun a pour projet d’épouser la Grande Mademoiselle, Anne Marie Louise d’Orléans, Mademoiselle de Montpensier, cousine germaine de Louis XIV. Si le roi consent tout d’abord au mariage, il se ravise trois jours plus tard, sous l’influence de la reine Marie-Thérèse qui y voit une mésalliance, et probablement de Madame de Montespan qui le hait. 

Lauzun fait un scandale, tombe en disgrâce et il est arrêté en 1671. Il est enfermé dix ans à la forteresse de Pignerol. Mademoiselle de Montpensier met sa fortune au service de sa libération et l’obtient contre la promesse de céder au duc du Maine, bâtard légitimé de Louis XIV, le comté d’Eu et la principauté de Dombes. De retour à Paris, le comte de Lauzun achète le 24 août 1682 l’hôtel particulier qui prend alors son nom. Il rattrape alors ses années de réclusion. Il donne libre-court à ses penchants pour la fête, le jeu et les femmes. Durant ce temps, il épouse peut-être en secret la Grande Mademoiselle mais les activités licencieuses de Lauzun actent la séparation entre les deux amants qui est consommée en 1684. Le comte revend l’hôtel particulier à Louis Armand de Vignerot du Plessis, marquis de Richelieu. Plus tard, revenu en grâce auprès du roi, Lauzun devient duc en 1692 puis épouse en 1695, il a soixante-deux ans, une belle-sœur du duc de Saint-Simon, âgée de quinze ans. Il meurt à quatre-dix ans sans descendance en 1723. 

En 1709, le marquis de Richelieu revend l’hôtel de Lauzun à Pierre-François Ogier, grand audiencier de France et receveur général du clergé de France. Le fils de celui-ci le cède en 1764 à René-Louis de Froulay, marquis de Tessé. Ce sont ses petits-enfants, les Saulx-Tavannes qui en héritent en 1769. Le marquis de Lavallée de Pimodan en fait l’acquisition en 1779 et l'occupe jusqu'à la Révolution. A la fin du XVIIIème siècle, propriété de la Ville de Paris, l’hôtel de Lauzun devient un immeuble de rapport. Ses espaces divisés sont loués à des artisans et des particuliers. L’écrivain Roger de Beauvoir y naît en 1806. Il y passe une partie de son enfance mais en garde un souvenir assez triste : « On voyait cet hôtel tout noirci d’une fumée épaisse et nauséabonde qui s’échappait des caves aux larges portes ouvertes sur le quai d’Anjou comme autant de vomitoires ». Jacques Hillairet semble nous indiquer la présence d’un artisanat susceptible de générer de fortes nuisances : « C’était l’hôtel des Teinturiers aux carreaux cassées, aux escaliers disjoints, à la toiture rapiécée et où, à l’intérieur, les beaux lambris et les panneaux décoratifs avaient été recouverts d’un épais badigeon où les taches et les souillures ne manquaient pas. »












Dans les années 1850, le Baron Jérôme Pichon (1812-1886) issu de la noblesse d’Empire, diplomate, collectionneur d’art, bibliophile et Président de la Société de l’histoire de Paris et d’Ile de France prend d’une passion dévorante pour l’hôtel de Lauzun. Il en entame la restauration sur ses propres fonds. L’hôtel est ouvert au monde littéraire, les combles louées à des artistes tels que Charles Baudelaire et Théophile Gautier. Locataire de 1845 à 1847, le peintre Joseph Ferdinand Boissard de Boisdenier y organise des soirées musicales. Il fonde le fameux Club des Haschischins sous la direction du Dr Jacques Joseph Moreau auquel participent Baudelaire, Théophile Gautier, Barbey d’Aurevilly, Boissard, Meissonier, Delacroix, Daumier, Balzac. Mais le tapage indispose très vite le voisinage et Jérôme Pichon se sépare des locataires artistes. Acheté à la famille Pichon par la Ville de Paris en 1899, revendu toujours au Pichon en 1905, de nouveau acquis par la Mairie en 1928, l’hôtel de Lauzun devient un lieu de réception. Louis Pichon, petit-fils de Jérôme, obtient que l’hôtel de Lauzun soit classé aux Monuments historiques par arrêté du 12 février 1906. 

