Paris : Enseigne Au Gagne-Petit, le rémouleur et le marchand de vin, une réplique à l'angle des rues de Fourcy et de Jouy - IVème

 

L’enseigne "Au gagne-petit", à l’angle des rues de Jouy et de Fourcy, évoque l’image pittoresque d’un vieux métier presque disparu, les rémouleurs itinérants. Jusque dans les années 1950, les artisans ambulants se promenaient à travers les rues, atelier portatif sur le dos. Ils annonçaient leur passage en criant. Ils promettaient par leurs services, l’affûtage de coutellerie, un aiguisage d’expert. Figure aussi familière qu’emblématique des rues de Paris, le rémouleur a peu à peu disparu. Il ne resterait de nos jours qu’une centaine de rémouleurs ambulants à travers toute la France, des passionnés amoureux de leur métier, décidés à préserver un certain patrimoine, un savoir-faire. Pourtant l’enseigne "Au gagne-petit" n’a pas grand-chose à voir avec cette profession au parfum d’antan. L’original de ce haut-relief sculpté dans la pierre, désormais conservé au Musée Carnavalet Histoire de Paris, appartient à une maison édifiée entre 1761 pour Etienne Chagnot, marchand de vin, à l’intersection de la rue des Nonnains-d’Hyères et de la rue de l’Hôtel-de-Ville. Placée à l’angle de l’édifice, l’enseigne en finalise la construction vers 1767. Elle annonce l’établissement du sieur Chagnot dans le goût de l’époque, polychromie et jeux de mots. Elle représente un artisan en costume Louis XV, coiffé d’un tricorne noir, redingote rouge, culotte bleue et bas blancs, manches des couteaux marrons. Le rémouleur, manifestement très joyeux, aiguise un couteau sur une meule activée au pied, un verre à la main. Ce détail ainsi que la bouteille posée à côté du sabot à eau qui sert à mouiller la roue, suggère la vocation de la maison, un marchand de vin donc. La figure du rémouleur surnommé le gagne-petit suggère des additions clémentes, des tarifs accessibles ou bien un certain type de clientèle. Les images évocatrices des enseignes, destinées au XVIIIème siècle, à un public majoritairement analphabète, assuraient la publicité des commerçants et attiraient la clientèle.






1892 Photographe Paul Robert - Angle de la rue
des Nonnains-d'Hyères et de la rue de l'Hôtel-de-Ville


Durant l’Entre-deux-guerres, alors que les épidémies déciment les populations urbaines, les théories hygiénistes soulignent la nécessité de rénover la ville afin de la rendre plus saine. Paul Juillerat, chef du service d'hygiène de la ville de Paris, mène une grande enquête de 1894 à 1904. En 1906, six ilots insalubres sont circonscrits. En 1921, la commission du conseil municipal désigne à la suite d’un nouveau rapport, onze ilots supplémentaires, portant l’ensemble à dix-sept zones. Les quartiers où intervenir en priorité sont classés par ordre d’urgence, selon le taux de mortalité lié à la tuberculose entre 1894 et 1918. 

L’ilot insalubre numéro 16, le quartier Saint-Gervais, dans la partie sud du Marais, est l’un des ilots délimités en 1921. Si le premier projet de réhabilitation présenté en 1937 lors de l’Exposition Universelle prévoit une destruction massive du bâti, le principe du curetage prévaudra. A partir de 1942 jusqu’en 1945, les pouvoirs publics pratiquent l’expulsion sans ménagement des riverains, parmi lesquels 20% de famille juives. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les édiles, moins expéditifs, entament des négociations avec la population et envisagent des relogements.

De 1948 à 1965, le quartier Saint-Gervais fait l’objet d’une restructuration qui préserve une grande partie des façades à la suite de la loi Malraux votée en 1962. Le Marais devient le premier secteur sauvegardé de France. Un peu tardivement pour la vieille maison à l’angle de la rue des Nonnains-d’Hyères et de la rue de l’Hôtel-de-Ville. Entre temps, elle a été rasée afin d’élargir la voie et réaligner les bâtiments. A la suite de ces transformations, la population change radicalement. Les ouvriers, les petits artisans, les habitants modestes font place aux catégories socio-professionnelles plus aisées. Le Marais devient un quartier bourgeois très recherché.


Circa 1899 Photographe Eugène Atget - Angle de la rue
des Nonnains-d'Hyères et de la rue de l'Hôtel-de-Ville

Circa 1900

Aujourd'hui à l'angle des rues de Jouy et de Fourcy



L’enseigne "Au gagne-petit" déposée avant la destruction de la maison à l’angle des rues des Nonnains-d’Hyères et de l’Hôtel-de-Ville devait être remontée sur du nouvel immeuble figurant sur le projet initial. Mais en 1972, le jardin Albert Schweitzer est aménagé à la place de cet édifice.

Tandis que l’enseigne originale en couleur rejoint les collections du Musée Carnavalet histoire de Paris, vers 1974 une copie est apposée à l’intersection des rues de Jouy et de Fourcy, sur un immeuble en béton datant de 1972. Un rémouleur ambulant qui vagabonde, quoi de plus naturel.

Enseigne Au Gagne-Petit
Angle des rues de Jouy et de Fourcy - Paris 4



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le Marais, évolution d’un paysage urbain - Danielle Chadych - Parigramme
Le Marais secret et insolite - Nicolas Jacquet - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme