Paris : Les 10 oeuvres d'art contemporain les plus colorées mais pas les moins controversées

 


Urbanisme, patrimoine, architecture, les œuvres d’art public à la croisée des genres placent la création au cœur de Paris. La municipalité mène une politique de commande d’œuvres d’art destinées aux espaces publics très active notamment dans le cadre du 1% artistique, 1% du budget des opérations de développement des équipements et de l’aménagement urbain devant être consacré à la création artistique. Ce dispositif a pour vocation de soutenir les artistes mécénat, développer les collections publiques, ouvrir le musée sur la ville et démocratiser l’art contemporain.

Déhiérarchisant les pratiques, les œuvres dépassent le stade de la statuaire classique pour s’inscrire dans la diversité des propositions, installations, jeux visuels, lumineux, sonores, synesthésie variée. Elles revivifient le dialogue dans l’espace public, provoquent, susciter le commentaire, ne serait-ce que le jugement de goût. Les récentes controverses au sujet du bouquet de tulipes de Jeff Koons ou bien l’hommage à Johnny Hallyday de Bertrand Lavier, deux artistes fleurons des collections de Bernard Arnault et François Pinault, interrogent la pertinence de l’art contemporain dans l’espace public. 

Les polémiques invitent à décrypter le discours officiel. Les œuvres d’art contemporain commandées par la Ville sont projetées en prise directe avec le quotidien, sans filtre à la rencontre d’un public de non-initiés, pas toujours attentif. Souvent implantées dans les quartiers les plus modestes, ces installations sont à peine remarquées par les passants emportés par le rythme du sempiternel métro boulot dodo. Poésie fugace ou violence de l’esthétique imposée par les édiles, les décisionnaires et donc domination culturelle. Espace public marqué par le goût des élites, lutte des classes, financiarisation de l'art ?

L’art public, ensemble de dispositifs symboliques, a pour vocation de redonner du sens à l’espace de la collectivité. Les œuvres, outils de médiation, interrogent les contradictions sociales et politiques, l’organisation de la vie citoyenne. Controverses et suspicion de déconnexion avec la réalité viennent souligner les paradoxes de la politique des arts et l’art de la politique. La rédaction a sélectionné les 10 œuvres d’art public les plus colorées.




Place Edmond Michelet - Paris 4
Métro Rambuteau ligne 11 ou Hôtel de Ville lignes 1, 11

"Renzo Piano & Richard Rogers", oeuvre double de Xavier Veilhan, a été inaugurée le 19 octobre 2017 place Edmond Michelet. Cet ensemble indissociable, installé en face du Centre Pompidou à l’occasion des quarante ans de l’établissement culturel, rend hommage aux deux architectes du projet en les confrontant à leur création. « Le Centre Pompidou a inauguré un nouveau type de musée au travers d’un bâtiment magistral. J’en ai célébré les auteurs dans l’Allée des Architectes lors de mon exposition au Château de Versailles, mais Renzo Piano et Richard Rogers se devaient d’être aussi présents devant leur réalisation la plus emblématique » explique Xavier Veilhan. Au cœur de Paris, les deux architectes sont devenus œuvres à leur tour.




Jardin des Champs-Elysées - Arrière du Petit Palais - Paris 8
Métro Champs Elysées Clemenceau lignes 1, 13

« Bouquet of tulips » de Jeff Koons, oeuvre monumentale commémorative, réaffirme l’amitié franco-américaine en rendant hommage aux victimes des attentats de 2015. Inaugurée officiellement le 4 octobre 2019 en préambule à la Nuit Blanche, elle a été installée de façon pérenne dans les jardins des Champs-Elysées, derrière le Petit Palais, après de nombreuses polémiques au sujet notamment de son emplacement. A deux pas du Pavillon Ledoyen, cette étrange attraction n’incite pas exactement au recueillement tant la controverse a été vive. A la suite des attaques terroristes, Jane Hartley, alors ambassadrice des Etats-Unis en France, sollicite le plasticien américain le plus coté au monde, Jeff Koons, afin qu’il se penche sur un projet dédié aux victimes. Symbole d’amitié entre les deux peuples, la réalisation se veut emblématique. Mais si l’artiste fait don des plans à la Ville de Paris, les frais de réalisation et d’installation sont alors estimés à 3,5 millions d’euros qu’il reste à financer. Ce sera donc le mécénat privé. Cadeau empoisonné, les tulipes dédiées à Paris sont qualifiées de fleurs de la discorde. La taille gigantesque de l’oeuvre ainsi que son poids, son esthétique trop pop, les coûts de production, le choix de l’emplacement, les soupçons de coup médiatique vis à vis de l’artiste star, trois ans de polémiques s’ensuivent. Mais l’espace public parisien est coutumier du fait. 



Palais de la Porte Dorée
293 avenue Daumesnil - Paris 12
Métro Porte Dorée ligne 8

« Dans le bonheur », oeuvre monumentale du plasticien Diadji Diop, crawle dans les plates-bandes du Palais de la Porte Dorée depuis novembre 2010. Le nageur écarlate surgit de la végétation comme de l’écume. Son corps de géant en résine époxy partiellement dérobé au regard, laisse place à l’imagination jusque dans la monumentalité de ses proportions. Yeux clos, sourire paisible, son visage serein reflète une intériorité heureuse. Le mouvement est fluide. Le rouge, signature chromatique de Diadji Diop, celle du sang, celle qui unit tous les êtres humains, suggère un monde idéalisé, la grande communauté humaine, sans discrimination, la fantaisie d’une utopie, l’ouverture des frontières. L’oeuvre originale créée à l’occasion des Journées du Patrimoine a été présentée dans les jardins de l’Elysée en 2010 parmi les réalisations d’un groupe de jeunes artistes. Le Musée National de l’Histoire et des Cultures de l’Immigration en a fait l’acquisition à la suite de cette exposition. Diadji Diop laisse volontairement libre l’interprétation de ses créations ouverte. Malgré l’expression bienheureuse et le titre de l’oeuvre qui suggère le plaisir de la nage sans entrave, une lecture plus politique en prise avec l’actualité, convoque l’image des migrants naufragés.





Esplanade Johnny Hallyday - Paris 12
Métro Bercy lignes 6, 14

La sculpture hommage à Johnny Hallyday, signée de l’artiste Bertand Lavier, a été inaugurée le 17 septembre 2021, en présence de cent-cinquante motards, de ses proches et de ses musiciens. Le lieu, en face de la salle de Bercy, désormais Accor Hotels Arena où le rocker a donné cent-un concerts, semble particulièrement approprié. L’oeuvre célèbre la mémoire d’un chanteur populaire, figure du patrimoine français, dont les chansons ont su créer un lien particulier entre les générations de fans. Johnny Hallyday n’aimait pas les statues à son effigie. Bertrand Lavier a choisi d’accoler des symboles associés à l'idole des jeunes, représentation d’un certain esprit de rébellion. La démarche artistique s’inscrit dans la filiation du ready-made. Les éléments sélectionnés, objets porteurs de sens, illustrent un style de vie de musique et de vitesse dans une forme finale audacieuse. D’une base en granito bleu clin d’œil au « Walk of Fame » d’Hollywood Boulevard, jaillit un mat en acier inoxydable qui figure un manche de guitare. Au sommet de celui-ci, une véritable Harley Davidson bleu métal, modèle Fatboy, semble se cabrer dans les airs, perchée à six mètres de hauteur. La moto évidée de toute sa belle mécanique, sans moteur, appartenait vraiment à Johnny Hallyday.



Hôpital Necker Enfants Malades
149 rue de Sèvres - Paris 15
Métro Duroc lignes 10, 13

La Tour Keith Haring de l’Hôpital Necker Enfants Malades, raconte la destinée singulière d’une oeuvre offerte par l’artiste en 1987, histoire de renaissance après les menaces de disparition. Désormais totem planté au cœur d’un jardin arboré de 9 000 m2, la tour est à l’origine un escalier de secours du bâtiment abritant la Clinique de chirurgie infantile. Keith Haring (1958-1990) peint directement sur le caisson qui abrite ce triste morceau de béton. En 2016, lors du grand projet de restructuration des locaux de l’hôpital, l’édifice désormais vétuste est promis à la destruction. Afin de sauvegarder la fresque remarquable par ses proportions - haute de vingt-sept mètres, large de treize - l’escalier devient tour autonome, étonnante sentinelle du nouvel espace vert. Précurseur du street art à New York, figure iconique du pop art, le style de Keith Haring s’affirme, immédiatement reconnaissable, caractère graphique puissant. Tout au long de son existence, il s’est engagé mettant son art au service de causes humanitaires, en lutte contre le racisme, l'apartheid, l'homophobie, les discriminations, les nucléaire, les ravages de la drogue, l’épidémie de Sida. La Tour Keith Haring, ancien escalier relevé de ses gravas, symbolise aujourd’hui son engagement auprès des enfants malades, espoir et résilience, son investissement dans des œuvres caritatives. Dans ses entretiens à propos du projet, Keith Haring mentionne avoir volontairement choisi un bâtiment disgracieux pour le transformer en quelque chose de beau, égayer le séjour des petits malades et de leurs familles, soutenir le personnel hospitalier.



Place Amédée Gordini - Angle du boulevard Lefebvre et de l’avenue de la Porte de la Plaine - Paris 15
Métro Porte de Versailles ligne 12

« The Beautiful Dreamer », première oeuvre du plasticien flamand Arne Quinze installée de façon permanente dans l’espace public français, a été inaugurée le 20 novembre 2019. Depuis 2015, Viparis orchestre les grands travaux de modernisation de Paris Expo Porte de Versailles. Le parc des expositions réinventé sur un modèle de développement durable deviendra centre d’affaires international et lieu de vie. La sculpture monumentale d’Arne Quinze s’inscrit dans la ligne directe des projets architecturaux d’envergure, parmi lesquels la plus grande ferme urbaine au monde imaginée par Valode et Pistre Architectes, un complexe hôtelier conçu par Jean-Michel Wilmotte, un pavillon pensé par Jean Nouvel. Les choix esthétiques confèrent au chantier une dimension artistique évidente. En symbiose avec le concept d’une végétalisation du parc, la réalisation du plasticien belge souligne l’identité des lieux. L’oeuvre monumentale curatée par ArtBliss Paris s’intègre au tissu urbain pour mieux valoriser cette jonction un peu aride entre le nouvel hôtel Novotel et l’entrée du pavillon 6. La fleur gigantesque d’Arne Quinze ouvre le parc d’exposition sur la ville environnante. Placée dans l’espace public, elle prescrit un rythme inédit et par cette dynamique différente distille la culture dans le quotidien des usagers de la ville.  Plutôt que de succomber à la monotonie grise des espaces urbanisés, « The Beautiful Dreamer » propose l’alternative de sa flamboyante diversité.






Porte de Clignancourt - En face de l’accès du métro boulevard Ornano - Paris 18
Métro Porte de Clignancourt ligne 4

« Le Cœur de Paris », installation monumentale de l’artiste portugaise Joana Vasconcelos, domine le carrefour de la porte de Clignancourt du haut d’un mât de 9 mètres où il tourne sur lui-même animé par un système rotatif. Aimable symbole d’amour, il est pavé de 3 800 carreaux de faïence, les azulejos, véritables bijoux de l’artisanat lusitanien réalisés au Portugal. Ce signe de bienvenue adressé à tous les passants scintille au soleil le jour et la nuit venue, incrusté de LED, clignote au rythme d’un battement cardiaque. L’installation pérenne a été inaugurée lors d’un bal populaire le 14 février 2019, à l’occasion de la Saint Valentin, en présence de Christophe Girard, adjoint de la Mairie de Paris à la Culture et Eric Lejoindre maire du XVIIIème. Au milieu de la circulation intense des voitures et des usagers pressés du métro, cette oeuvre aux ambitions esthétiques possiblement sujettes à question met en lumière le défi de l’art contemporain dans l’espace public et plus particulièrement dans les quartiers populaires.



