Paris : Ancien siège de la Moutarde Bornibus, au 58 bd de la Villette, un fleuron gastronomique fondé par Alexandre Bornibus en 1861 - XIXème


 
La maison Bornibus, fondée en 1861, spécialiste de la moutarde et divers condiments, a conservé son siège historique au 58 boulevard de la Villette jusqu’en 1992. La façade de l’immeuble a conservé un slogan accrocheur « La santé sur votre table » ainsi qu’une enseigne vétuste typique des années 1980. Plus élégantes trois reproductions de médaille ainsi que des plaques rappellent les distinctions obtenues au XIXème siècle par la moutarde maison à l’occasion de diverses expositions universelles. Alexandre Bornibus s’est lancé dans les condiments passé quarante ans, révélant dans cette nouvelle voie ces talents d’homme d’affaires. Innovateur, inventeur de produits inédits, pionnier de la réclame, il a su populariser la moutarde dont la consommation demeurait restreinte du fait d’une fabrication très artisanale grâce à des méthodes de production industrielles. Sous son impulsion, la renommée de la Maison Bornibus a dépassé les frontières françaises dès la fin des années 1870 pour s’étendre dans toute l’Europe et jusqu’aux Etats-Unis. 






Alexandre Bornibus nait en 1821, à Verpillières-sur-Ource, dans une modeste famille marnaise, une lignée de bouchers bourguignons. La fratrie Bornibus prend un chemin alternatif et s’invente un autre destin. Le frère aîné, Joseph, créé à Pontois une institution, école primaire et internat, où Alexandre sera un temps instituteur. En 1860, les deux frères s’associent à Nicolas Lefèvre pour reprendre une laiterie en gros au 19 rue de Milan. Un an plus tard, Alexandre Bornibus rachète la fabrique de moutarde Touaillon et fils située au 8 rue Coquillère, dans le quartier des Halles. Il fonde la Maison Bornibus. En 1862, lors d’une vente de pièces archéologiques découvertes lors des travaux d’aménagement de la place Saint Michel et du nouveau pont de Notre Dame, Alexandre Bornibus acquiert un méreau des vinaigriers, emblème de la corporation. Cet insigne devient l’écusson, le logo de la marque. 

Alors que l’entreprise se développe, Alexandre Bornibus fait construire une usine à vapeur à Belleville, au 18 boulevard du Combat, notre actuel 60 boulevard de la Villette. Le succès commercial est au rendez-vous. Les condiments Bornibus sont distingués par de nombreux diplômes et médailles à l’occasion de foires et plus particulièrement les concours des expositions universelles. Au total, ils sont récompensés au fil du temps par une quarantaine de prix dont les plus prestigieux sont toujours affichés sur la façade de l’ancien siège. 

Si la qualité des matières premières fait une différence majeure avec les concurrents, la réflexion sur le processus de fabrication et la rationalisation des tâches donnent une bonne longueur d’avance à cette fabrique de moutarde d’un nouveau genre. Alexandre Bornibus, féru d’innovations technologiques, adapte les outils traditionnels des moutardiers dijonnais à une production industrielle. Il imagine également de nouveaux procédés. En mars 1864, il dépose le brevet d’une invention permettant de « broyer et de tamiser la moutarde et diverses autres substances ». Il intervient également dans la conception de produits originaux tels que la moutarde en tablette. Facilement transportable en voyage, elle se râpe en copeaux que le consommateur humecte ensuite avec des gouttes d’eau jusqu’à obtenir une texture adaptée à ses goûts.


1868 Illustration tirée de l'Exposition Maritime internationale

Circa 1870

Circa 1881


Patron moderne, Alexandre Bornibus organise chaque année une excursion à la campagne avec l’ensemble de ses employés, véritable précurseur du « team building ».  Sens inné de la réclame, il impose une vision très moderne de la communication et s’attache les services de célébrités de l’époque pour vanter ses produits. Alexandre Dumas célèbre la saveur de la moutarde Bornibus dans son Dictionnaire de cuisine, et qualifie son fondateur d’« artisan du goût et de la qualité ». En 1878 Etienne Ducret, chansonnier et écrivain, rédige « la Bornibusiade », opuscule de trente-deux pages, poème gastronomique en vers libres, pastiche savoureux à la gloire des condiments Bornibus. Plus tard, en 1900, Georges Méliès réalise pour la marque l’un des premiers court-métrages publicitaires.  

Pourtant l’ascension de la Maison Bornibus est marquée par des accidents et des drames. En décembre 1866, l’usine du boulevard Combat est détruite par un incendie. En 1870, la famille Bornibus achète la parcelle voisine, notre actuel 58 boulevard de la Villette. Un bâtiment flambant neuf remplace la vieille maison qui s’y tenait, et accueille désormais le siège ainsi que les domiciles de la famille Bornibus. A côté, une nouvelle usine est érigée. L’ensemble est inauguré en 1881.

Alexandre Bornibus décède en 1882. Ces trois fils Georges, Lucien et Paul prennent la succession à la tête de l’entreprise. La moutarde Bornibus prospère malgré un deuxième incendie en avril 1885 puis un troisième en novembre 1901. En mai 1908 Georges, malade depuis longtemps, met fin à ses jours dans un « accès de neurasthénie ». En 1912, Lucien chute dans la cage d’un monte-charge et se tue dans ce tragique accident. Paul demeure seul pour diriger la maison. Lorsqu’il disparaît à son tour, la famille Bornibus décimée par le drame de la Première Guerre mondiale n’a plus d’héritier susceptible de reprendre les rênes du groupe. La Maison Bornibus est reprise en 1931 par Charles Boubli ancien de chez Félix Potin qui poursuit une stratégie publicitaire inventive. Il fait appel à des peintres et des dessinateurs de renom pour réaliser les campagnes. 






Au début des années 1970, soixante-dix employés travaillent encore pour la famille Boubli. En 1992 les deux filles de Charles Boubli, Hélène Boutet et Michèle Aziza confient le contrôle de l’entreprise au groupe Agrodor. A cette occasion, les bureaux du 58 boulevard de la Villette sont définitivement abandonnés. La réputation de Bornibus pâtit de ce changement de direction. En février 2012, Agrodor dépose le bilan. La marque Bornibus menacée de disparition est sauvée par Casimex Fine Feeds. Sydney Knafou imagine de redorer l’image de la vieille enseigne en revenant à l’idée de condiments de tradition, de qualité et authentiques. 

Moutarde Bornibus
58 boulevard de la Villette - Paris 19
Métro Belleville lignes 2, 11 / Colonel Fabien ligne 2



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme
Le guide du promeneur 19è arrondissement - Elisabeth Philipp - Parigramme

Sites référents