Paris : Musée Carnavalet, réinvention du plus ancien musée de la Ville, histoire de la Capitale depuis la Préhistoire jusqu'à nos jours - IIIème


Le Musée Carnavalet, plus ancien musée de la Ville de Paris, vient d’achever sa mue. Après cinq ans de fermeture et quatre années d’un chantier au confortable budget - cinquante-huit millions d’euros - la vénérable institution dédiée à l’histoire de la Capitale entre en grande pompe dans la modernité. Outre un ravalement complet ainsi qu’une mise aux normes de sécurité nécessaire, la muséographie a été entièrement repensée afin de renouveler l’expérience de visite. Petite révolution, l’introduction du numérique ouvre des accès inédits à la richesse d’un patrimoine fascinant. A travers ses collections, le Musée Carnavalet retrace la vaste histoire de Paris. Désormais l’épopée de la ville se déploie de la préhistoire, plus exactement le mésolithique, jusqu’à notre époque. La chronologie structure un parcours repensé et complété par de nouveaux modules tels que le Moyen-Âge, la Renaissance ainsi que la période de 1930 à nos jours. L’institution culturelle aux dimensions impressionnantes se distingue depuis sa création par la profusion et la diversité des pièces présentées. Aujourd’hui, trois-mille-huit-cents œuvres, restaurées à l’occasion de ce vaste projet de réinvention, ponctuent la visite. Elles ne représentent néanmoins que 0,5% des fonds propres du musée. Carnavalet compte dans ses réserves près de six-cent-vingt-cinq-mille pièces relatives à l’histoire de Paris. Les collections embrassent un vaste panorama ainsi bien dans les thématiques que les expressions formelles. Les pièces archéologiques, ethnographiques, architecturales côtoient les éléments d’arts décoratifs mis en scène dans des reconstitutions très prisées. Le fruit familier des arts populaires trouve sa place auprès des nobles productions des beaux-arts. L’un des pôles d’attractivité majeur réside dans le fonds consacré à la Révolution française, le plus important au monde. Scénographes et architectes se sont penchés sur le parcours muséal, devenu labyrinthique au fil des ans et des restructurations, afin de livrer un nouveau cheminent simplifié, fluidifié, long d’un kilomètre cinq cent. La visite a été repensée dans un souci de limpidité de sorte à valoriser les collections tout autant que les volumes de ce magnifique ensemble. Défi relevé avec brio. 










Le Musée Carnavalet composé de deux hôtels particuliers, reliés entre eux par une passerelle, s’étend sur une parcelle d’un hectare et demi. Le plus ancien musée de la Ville de Paris s’est niché au cœur de bâtiments emblématiques du vieux Marais. Elément clé de l’ensemble architectural, l’Hôtel Carnavalet date de la Renaissance. Attribué à l’architecte Pierre Lescot (1515-1578) ainsi que la Cour Carrée du Louvre, il a été édifié entre 1548 et 1560, pour Jacques de Ligneries, président au Parlement de Paris. Le nom Carnavalet provient de la francisation du patronyme d’un gentilhomme breton, François de Kernevenoy dit de Carnavalet (1520-1571). Sa veuve Françoise de la Baume (?-1605) fait l’acquisition de l’hôtel en 1578. Elle lui laissera le nom de son époux. Dans les années 1650, l’édifice est modifié. L’architecte François Mansart (1598-1666) surélève le porche de la façade sur l’actuelle rue de Sévigné, ajoute un étage aux trois ailes basses. Carnavalet devient la résidence parisienne de Madame de Sévigné et de sa famille de 1677 à 1696. 

Classé aux monuments historiques en 1846, l’hôtel Carnavalet est acquis par la Ville de Paris en 1866 sous l’impulsion du préfet de la Seine, le baron Haussmann qui souhaite y créer un musée. En 1880, lors de son inauguration, il est le tout premier musée dévolu à l’histoire d’une ville. Sa vocation, la conservation du patrimoine parisien, peut paraître paradoxale. Carnavalet est inauguré au moment même où Paris entame une mutation radicale vers la modernité. Et son grand ordonnateur, le baron Haussmann n’hésite pas à trancher dans le vif des vieux quartiers historiques pour en faire jaillir la ville nouvelle. En 1989, le Musée Carnavalet, à l’étroit dans ses murs, annexe l’Hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau, bâtiment édifié de 1688 à 1692 par l’architecte Pierre Bullet (1639-1716) pour Michel Le Peletier de Souzy.

Au tournant du millénaire, l’institution culturelle avait peu à peu perdu de sa clarté, son propos rendu abscons par le manque de lisibilité. Daté et fouillis, le Musée Carnavalet conservait une place toute particulière dans le cœur des Parisiens et des touristes du monde entier. Une métamorphose devenait nécessaire. En 2016, les portes se sont fermées temporairement afin qu’advienne une renaissance. La restauration du Musée Carnavalet a été confiée à François Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, en partenariat avec le cabinet Snohetta, auteur notamment des apports contemporains. Parmi ceux-ci, les escaliers en forme de toboggans, implantés dans différentes parties du musée, relient les espaces en un faisceau facilement déchiffrable par les visiteurs.










Nathalie Crinière s’est attachée à repenser la scénographie. Espaces rationnalisés, la surface d’exposition totale s’est développée, passant de 2 400m2 à 3 900m2. Les vitrines ont été démultipliés, de quarante à l’origine, elles sont désormais cent-quatre-vingt-quatre. Afin de préserver les murs et les boiseries d’un lieu classé, l’accrochage a nécessité des trésors d’inventivité. Cartels explicatifs et panneaux suspendus secondent la grande nouveauté du numérique, soixante-quinze pupitres interactifs répartis tout au long de la visite. La mise en lumière de nombreuses galeries jusqu’alors plongées dans la pénombre a été rendue possible grâce à l’adaptation des fenêtres à petits carreaux équipées de filtres spéciaux. Restaurateurs, conservateurs, peintres, socleurs, les spécialistes des vitrines destinées aux objets d’art, éclairagistes ont œuvré sans relâche afin de réinventer la vénérable institution. 

Le nouvel accès par les anciennes écuries ouvre sur les espaces entièrement repensés de la salle des enseignes, évocation de la rue parisienne commerçante, à laquelle s’ajoutent des modules d’introduction à l’histoire du musée. Le parcours historique chronologique débute au sous-sol dans les anciens celliers sous voûtes en ogive, aménagés pour accueillir le public. La Préhistoire, le mésolithique sont puissamment évoqués par la présence de l’une des neuf pirogues datant de 4500 ans avant JC, découvertes sur la rive droite de la Seine dans les profondeurs des sédiments, à l’occasion en 1991 des grands travaux d’aménagement de Bercy Village. L’Antiquité, la ville gallo-romaine de Lutèce, puis le Moyen-Âge, gargouille de Notre-Dame, précieux vitraux, éléments originels du tombeau d’Héloïse et Abélard  prolongent le voyage à travers les siècles.

Les collections du Musée Carnavalet sont particulièrement réputées pour leurs prestigieux ensembles décoratifs. Dans le grand escalier d’honneur, la fresque en trompe-l’œil restaurée provient de l’ancien hôtel de Luynes, hôtel particulier disparu. Situé rue Saint-Dominique, à l’emplacement de l’actuelle rue de Luynes, il est édifié entre 1650 et 1657 d'après les plans de Pierre Le Muet pour Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de Chevreuse. Partiellement détruit en 1868 par la percée des boulevards Saint-Germain et Raspail, ces derniers vestiges sont rasés en 1900. L’Hôtel Lebaudy hérite des boiseries de la chambre de parade du duc de Luynes. La veuve Lebaudy lègue ces décors en 1962 au Musée du Louvre. La Commission du Vieux-Paris parvient à sauver l'escalier et ses peintures qui rejoignent le Musée Carnavalet.










Dès 1880, le Musée Carnavalet est conçu comme un théâtre où sont intégralement reconstitués des pièces. Au premier étages, trente-quatre salles de décor, les « period rooms », comptent parmi les espaces les plus anciens de la muséographie. Ces véritables capsules temporelles, ont été recomposées à partir des boiseries et éléments décoratifs issus d’anciennes demeures parisiennes aujourd’hui disparues, complétés du mobilier et des objets usuels représentatifs. Salons de réception et cabinets privés des vieux hôtels particuliers sont remontés au sein de Carnavalet afin de reproduire, et de donner à voir l’atmosphère d’une époque. Le salon de compagnie de l’Hôtel d’Uzès dont les boiseries préfigurent le style néoclassique a été imaginé par Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806) en 1768 pour François-Emmanuel de Crussol, neuvième duc d’Uzès. Le décor est vendu à la fin du XIXe siècle lorsque l’hôtel particulier est démoli à l’occasion de l’aménagement de l’actuelle rue d’Uzès.  Le bureau de la Marquise de Sévigné convoque le souvenir de la grande dame des lettres françaises.

