Paris : 10 rues insolites qui valent le détour, 10 voies bucoliques, historiques, incongrues

 


La Ville Lumière compte environ six-mille voies publiques et privées. Vastes artères haussmanniennes, monuments pléthoriques, grands musées, le Paris touristique réserve peu de surprise. Redécouvrir la Capitale hors des sentiers battus nécessite de sortir de sa zone de confort et de quitter ses quartiers de prédilection pour arpenter d’autres lieux méconnus. Le goût de la flânerie ouvre aux multiples facettes de la ville pour peu qu’au cours des promenades, on se montre un peu attentif aux détails. Heureux hasard et plaisir du secret dévoilé, les découvertes au gré des balades nourrissent un imaginaire urbain alternatif. Les rues les plus insolites révèlent les multiples facettes de la ville. Ces voies se distinguent par leur configuration, leur nom curieux, leur légende, leur portée historique ou leur charme champêtre et passent souvent inaperçues auprès des piétons pressés. Rues atypiques, dans leurs proportions, leur atmosphère villageoise, venelles historiques, médiévales, architecturales, témoignent par leur originalité de l’urbanisation, du développement de la cité. Ces incongruités, préservées de l’appétit destructeur des promoteurs immobiliers qui tendent à rentabiliser le moindre mètre carré, ont échappé aux planifications dévastatrices. Les vestiges du Vieux Paris rescapés des grands travaux du baron Haussmann, les micro-quartiers dont la topographie est marquée par les contraintes de l’urbanisme, côtoient à l’abri des regards, la ville somptuaire qui attire toute l’attention. Pépites bien cachées aux quatre coins de Paris, les rues insolites racontent l’inspiration des architectes, la vocation originelle des quartiers, ou bien tout simplement le penchant pour les mystères et les anecdotes cocasses associées à leur nom. Florilège de 10 rues insolites qui valent le détour !





Accès 50/52 rue Beauregard - 87 rue de Cléry - Paris 2
Métro Strasbourg Saint Denis lignes 4, 8, 9

La rue des Degrés est la plus petite rue de Paris. Dans le quartier Bonne Nouvelle, au cœur du Sentier, elle a jeté ses quatorze marches de la rue Beauregard vers le 87 de la rue de Cléry. Cette rue-escalier aménagée après la démolition de l'enceinte Charles V vers 1634 mesure à peine 3,30 mètres de large et 5,75 mètres de long - 6 mètres selon la base de données de la Ville de Paris - ce qui en fait la plus courte de la Capitale. Les bâtiments riverains sont accessibles par les voies des niveaux inférieur et supérieur. Longée par des façades aveugles, portes et fenêtres encore suggérées ayant été murées, la rue des Degrés possède le charme pittoresque des curiosités architecturales et topographiques auxquelles seule l'histoire secrète de la ville peut donner sens.





Accès 15 rue Pastourelle / seconde 3 rue Charlot fermée par une grille - Paris 3
Métro Rambuteau ligne 11

La Ruelle Sourdis présente une physionomie typiquement médiévale malgré une création en 1626. Fruit d’une servitude imposée à un propriétaire afin de délimiter les différentes parcelles des hôtels particuliers, au sud, ceux de la rue des Quatre-Fils, au nord ceux de nos actuelles rues Charlot et des Archives, elle a conservé de nombreux éléments pittoresques d’origine. La largeur réduite de 3 mètres, le pavage inégal marqué par un ruisseau axial, des poternes, bornes chasse-roues entre lesquelles les piétons se protégeaient de la circulation avant la diffusion du modèle de trottoirs à Paris au XIXème siècle, confèrent à l’ensemble un charme indéniable. Charme à peine troublé par les bâtiments plus récents moins élégants. Euphémisme. Au début de la venelle, les constructions à encorbellements typiques permettaient d’agrandir les logements tout en évitant une augmentation des cotisations foncières, calculées à partir de l’emprise au sol. La ruelle Sourdis, tracée en équerre, ploie en un brusque coude inaccessible. De nos jours, l’entrée débouchant sur la rue Charlot est fermée. Cette voie privée, demeure partiellement accessible depuis la rue Pastourelle pour un véritable voyage dans le temps.