De nos jours, la remarquable unité stylistique de l’hôtel de Lauzun perdure. L’escalier d’honneur monumental à la française, inspiré des escaliers italiens de la Renaissance, suspendu aux murs latéraux et non à un pilier central, donne accès à l’étage noble. Il a été reconstruit en 1948-49 à l’emplacement originel dans la cage qui avait conservé son décor, notamment des statues d’Apollon et Minerve et un plafond aux figures allégoriques, le Temps dévoilant la Vérité, attribué à Michel Dorigny élève de Simon Vouet.

Au premier étage, plafond à la française poutres et solives peintes, tendue de drapés rouge, la salle des gardes, qui n’a jamais vu de gardes, doit son allure presque médiévale à la reconstitution assez peu authentique imaginée par Jérôme Pichon. Elle ouvre vers un petit cabinet aux lambris remarquables, décor d’une incroyable richesse, symbole de puissance. La préciosité de ces boiseries évoque un changement majeur dans la vie de la noblesse au XVIIème siècle, la sédentarité de la cour et des aristocrates. Bibliothèque, cabinet de travail voire cabinet de curiosités, sa fonction exacte ne nous est pas parvenue. Les dix volets d’armoires somptueusement décorés évoquent la mode studiolo, introduite en France par Catherine et Marie de Médicis. Les murs entièrement lambrissés dissimulent des portes dérobées par lesquelles circulaient les domestiques, depuis l’escalier de service qui monte jusqu’aux combles. 














A l’étage noble, quatre pièces se succèdent en enfilade, antichambre, chambre d’apparat dite salon de musique, chambre à alcôve, boudoir. L’hôtel de Lauzun offre l’expérience quasiment unique à Paris d’un décor préservé, illustration puissante de la richesse des hôtels particuliers du Grand Siècle. La perspective joue sur un effet d’optique qui offre un sentiment de monumentalité, très petit Versailles en plein cœur de Paris. L’ensemble de l’appartement d’apparat ne mesurant que 100m2, les astuces du décor procurent cette impression d’ampleur, d’espace, de profondeur. Les panneaux à compartiments avec cadres enrichis d’éléments décoratifs d’inspiration variée sont l’oeuvre des plus grands artistes du XVIIème siècle, Charles Le Brun, Sébastien Bourdon, Jean-Baptiste Monnoyer, Pierre Patel, Michel Anguier, Michel Doriginy et auxquels s’ajoutent sous l’impulsion de Jérôme Pichon des tableaux de Pierre Mignard (1612-1695) et d’Hubert Robert (1733-1808). 

La chambre de parade, dit plus tard salon de musique, était une pièce de réception où il était question d’éblouir les visiteurs. Les voussures à l’italienne très à la mode sous la régence d’Anne d’Autriche se complètent de pans incurvés abondamment ornés. Le plafond, Triomphe de Vénus est attribué à Le Brun. Le médaillon central de l’alcôve de la chambre de parade allégorie de la Lumière date de la même époque. Le lit de parade disparaît au XVIIIème siècle, alors que le salon de compagnie fait son apparition dans les nobles demeures. Après la révolution, l’hôtel de Lauzun devenu immeuble de rapport, cette grande chambre est cloisonnée et entresolée. En 1907, Louis Pichon modifie la structure de cette pièce, fait sauter les cloisons. Au niveau de l’entresol est créée une loggia à laquelle sont ajoutées deux balcons pour y installer l’orchestre lors des événements mondains.













La progression à travers les cabinets indique aux visiteurs leur degré d’intimité avec les propriétaires. On se retire dans des pièces plus petites, propices au secret mais aussi à la contemplation des œuvres. Tout au bout de l’enfilade dorée des salons, au bout de l’appartement, le boudoir de Daphnis et Chloé apparaît comme un point d’orgue, accessible uniquement aux relations les plus privées. Au plafond, l’allégorie du printemps, Flore et Zéphyr en médaillon, répond à l’exubérance des panneaux muraux, festons de fleurs, amours, satyres et nymphes. 

Hôtel de Lauzun
17 quai d’Anjou - Paris 4
Les visites : Attention ! L’hôtel n’est pas ouvert au public. Il n’est accessible que lors de très ponctuelles visites groupées en compagnie d’un guide conférencier. Sur le site Billet Réduc les réservations pour les différentes visites sont consultables ici



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 4è arrondissement - Isabelle Brassart et Yvonne Cuvillier - Parigramme
Paris secret - Le Figaro hors-série - Article Une journée chez le Bourgeois gentilhomme - Isabelle Schmitz

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