Paris : 10 anciennes enseignes, vestiges poétiques de commerces disparus

 


Sur les murs de Paris, de vénérables enseignes aux gravures émoussées, aux motifs délavés aux couleurs passées, évoquent des commerces désormais disparus. La plus ancienne, signalant une auberge située dans le quartier Latin, daterait du XIVème siècle. Déposée et remplacée par une copie moulée sur l’originale, elle est conservée au Musée Carnavalet Histoire de Paris. L’institution expose de nombreux exemples dans un espace dédié, la Galerie Georges Cain dite Salle des enseignes. 

A Paris, au Moyen-Âge, l’absence de numérotation des rues rend indispensable les enseignes afin d’identifier les maisons. Dès 1200, elles sont gravées dans la pierre au fronton des commerces et des habitations. Les bas-reliefs sculptés signalent les différentes corporations. A partir d’un édit de 1729, les devantures des marchands de vin se caractérisent par des grilles en fer forgé chargées de protéger les marchandises. De même pour les boucheries qui ajoutent tout un bestiaire et quelques crochets. Le caducée et la croix des pharmaciens perdurent encore de nos jours. La Révolution institue par décret du 23 novembre / 1er décembre 1790 le « numérotage révolutionnaire ou sectionnaire », lequel permet d’affiner le recensement des citoyens soumis à l’impôt. L’orientation étant le cadet de leur souci, de nombreuses incohérences rendent l’expérience fantaisiste. La numérotation actuelle date du décret du 4 février 1805. 

L’omniprésence des enseignes prend fin durant la deuxième moitié du XVIIIème avec la généralisation du numérotage. Devenues superflues pour les logements, elles disparaissent des habitations. Néanmoins, les commerçants attachés à la tradition font perdurer la coutume des bannières annonçant la vocation de leurs échoppes. Le plus souvent, il s’agit d’éléments accrochés à des poternes, de formes hétéroclites, conçus dans des matériaux variés, fer forgé, bois sculpté, carton-pierre, tôle, toile peinte, pierre. Leur configuration évolue à la fin du XVIIIème siècle afin de réduire les nuisances comme le grincement des panneaux au vent. Les enseignes sont désormais plaquées contre les façades. L’élargissement des rues à la suite des grands travaux d’Haussmann favorise un retour en grâce des enseignes d’envergure chez les commerçants, opulents symboles de leur réussite. La rédaction a sélectionné dix anciennes enseignes parisiennes à redécouvrir en levant le nez.




Angle de la rue du Cygne et de la rue Saint-Denis - Paris 1
Métro Etienne Marcel, ligne 4

« Au beau cygne », enseigne en céramique Belle Epoque marque le souvenir d’un commerce disparu à l’angle des rues Saint-Denis et du Cygne. Auberge, restaurant, boutique ? Les archives n’en gardent pas de traces, les précisions manquent. Apposée sur la façade d’un immeuble du XVIIIème siècle, l’enseigne est datée approximativement de la fin du XIXème siècle. Cadre ouvragé dentelle de bois, elle représente une scène bucolique peinte sur des carreaux de faïence. Malgré une inscription à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984, la vétusté de cette curiosité très parisienne est flagrante. La restauration semble urgente pour sauvegarder le cygne ou tout du moins un dépôt, nécessaire pour sa conservation.





9 rue Pierre Lescot - Paris 1
Métro Les Halles ligne 4

Sculpture polychrome, l’ancienne enseigne du 9 rue Lescot représente une ruche traditionnelle en paille. Posée sur des équerres et fixée par de discrets boulons à l’angle d’un immeuble de rapport, très classique production en pierre de taille construit vers 1850, elle marque la présence de l’ancienne échoppe d’un marchand de miel. Cette épicerie fine en bordure des Halles, le Ventre de Paris, appartenait à cette grande corporation des métiers de bouche dont les commerces étaient centralisés autour du marché de vente en gros de produits frais. Elle daterait selon les sources de la fin du XIXème siècle ou du début des années 1920. Du fait de ses couleurs réalistes, le matériau dans lequel elle a été réalisée n’est pas évident à déterminer. Bois, pierre, plâtre, ou alliage, elle a traversé les ans portant avec elle le souvenir nostalgique du Vieux Paris. D’industrieuses abeilles de fonte s’y activent. Au rez-de-chaussée, la boutique désormais dévolue à la vente de maquillage possède une devanture en céramique plus récente malgré son état de délabrement avancé. Le programme décoratif, carreaux de faïence, pavement dans des tons de bleu et de vert, complété de frises géométriques contrastée, date des années 1940. Enseigne et devanture ont été inscrites aux Monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984.