Le nouveau parcours muséographique contextualise les pièces présentées, crée du lien entre les univers disparates. La visite mène jusque sous les toits où l’histoire parisienne entame un tournant avec la Révolution. Une maquette souvenir de la Bastille sculptée dans un bloc de pierre arraché aux ruines de la prison, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une reconstitution de la cellule de la reine, un soulier de satin ayant appartenu à Marie-Antoinette, le corpus d’œuvres, d’objets clés ou anecdotiques, réuni autour d’une thématique permet d’éclairer un lieu, un personnage, un événement. L’iconique portrait de Juliette Récamier par François Gérard, datant de 1802-1805, se redécouvre avec le même plaisir dans la section dédié à l’Empire et au Second Empire.










Constituée autour de pièces de la Belle Epoque, la collection de François-Gérard Seligmann, éminent marchand d'art décédé en 1999, illustre avec sensibilité la vie parisienne de la fin du XIXème siècle. Sa veuve, Françoise Seligmann, a légué, en 2001, cent-soixante œuvres à la Ville de Paris parmi lesquelles La Soirée au Pré-Catelan d'Henri Gervex, le Portrait de la marquise de Vaucouleur de Carolus-Duran, des œuvres de Jacques-Emile Blanche, un portrait de la comédienne Sarah Bernhardt par Louise Abbéma et de nombreuses scènes de café de Jean Béraud. 

Le décor Art Nouveau de la bijouterie Fouquet, située au 6 rue Royale, a été réalisé en 1901 par Alfons Mucha (1860-1939) qui créé des bijoux pour la boutique de Georges Fouquet. En 1923, la mode évoluant vers l’épure Art déco, ce dernier fait démonter les divers éléments. Soigneusement entreposés, ils sont confiés au Musée Carnavalet dans un état de conservation remarquable en 1941. En 1989, la boutique toute entière - devanture et intérieurs -, est reconstituée au sein du musée. Cet espace jouxte une autre reconstitution du salon particulier du Café de Paris dessiné par l'architecte Henri Sauvage et meublé par Louis Majorelle.

Remontée en 1989 au musée dans un espace entièrement consacré à celle-ci, la salle de bal de l’Hôtel Wendel, hôtel particulier de l’avenue de New York dans le XVIème arrondissement, est l’une des plus célèbres œuvres de Carnavalet. Ce décor Art Déco unique, créé par le peintre catalan José Maria Sert y Badia (1874-1945) entre 1924 et 1925, représente le voyage de la reine de Saba et sa rencontre avec le roi Salomon. Il a fait l’objet d’une restauration minutieuse. 

Autre incontournable, la chambre de Marcel Proust, évocation d’un univers familier pensée en collaboration avec la Société des amis de Marcel Proust, réinvente un décor, le mobilier de l’écrivain, le velours bleu du couvre-lit retissé d’après des échantillons. Des objets très personnels proviennent de donations, celle de Cécile Gévaudan, fille de Céleste Albaret, gouvernante de Proust, sa canne, son plumier et même une insolite plaque de liège isolation sonique primitive. Ces éléments ont été rejoints par une pelisse à col de fourrure récemment offerte à la Ville de Paris, par Jacques Guérin, bibliophile et grand connaisseur de la Recherche. 











Le Musée Carnavalet traduit dans cette scénographie une volonté de rassembler des pièces anecdotiques, des reliques populaires comme autant de témoignages dans un ensemble signifiant et évocateur. Les espaces dédiés au XXIème siècle multiplient les photographies, manifestations à la suite des attentats de 2015, Notre-Dame dévastée par les flammes, les gilets jaunes…

Dernières nouveautés, au rez-de-chaussée du Musée Carnavalet, un espace de restauration et un second de médiation, jouxtent une salle d’exposition temporaire. L’institution revivifiée a pour ambition de doubler sa fréquentation originelle et de séduire huit-cent-mille visiteurs par an.

Musée Carnavalet 
23 rue de Sévigné - Paris 3
Tél : 01 44 59 58 58
Horaires : Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.