Paris : Coeur de Paris, une installation controversée de Joana Vasconcelos - Porte de Clignancourt - XVIIIème



Le Cœur de Paris, installation monumentale de l’artiste portugaise Joana Vasconcelos, domine le carrefour de la porte de Clignancourt du haut d’un mât de 9 mètres où il tourne sur lui-même animé par un système rotatif. Aimable symbole d’amour, il est pavé de 3 800 carreaux de faïence, les azulejos, véritables bijoux de l’artisanat lusitanien réalisés au Portugal. Ce signe de bienvenue adressé à tous les passants scintille au soleil le jour et la nuit venue, incrusté de LED, clignote au rythme d’un battement cardiaque. L’installation pérenne a été inaugurée lors d’un bal populaire le 14 février 2019, à l’occasion de la Saint Valentin, en présence de Christophe Girard, adjoint de la Mairie de Paris à la Culture et Eric Lejoindre maire du XVIIIème. Au milieu de la circulation intense des voitures et des usagers pressés du métro, cette oeuvre aux ambitions esthétiques possiblement sujettes à question met en lumière le défi de l’art contemporain dans l’espace public et plus particulièrement dans les quartiers populaires.








Le Cœur de Paris, pièce singulière par son immédiate bonhomie qui contraste avec la rugosité d’un environnement défavorisé, fait partie du projet artistique lié au prolongement du tramway ligne T3, dirigé par Anastassia Makridou-Bretonneau. L’extension Porte d’Asnières / Porte de la Chapelle ayant été inaugurée en novembre 2018, les œuvres d’art commandée par la Ville peu à peu se mettent en place. 







Pour ce nouveau tronçon du T3, la Mairie a choisi d’impliquer directement les riverains et les usagers dans l’élaboration de l’accompagnement artistique en ouvrant une consultation dans le cadre du programme Nouveaux Commanditaires. Initié par la Fondation de France, celui-ci a pour vocation d’inscrire l’action collective des citoyens dans l’histoire de l’art en leur donnant la possibilité de devenir les commanditaires d’une oeuvre d’art et ainsi transformer leur propre environnement. 

En partenariat avec l’Etat, les communes, les entreprises privées, les associations, les conseils départementaux, les conseils régionaux, les fonds européens, les fondations, les Nouveaux commanditaires se composent à chaque initiative d’un nouveau groupe citoyen accompagné par un médiateur culturel qui contribuent tous ensemble au cahier des charges. 







Le panel des riverains a porté son choix parmi les trois plasticiens de renommée internationale proposés vers Joana Vasconcelos. La dimension conviviale de son travail a su séduire des personnes pourtant peu initiées à l’art contemporain. La flamboyance baroque du Cœur de Paris renvoie aux signes archétypaux prisés des touristes du monde entier. On songe à ces cœurs frappés sur des t-shirts, des casquettes, des I love Paris déclinés dans toutes les langues.

Joana Vasconcelos inscrit sa démarche artistique dans l’immédiate reconnaissance des éléments du quotidien. Elle se saisit des objets triviaux, les extrait de leur contexte pour les déplacer dans de nouveaux espaces, modifiant drastiquement les échelles dans un effet loupe aussi drolatique que troublant. Sa critique de la société contemporaine, son discours à la fois féministe, social et politique passent par l’idée de transgression. 

En 2005, à la 51ème Biennale de Venise, son lustre en tampon hygiénique, A noiva (La Mariée) dont je vous parlais ici, attire l’attention des collectionneurs et des médias. En 2012, elle investit Versailles à l’occasion des invitations lancées aux artistes contemporains par la direction du château. Suite de la consécration, en 2018, une exposition personnelle lui est consacrée au musée Guggenheim de Bilbao, en Espagne.






Expérience unique d’une nouvelle forme d’action citoyenne, la consultation des riverains tend à atteindre un objectif d’accessibilité et d’adéquation avec la sensibilité des habitants. Le Cœur de Paris est désormais porteur d’une histoire à transmettre. Il invite de par sa conception à poser un regard différent sur ce quartier modeste, lieu de convergence marqué par les problèmes d’urbanisme et les difficultés sociales. Le cœur symbole universel, le rouge, couleur de joie, ajoutent à la dimension ludique, la monumentalité cocasse d’un message de bienvenue dans un espace public assez ingrat. 

Si le Cœur de Paris fait partie du patrimoine artistique de la Ville, son implantation dans un quartier difficile, l’un des plus pauvres de la ville soulève la controverse. En effet, la commande publique a été financée par l’argent public, notamment par la Mairie à hauteur de 60% de la somme totale qui s'élève à 650 000 euros dont 40 000 euros destinés à l’artiste. L’Etat a pris en charge 12% des frais tandis que dans le même temps, la région Ile de France démentait sa participation à hauteur de 28%, en précisant son refus de participer au financement de l’oeuvre. De quoi alimenter la polémique en ces temps pré-électoraux et interroger le sens des priorités.






Indécent ? Audacieux ? Les questions de l’entretien à long terme, de l’électricité sont également posées. Les commentaires amers ont afflué sur les réseaux sociaux et dans la bouche des élus lors du dévoilement de l’oeuvre qualifiée d’émoji qui ne représente rien, de coton tige terminé par un cœur ou encore d’enseigne de fête foraine... A chacun de se faire une opinion. 

Cœur de Paris, de Joana Vasconcelos
Porte de Clignancourt - En face de l’accès du métro boulevard Ornano - Paris 18



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.