12 rue des Petits Carreaux - Paris 2
Métro Sentier ligne 3

L’enseigne « Au planteur » indique la présence d’un ancien marchand de café implanté vers 1890, au 10/12 rue des Petits Carreaux. Le petit immeuble du XIXème siècle est occupé au rez-de-chaussée par des commerces. Les deux premiers niveaux de la bâtisse sont agrémentés d’un coffrage de bois, façade décorée de colonnettes, feuillages et motifs empruntées au répertoire du XVIIIème siècle. Au premier étage, un panneau de céramique signé Crommer représente une scène pour le moins troublante, voire pour nos yeux contemporains et en absence de cartel explicatif tout à fait outrageante. Les traces de peinture témoignent de la colère que suscite cette enseigne souvent vandalisée. Dans le paysage tropical d’une plantation de café, un homme noir, vêtu d’une simple culotte à rayures, nu-pied et torse-nu, des bracelets d’esclave aux biceps et aux avant-bras, sert une tasse de café à un homme blanc assis sur des sacs, complet blanc et chapeau élégant, pipe à la main. L’évocation directe, naïve dans son manque de malice, des conditions d’exploitation des domaines soulève des questions éthiques. Elle convoque la mémoire de l'esclavage et des colonies. Recontextualisée dans son époque, l’enseigne, inscrite aux Monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984, pourrait devenir l’instrument d’une démarche pédagogique. 

 



Angle des rues de Jouy et de Fourcy - Paris 4
Métro Saint Paul ligne 1

L’enseigne "Au gagne-petit", à l’angle des rues de Jouy et de Fourcy, évoque l’image pittoresque d’un vieux métier presque disparu, les rémouleurs itinérants. Pourtant, elle n’a pas grand-chose à voir avec cette profession au parfum d’antan. L’original de ce haut-relief sculpté dans la pierre, désormais conservé au Musée Carnavalet Histoire de Paris, appartient à une maison édifiée entre 1761 pour Etienne Chagnot, marchand de vin, à l’intersection de la rue des Nonnains-d’Hyères et de la rue de l’Hôtel-de-Ville. Placée à l’angle de l’édifice, l’enseigne en finalise la construction vers 1767. Elle annonce l’établissement du sieur Chagnot dans le goût de l’époque, polychromie et jeux de mots. Elle représente un artisan en costume Louis XV, coiffé d’un tricorne noir, redingote rouge, culotte bleue et bas blancs, manches des couteaux marrons. La figure du rémouleur surnommé le gagne-petit suggère des additions clémentes, des tarifs accessibles ou bien un certain type de clientèle. Les images évocatrices des enseignes, destinées au XVIIIème siècle, à un public majoritairement analphabète, assuraient la publicité des commerçants et attiraient la clientèle.





61 rue Saint-Louis-en-l’Ile - Paris 4
Métro Pont Marie ligne 4

Au 61 rue Saint Louis en l’Ile, un restaurant très contemporain mais au décor d’inspiration médiévale a conservé en façade, devanture et enseigne classées d’une ancienne taverne établie au XVIIème siècle. La brasserie nostalgique Aux Anysetiers du Roy a été précédée dans les années 1990, d’un établissement, le Petit Bacchus baptisé en l’honneur du personnage jovial perché au-dessus de la porte. L’enseigne en bois annonçait la présence d’un cabaret fréquenté par les sportifs du jeu de Paume voisin au numéro 54. L'original, remplacé par une copie, a rejoint les collections du Musée Carnavalet Histoire de Paris. La scène encadrée d’une treille de vigne représente Bacchus enfant à califourchon sur un tonneau de vin, un pichet dans une main, une grappe de raisin dans l’autre. La façade photographiée par Eugène Atget vers 1902 permet de découvrir le nom d’un propriétaire E. Canet. La devanture de boutique et l’enseigne de la maison sont inscrits aux Monuments historiques par arrêté du 22 février 1926.






42 rue Galande - Paris 5
Métro Saint Michel, ligne 4

L’enseigne la plus ancienne de Paris serait un bas-relief, gravé au fronton du 42 rue Galande. Le panneau sculpté représente une scène empruntée à l’histoire de saint Julien l’Hospitalier. A Paris au Moyen-Âge, le nom des rues est rarement signalé in sitù. La faible alphabétisation de la population rend inutiles ces inscriptions, impossibles à lire pour la majorité. Dès 1200, des enseignes gravées apparaissent au-dessus des portes d’entrée afin d’identifier maisons et commerces. Les adresses sont désignées par le symbole représenté dans la pierre. Pour s’orienter les Parisiens évoquent la maison au cygne, celle au lion d’or, indication à laquelle ils ajoutent souvent le nom du propriétaire. Un texte administratif datant de 1380 signale un bas-relief représentant saint Julien l’hospitalier, gravé sur la maison dite de la Heuze, notre actuel 42 rue Galande. Cette mention lui confère le titre de plus vieille enseigne attestée de Paris. Le précieux original a été déposé afin d’être conservé dans les collections du Musée Carnavalet Histoire de Paris. Au fronton du Studio Galande, cinéma d’art et d’essai célèbre pour diffuser depuis sa sortie en 1975 le film-spectacle « The Rocky Horror Picture Show », le panneau visible actuellement est une réplique moulée sur l’ancienne enseigne. 





122 rue Mouffetard - Paris 5
Métro Censier Daubenton ligne 5

Au 122 rue Mouffetard, la vénérable enseigne « A la Bonne Source » évoque la présence malicieuse d’un marchand de vin au XVIIIème siècle. La scène bucolique représentée n’est pas tout à fait innocente contrairement aux apparences. Elle cache un jeu de mot qui s’inscrit dans la lignée des panneaux à calembours et autre rébus, pratique courante depuis la fin du XVème siècle. Les deux personnages tirant de l’eau dans un « puits sans fin », font référence à « un puissant vin ». Les aimables plaisanteries avaient pour mission de marquer les esprits et d’attirer plus de clients potentiels grâce aux traits d’humour des commerçants. Au XIXème siècle la boutique reprise par un épicier, devient la Maison Piétrin. La vieille enseigne polychrome en bois sculpté est conservée. La mention sous le joyeux couple est modifiée afin de s'adapter à cette nouvelle vocation. La représentation champêtre inspire au marchand, la nouvelle dénomination « A la Bonne Source ». L'enseigne est désormais protégée à la suite de son classement à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 29 mars 1928. 




69 rue Mouffetard - Paris 5
Métro Censier Daubenton ligne 5

L’enseigne Au Vieux Chêne datant XIXème siècle, placée au premier étage du 69 rue Mouffetard, a disparu en 2008. Désormais remplacée par une copie grossière, rudimentaire, celle en bois finement sculptée demeure introuvable. Elle aurait été détruite lors d’une manœuvre maladroite d’un camion de livraison ou bien aurait été malmenée puis troquée à l’occasion d’un ravalement radical. L’original sur la photographie d’Eugène Atget datant de 1911 laisse voir l’élégance des lignes gravées, raffinement du dessin des branches, des feuilles, des glands. La reproduction en mauvaise résine ne rend pas compte des détails délicats. 





6 rue Mouffetard - Paris 5
Métro Censier Daubenton ligne 5

Au 6 rue Mouffetard, une enseigne remarquable d’une ancienne boucherie couvre le premier étage de la façade d’un immeuble du XVIIIème siècle. Sur fond rouge délavé par les aléas climatiques, se trouvent deux bœufs curieusement sellés et trois médaillons représentant des moutons, peints d’un jaune qui a conservé sa vivacité. La boucherie en activité de la fin du XVIIIème siècle ou du XIXème, selon les sources, jusqu’à la fin des années 1970, a cédé sa place à un commerce de bouche d’un genre un peu différent, un restaurant libanais « Le Cèdre ». L’ancienne enseigne est inscrite à l’inventaire des monuments historiques par arrêté du 23 mai 1984.





58 bd de la Villette - Paris 19
Métro Colonel Fabien ligne 2

La maison Bornibus, fondée en 1861, spécialiste de la moutarde et divers condiments, a conservé son siège historique au 58 boulevard de la Villette jusqu’en 1992. La façade de l’immeuble a conservé un slogan accrocheur « La santé sur votre table » ainsi qu’une enseigne vétuste typique des années 1980. Plus élégantes trois reproductions de médaille ainsi que des plaques rappellent les distinctions obtenues au XIXème siècle par la moutarde maison à l’occasion de diverses expositions universelles. Le fondateur, Alexandre Bornibus, inventeur de produits inédits, pionnier de la réclame, a su populariser la moutarde dont la consommation demeurait restreinte du fait d’une fabrication très artisanale grâce au développement de méthodes de production industrielles. Sous son impulsion, la renommée de la Maison Bornibus a dépassé les frontières françaises dès la fin des années 1870 pour s’étendre dans toute l’Europe et même jusqu’aux Etats-Unis. 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.