Paris : A la Bonne Source, une enseigne du XVIIIème siècle au 122 rue Mouffetard - Vème

 


Au 122 rue Mouffetard, la vénérable enseigne « A la Bonne Source » évoque la présence malicieuse d’un marchand de vin au XVIIIème siècle. La scène bucolique représentée n’est pas tout à fait innocente contrairement aux apparences. Elle cache un jeu de mot qui s’inscrit dans la lignée des panneaux à calembours et autre rébus, pratique courante depuis la fin du XVème siècle. Les deux personnages tirant de l’eau dans un « puits sans fin », font référence à « un puissant vin ». Les aimables plaisanteries avaient pour mission de marquer les esprits et d’attirer plus de clients potentiels grâce aux traits d’humour des commerçants. Au XIXème siècle la boutique reprise par un épicier, devient la Maison Piétrin. La vieille enseigne polychrome en bois sculpté est conservée. La mention sous le joyeux couple est modifiée afin de s'adapter à cette nouvelle vocation. La représentation champêtre inspire au marchand, la nouvelle dénomination « A la Bonne Source ». L'enseigne est désormais protégée à la suite de son classement à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 29 mars 1928. 




Circa 1860 A la Bonne Source, dessin de Jules Adolphe Chauvet


1917 A la Bonne source - Photographe Charles Joseph Antoine Lansiaux



A Paris, au Moyen-Âge, faute de numérotation des rues, les enseignes identifient les maisons. Dès 1200, elles sont gravées dans la pierre au fronton des commerces et des habitations. Les bas-reliefs sculptés signalent les différentes corporations. Le taux d’alphabétisation étant très faible, elles rivalisent d’ingéniosité graphique pour évoquer la fonction des échoppes, la profession des propriétaires. Jeux de mots et rébus font leur apparition.

Dès le XVème siècle, les pratiques évoluent et les commerçants voient dans ces enseignes originelles une façon d’attirer l’œil des clients. De faire leur publicité. Les enseignes accrochées à des potences essaiment dans toute la ville. De formes très variées, de couleurs éclatantes, elles sont conçues dans divers matériaux, fer forgé, bois sculpté, carton-pierre, tôle, toile peinte, ou bien tôle.

Bientôt, elles prennent tellement d’ampleur que leur accrochage fait l’objet en 1761 d’une ordonnance. La nouvelle réglementation envisagée par le lieutenant général de police Antoine de Sartine met fin aux nuisances des anciennes enseignes, bruit de grincements et chocs, manque de lumière dans les ruelles étroites d’un Paris demeuré très médiéval. Elles sont dès lors plaquées contre les façades. Puis avec les grands travaux d’Haussmann et l’élargissement conséquent des voies, les panneaux suspendus à des potences reviennent en force. 





Le défaut de numérotation perdure jusqu’à la Révolution malgré quelques essais peu concluants, notamment pour les maisons du pont de Notre Dame construit en 1507, et dont les numéros sont vite abandonnés au profit des traditionnelles enseignes. En 1779, Marin Kreenfelt de Storcks, chargé d'affaires de l'Électeur de Cologne édite L'Almanach de Paris. Cet ancêtre de l’annuaire contient « les noms, qualités, demeures des personnes de condition dans la ville et les faubourgs de Paris ». Il décide de prendre en charge le projet de numérotation afin de rendre plus rigoureuses ses publications. A ses frais, il fait poser à des numéros sur les portes des rues de Paris. Les propriétaires sont réticents. Dans l’ombre, le lieutenant de police Jean-Charles-Pierre Lenoir, le précurseur de la police moderne, soutient cette initiative qui lui permettrait de mieux identifier les déplacements des individus à travers la ville. Il faudra attendre une dizaine d’années pour le processus prenne une tournure officielle.

La Révolution institue par décret du 23 novembre / 1er décembre 1790 le « numérotage révolutionnaire ou sectionnaire ». Il s’agit de recenser grâce à cette démarche les citoyens soumis à l’impôt. L’orientation n’est pas prise en compte par l’administration et le résultat est plutôt fantaisiste. La numérotation actuelle date du décret du 4 février 1805. Au cours du XIXème siècle, la généralisation du numérotage rend superflues les enseignes destinées aux habitations. Elles disparaissent des maisons. Les commerçants attachés à cette tradition, excellente réclame par ailleurs, entretiennent la coutume.

A la Bonne Source
122 rue Mouffetard - Paris 5



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 5è arrondissement - Bertrand Dreyfuss - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme