Polars glaçants ou déjantés, thrillers terrifiants ou déroutants, la rédaction a sélectionné pour vous 10 romans noirs à glisser dans vos valises pour jouer à se faire peur sur la plage. Au programme de cet été meurtrier, suspense captivant, poussée d'adrénaline, énigmes mystérieuses. La littérature noire, enquêtes et crimes et mauvais sentiments, va dynamiter votre pile à lire. Les vacances n'auront jamais été aussi palpitantes !
1/ Le Dernier des Weynfeldt de Martin Suter - Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni - Éditions Christian Bourgois - Poche Points
Adrian Weynfedlt dernier représentant d’une grande famille zurichoise travaille comme spécialiste de l’art suisse chez Murphy’s où il expertise tableaux et œuvres diverses. Il partage son temps entre deux cercles d’amis bien distincts. D’un côté de riches bourgeois vieillissants appartenant à la haute société et de l’autre un groupe de jeunes artistes peu scrupuleux auprès desquels il joue les mécènes. Unique héritier d’une lignée prestigieuse, Adrian aborde la cinquantaine sereinement, éternel célibataire. La rencontre fortuite avec Lorena jeune femme mystérieuse et fantasque dont les traits lui rappellent ceux de son grand amour de jeunesse va bouleverser sa vie de vieux garçon bien ordonnée. Alors qu’il s’entiche de cette imprévisible créature, l’un de ses amis en fin de vie, au bord de la faillite, décide de lui confier la vente de l’un de ses plus précieux tableaux : "Femme nue de dos accroupie devant une salamandre", une toile de Félix Valloton qui devrait créer un coup d’éclat aux enchères. Si le tableau est authentique…
Plume fluide, style efficace, rebondissements aussi improbables que savoureux, ce thriller sociologique accroche le lecteur par un suspense prenant. Le récit se déploie sur le fil d'une narration prétexte, faux polar, véritable étude de mœurs au ton jubilatoire. De l’histoire d’amour intéressée, peu de choses demeurent au final mais le portrait sociétal au vitriol que nous livre l’auteur est un met raffiné délectable.
2/ Glitz - Elmore Leonard - Traduction Fabienne Duvigneau - Éditions Payot Collection Rivages Noir
Détective de la police de Miami, Vincent Mora, s’est fait braquer et tirer dessus par hasard en rentrant de l’épicerie. Il passe sa convalescence à San Juan, la capitale de Porto Rico. Durant ses vacances forcées au soleil, il s’entiche d’une jeune vénus mercenaire, la belle Iris qui rêve des États-Unis. Malgré les efforts de Vince pour la préserver, elle se laisse tenter par une proposition de travail louche. Elle s’envole vers le New Jersey pour devenir hôtesse de casino à Atlantic City. Dans l’ombre un sale type rôde et surveille de près les agissements de Vince. A cause de ce dernier, Teddy Magik, un violeur psychopathe, vient de tirer sept ans et demi au pénitencier de Raiford, la prison d’État de Floride. Il est bien décidé à se venger du flic qui l’a arrêté. Depuis son arrivée aux États-Unis, Iris escorte les gros clients du casino auxquels elle dispense ses faveurs. Une nuit, elle tombe du trente-huitième étage d’une tour. Suicide ? Meurtre ? Accident ? Elle portait sur elle un mot adressé à Vincent. Les collègues de la police d’Atlantic City le contactent en espérant éclaircir cette mort suspecte. Vince, toujours en congés, mène une enquête officieuse loin de sa juridiction.
Le récit tendu noue le suspense. L’écriture cinématographique, style affûté, à l’os, donne un relief particulier aux milieux interlopes de la pègre. Elmore Leonard plante les décors avec un soin particulier, San Juan, ses paysages de rêve, ses plages et ses filles, Atlantic City, station balnéaire du New Jersey, haut lieu des jeux d’argent et des spectacles de cabaret, la poudre aux yeux et les fantasmes d’argent facile. En quelques mots bien sentis, il décrit le faste et le sordide, la misère et l'apparat, la fantaisie et le réalisme cru. Divertissement réjouissant, avec « Glitz » il s’agit de ne pas bouder son plaisir de lecture.
Iris Arcane, enfant de la Havane, est repérée à la sortie de l’école par le peu recommandable Abomino Dégueu, photographe de mode italien au talent très discutable et aux magouilles innombrables. Sous un prétexte fallacieux, il parvient à enlever la gamine à sa famille. En Europe, il l’enferme loin du monde et exploite sa beauté en laissant filtrer des clichés qu’il monnaie à prix d’or dans les plus grands magazines. Iris grandit et bientôt parvient à s’échapper des griffes du vénéneux pygmalion. Top model adulée, elle atteint la consécration. La belle choisit de quitter les catwalks et de se consacrer à sa nouvelle famille, ses enfants et son mari, le milliardaire américain Saul Dessler. Iris vit à Miami entourée de ses proches tandis que les jalousies se déchaînent contre elle. Fausse Univers, une garce redessinée à grand renfort de scalpel et de silicone, crève d’envie devant la réussite de sa compatriote. Sous des dehors mielleux, elle manigance dans l’ombre tandis qu’Abomino Dégueu, de retour, fomente sa vengeance. Pour se protéger, elle fait alors appel à un spécialiste des sciences occultes, Tendron Mesurat, détective extralucide venu de France, doté de capacités psychiques hors du commun.
Inclassable, foutraque et démesuré, le roman dessine en creux la silhouette aiguë d'un engagement subversif réel. L’autrice née à Cuba, qu’elle rebaptise Caillot Cruz, vit à Paris, aime Miami, épicentre de la diaspora cubaine, mais conserve cette nostalgie poignante de la terre natale, du pays perdu. Elle exprime cette résignation déchirante face à l’exil, drame des migrants, le renoncement à une partie de son identité et l’espoir du changement.
4/ La Fille du train - Paula Hawkins - Traduction Corinne Daniellot - Editions Sonatine - Poche Pocket
Rachel a tout perdu à cause de l'alcool, son mariage, son boulot, ses amis. Depuis son divorce, elle a atterri chez Cathy à qui elle n'a pas annoncé son licenciement et prétend chaque matin se rendre à Londres pour travailler en empruntant le train de banlieue de 8h04. Train qui marque un arrêt à proximité de l'endroit où elle a habité avec Tom, où, depuis deux ans, il habite toujours avec Anna, sa nouvelle compagne et le bébé que Rachel n'a jamais pu avoir. Dépressive, jalouse, obsédée par son ancien mari, Rachel se rassérène dès le matin à grandes lampées de gin et sa mémoire souvent lui fait défaut. Elle ne sait plus bien ce qu'elle a fait, ce qu'elle a dit lorsqu'elle était ivre. A côté de la maison de Tom et Anna, de nouveaux voisins se sont installés. Depuis le train d'où Rachel les observe à chaque aller-retour, ils ont l'air très amoureux. Sans connaître leur véritable identité, elle les a surnommés Jess et Jason leur inventant une vie parfaite. Jusqu'au jour où Rachel aperçoit furtivement Jess dans les bras d'un autre homme. Le lendemain, elle découvre dans le journal que celle-ci a disparu et qu'elle s'appelle en réalité Megan. Témoin peu fiable mais persuadée d'avoir vu quelque chose d'important, Rachel se met en relation avec la police et s'immisce dans l'enquête.
Alcoolisme, mensonges, trahisons, Paula Hawkins colore son récit d'une atmosphère poisseuse. Les trois femmes qui prennent tour à tour la parole dans un assemblage polyphonique efficace, apportent chacune leurs pièces du puzzle tandis que s'épaissit le mystère. Paula Hawkins creuse les apparences pour nous révéler les manques et les regrets de chacune de ces femmes, leurs attentes déçues, leurs obsessions morbides. En laissant courir la persistance du doute jusqu'au dénouement, elle nous prend dans les rets d'une intrigue retorse. Un thriller haletant !
Victime d'un grave accident, Michèle Isola dite Micky, 20 ans se réveille dans la chambre d'une clinique très privée. Visage et mains brûlés, elle a perdu la mémoire dans l'incendie qui a coûté la vie à Domenica, une amie d'enfance issue d'un milieu modeste qui avait subitement resurgi après des années d'absence. Micky ne se souvient pas. Alors que la chirurgie réparatrice lui redonne un visage et qu'elle retrouve les mots, son amnésie perdure malgré les efforts des médecins, comme si les souvenirs que ceux-ci distillent au compte-goutte ne lui appartenaient pas. Nièce et seule héritière de La Raffari, entrepreneuse à la tête d'un empire du soulier en Italie, Micky, gamine capricieuse de la jet-set, est riche à la suite du décès de sa tante. Alors que Jeanne Murneau, la gouvernante qui a élevé la jeune femme lui raconte sa vie, lui réapprend à être elle-même, Micky se met à douter de sa propre identité. Ne serait-elle pas plutôt Domenica méconnaissable ? Qui est-elle vraiment ?
Oeuvre vénéneuse, roman noir d'une efficacité redoutable, Piège pour Cendrillon tisse lentement sa toile à travers un écheveau de faux-semblants. Rapidement, Sébastien Japrisot fait poindre l'idée d'une machination terrible, d'un meurtre, idée déjà suggérée par les titres de chapitres déroulés comme une comptine macabre. L'auteur dépeint avec une grande finesse les fêlures, les excès, les obsessions amoureuses de ces femmes blessées, rebelles, manipulées. Thriller épatant dont le suspense haletant vous rendra accro.
6/ Les Apparences - Gillian Flynn - Traduit de l’anglais par Héloïse Esquié - Editions Sonatine - Poche Le Livre de Poche
En apparence, Nick et Amy forment un couple idéal. Trentenaires new-yorkais, leur rencontre est une histoire digne des comédies romantiques. Nick est journaliste. Il écrit au sujet des cultures urbaines. Amy, fille unique d’auteurs à succès de livres pour enfants dont elle est l’héroïne, rédige des tests psychologiques pour les magazines. Mais leur existence souriante bien orchestrée est mise à mal par la crise qui frappe de plein fouet le monde de la presse. Nick perd son travail, suivi de peu par Amy qui compte sur l’argent que ses parents ont mis de côté pour elle. Nick et Amy célèbrent leur cinquième anniversaire de mariage. Alors qu’il se lève tardivement pour aller travailler au bar qu’il tient avec sa sœur jumelle, elle est déjà dans la cuisine à préparer des crêpes pour fêter l’occasion. C’est la dernière fois qu’il la voit.
La mise en scène machiavélique des personnages amène le lecteur à s’interroger sur chacun d’entre eux. Décortiquant, disséquant les vicissitudes de la vie conjugale, Gillian Flynn excelle dans la capacité à nous faire douter de tout, décapant avec allégresse le vernis des apparences, dévoilant des vérités sombres sur l’âme humaine et les contradictions du couple. Peu à peu, les retournements qui ponctuent le livre mettent à jour machinations perverses et faux-semblants d’une âpreté rare.
7/ Miso Soup - Ryû Murakami - Traduit du japonais par Corinne Atlan - Editions Picquier - Picquier poche
Kenji, 20 ans, est guide dans les quartiers chauds de Tokyo, jungle de néon où règne une atmosphère poisseuse, entre solitude et désespoir. Illégalement, il promène des étrangers lubriques de love hotels en lingerie rooms, salons de massage et bars sordides. Frank, un américain très middle class qui se prétend importateur de pièces détachées Toyota, a réservé ses services pour les trois nuits précédents le Nouvel An. Son comportement de plus en plus étrange pousse Kenji à s’interroger sur la réelle nature de son client. Une lycéenne démembrée, un SDF carbonisé, ce gaijin, aurait-il un lien avec les meurtres abominables qui ont eu lieu à Kabuchikô ?
Thriller glauque, livre dérangeant et complexe, Miso Soup dénonce la déliquescence de la société japonaise anesthésiée par la surconsommation et le vide existentiel. Le roman initiatique se fait violente diatribe envers une société qui voue les êtres humains à la solitude et la vacuité. Texte électrisant, provocant, amer et noir, réflexion profonde sur le monde moderne. Une énorme claque.
8/ La femme riche - Patrick Besson - Editions Albin Michel - Poche Mille et une nuits
Michel, apprenti tueur à gage engagé par l’intermédiaire de Roland étrange personnage paradoxal, accepte d’éliminer la femme d’un célèbre chirurgien esthétique. Il est question d’une série de contrats à venir pour lesquels il faudra tuer des femmes et uniquement des femmes. Alors que le mystérieux premier commanditaire ne demande que de supprimer Nathalie Forest dont le spadassin moderne, erreur de débutant, tombe rapidement amoureux, Michel en guise de préliminaires s’exerce sur d’autres victimes choisies au hasard. Le mystère de cet ancien banquier reconverti en tueur de dames et dont on ignore les méthodes demeure intact jusqu’à la moitié du roman. La véritable prouesse de Patrick Besson est de tenir jusque-là sans révéler l’arme du crime ni les motivations de cet insolite assassin.
Entre désillusion et manipulation, Patrick Besson, observateur subtil de la société, constate la fin du romantisme emporté par la décadence des mœurs qu’il souligne d’un fiel délectable, d’une ironie cinglante teintée de cruauté. L'auteur, styliste de talent, insolence flamboyante, manie la dérision comme nul autre. "La femme riche" est un roman noir mais également une histoire d’amour qui hésite entre l’impertinente sotie et la glaçante tragédie moderne.
Cassie Wright star du X déclinante décide de mettre fin à sa carrière en tournant un dernier gang-bang dans lequel elle envisage de pulvériser le record de partenaires sexuels en une nuit, en copulant avec six-cents hommes dans la foulée. La nuit du tournage, les six-cents types attendent leur tour, en caleçon, autour d’un buffet de junk food, dans un hangar sordide, un numéro inscrit au marqueur indélébile sur le biceps. Cette faune hétéroclite, véritable maelstrom sociétal, se compose de comédiens en mal de reconnaissance, d'amateurs de films porno de tout poil, de tout genre, de paumés, de marginaux, de pervers. Les quatre narrateurs qui veillent en attendant de rejoindre le plateau, nous livrent leurs impressions tout au long de cette soirée peu ordinaire. Personne ne pense que Cassie survivra à cet exploit sportif et tous espèrent tirer un peu de gloire de cette nuit sordide.
Ce roman à suspense, thriller pornographique, obscène et drolatique, explore le côté sombre de la société américaine en empruntant la voie des films pour adultes, part éminemment importante de l’industrie mondiale du divertissement. Snuff est un roman bien sale, pas du tout érotique, repoussant et fascinant, navrant et jubilatoire, dans lequel l’auteur n’hésite pas à mêler humour, mélancolie et obscénité avec panache. Un livre au vitriol, goguenard, poisseux et loin d'être aussi superficiel que le thème ne le suggérerait.
Andréas Schaltzmann est un être très perturbé. Depuis sa prime jeunesse où il calmait ses angoisses en provoquant des incendies, il a multiplié les séjours en hôpital psychiatrique. Aujourd’hui, en 1993, il est persuadé que des Aliens de la planète Vega se sont alliés aux Nazis pour conquérir la planète et que ce complot généralisé s’étend jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat. Il se convainc alors qu’il a été contaminé par un virus extra-terrestre qui le fait pourrir de l’intérieur et décide d’entrée en résistance en s’en prenant à tous les faux humains qui croisent son chemin. Porté par sa furie paranoïaque, celui qui est désormais surnommé le vampire de Vitry, débute une cavale sanglante à travers la France. Schaltzmann est arrêté après une tentative de suicide manquée et confié à trois scientifiques, une psychologue, un cogniticien et Arthur Darquandier, spécialiste des sciences cognitives et de la conscience neuronique. Ce dernier est l’inventeur d’une intelligence artificielle, une neuro-matrice, surnommée Docteur Schizzo.
Ce récit à la noirceur romanesque traduit la profonde fascination de son auteur pour les sciences. Abondamment documenté, l’ouvrage s’appuie sur des théories scientifiques que Dantec mâtine de mysticisme en s’inspirant des préceptes chinois du Tao, de la Kabbale juive du Zoar, du bouddhisme, du soufisme, du gnosticisme chrétien. Maurice G. Dantec partage sa vision troublante de lucidité du développement d’internet, des réseaux de communication, du cyber espace. Il décrypte avec vingt-cinq ans d’avance le futur des nouvelles technologies et de leur impact sur la société. Sous l’effet d’un numérique omniprésent, le monde semble se déshumaniser peu à peu. Violent, fascinant, complexe, un livre troublant.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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