Porte de Saint-Ouen - Paris 18
Métro Porte de Saint-Ouen ligne 13

From Paris with love, curieuse installation signée Bruno Peinado, a été officiellement inaugurée le 24 novembre 2018 en même temps que le carrefour récemment réaménagé de la porte de Saint-Ouen. Les grands travaux engagés à l’occasion du prolongement de la ligne de tramway T3 en direction de la Porte d’Asnières ont redonné à ce quartier du nord de Paris un nouveau souffle. A l’entrée de l’hôpital Bichat Claude Bernard, deux placettes en vis à vis, de part et d’autre du carrefour, accueillent les deux modules distincts de l’oeuvre d’art public. A cheval sur le XVIIème et le XVIIIème arrondissements, des éléments iconiques de l’espace urbains, devenus sous le regard de Bruno Peinado pièces acidulées, composent ces ensembles pastel insolites. Les trois éoliennes, potelets, panneaux signalétiques et caissons lumineux codant de façon aléatoire en morse, assemblés en une ronde colorée, évoquent des bouquets de fleurs surdimensionnées. 




Parc de la Villette - Paris 19
Entre la prairie du Cercle Sud et la prairie du Triangle
Métro Corentin Cariou ligne 7 ou Porte de Pantin ligne 5

« La Bicyclette ensevelie » (Buried Bicycle) est une installation monumentale imaginée par le couple de plasticiens Claes Oldenburg et Coosje Van Bruggen. Inaugurée en novembre 1990 dans le parc de la Villette, véritable héritier des jardins d’illusion, cette réplique pop et gigantesque d’un objet du quotidien se trouve propulsée de manière inattendue dans l’espace public. Le gigantisme de cette oeuvre in sitù entre en écho avec celui de l’espace vert dessiné par l’architecte Bernard Tschumi et vaste de 55 hectares. Les divers éléments dispersés le long d’un chemin répondent au jeu de lignes et de courbes d’un vélo fractionné. Selle, pédale, roue, guidon, les quatre parties émergeant du sol disparaissent en partie dans le vert de la prairie. Oeuvre joyeuse au pouvoir évocateur, La Bicyclette ensevelie renvoie à l’univers de l’enfance et entre en écho avec le parc, lieu public de promenade, de culture et de jeu. Ce dispositif de présentation singulier qui convoque une image globale, demande au promeneur de reconstruire mentalement l’ensemble, le temps d’une déambulation entre les différents morceaux épars.




Terrasse d’accueil de l’hôpital Robert Debré
48 boulevard Sérurier - Paris 19
Métro Porte des Lilas ligne 3bis, 11

Figure caractéristique du cycle de l’Hourloupe, « L’Accueillant » est une sculpture monumentale haute de 6 mètres, réalisée en 1988, trois ans après le décès de Jean Dubuffet (1901-1985), d’après une maquette originale datant de 1973. Cette oeuvre a été commandée par l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris lors de la construction menée par l’architecte Pierre Riboulet de l’Hôpital Robert Debré dans le XIXème arrondissement. Placé face au service des enfants malades, « L’Accueillant » veille en terrasse, symbole de connexion à la vie, de lien entre les êtres. La statue appartient au même ensemble que Le Bel Costumé exposé dans les jardins des Tuileries. Ces deux personnages font partie des études originelles menées par Jean Dubuffet autour de dix-sept figures différentes. Celles-ci étaient destinées à composer un groupe monumental de cinq sculptures. La combinaison initiale intitulée « Welcome Parade « aurait dû trouver place dans le hall d’entrée de la National Gallery à Washington, un bâtiment réalisé par l’architecte IM Pei à qui l'on doit la pyramide du Louvre.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.