Accès 129 rue Saint-Martin et 54 rue Quincampoix - Paris 4
Métro Rambuteau ligne 11

La rue de Venise l’une des plus étroites de Paris débouche depuis la rue Quincampoix sur le parvis de Beaubourg, étroite fente entre deux murs de guingois qui s’élargit à mi-chemin de ses 52 mètres de long. Cette vénérable voie publique illustre par sa physionomie l’histoire du quartier Saint-Merri.  Ce dernier, l’un des plus anciens de la ville, a vécu des transformations et des réinventions plus ou moins heureuses. Drastiquement remanié dès les années 1930, rasé en grande partie, il a été partiellement repensé dans les années 1970 selon les préceptes esthétiques et architecturaux de l’époque. La rue de Venise a su préserver certaines particularités charmantes. Les éléments singuliers de cette venelle convoquent la mémoire d’un Paris médiéval disparu. L’angle d’une façade, ses proportions, l’avancée d’un balcon, la survivance d’une fontaine nous parlent d’une ville tout autre, d’un temps jadis. Ces fragments historiques contrastent avec les créations du XXème siècle qui ont durablement investi le tissu urbain pour en changer radicalement l'apparence. 





28 rue Vieille du Temple - Paris 4
Métro Saint Paul ligne 1

La rue du Trésor, en réalité d’une impasse, débute au 26 rue Vieille du Temple. L’exquise enclave arborée fait les délices des amateurs de terrasses. Sa quiétude hors du temps semble à peine troublée les soirs d’été par l’enthousiasme de ces derniers. Plates-bandes fleuries, buissons foisonnants distillent de doux parfums champêtres. La faible hauteur du bâti et son élégante largeur de douze mètres laissent à la lumière naturelle le champ libre. Les boutiques du rez-de-chaussée en rajoutent dans la luxuriance des couleurs. Les cafés et restaurants animés, tables débordant sur les pavés, font de cette discrète venelle l’un des lieux des plus prisés du Marais. La rénovation méticuleuse de la rue du Trésor en 2004 lui a définitivement redonné un air pimpant.





Accès entre la rue Chanoinesse et le quai aux Fleurs - Paris 4
Métro Cité ligne 4

La rue de la Colombe a conservé le charme des venelles médiévales. Son tracé sur la partie de l’île de la Cité préservée a échappé aux projets d’Haussmann qui ont profondément modifié les abords du Palais de la Cité. Située dans l’ancien quartier du chapitre de Notre-Dame, cette ruelle pavée se caractérise par la présence de vieilles maisons intéressantes sur la rive impaire aux numéros 3, 5, 7. Son nom proviendrait de l’enseigne d’un commerce du XIIIème siècle. La légende des deux colombes, largement diffusée à partir des années 1950, serait plutôt une poétique invention de Michel Valette, célèbre cabaretier qui y tint commerce de 1954 à 1985. La rue de la Colombe se trouve mentionnée dans « Le Dit des rues de Paris » de Guyot vers 1300 sous l’appellation rue de la Coulombe, orthographe qui pourrait renvoyer à la « colonne » en vieux français plutôt qu’à l’oiseau. Un manuscrit de 1636, « Estats, noms et nombre de toutes les rues de Paris » cite la rue de la Colombe. En 1702, la venelle comporte six maisons et deux lanternes. 





Accès 9 quai Saint Michel / 12 rue de la Huchette - Paris 5
Métro Saint Michel ligne 4

La rue du Chat qui Pêche, venelle pavée fendue par un ruisseau axial, sinue entre deux immeubles, réminiscence du Vieux Paris d’avant Haussmann. A deux pas de la place Saint Michel et de la cathédrale Notre Dame, l’étroit passage a été percé en 1540. A cette époque, les maisons qui bordent la Seine ont littéralement les pieds dans l’eau et la rive est accessible par quelques volées d’escaliers. Chemin de traverse entre la rue de la Huchette et ce qui deviendra le quai Saint Michel, la courte voie facilite l’accès aux berges des habitants du quartier venus puiser les eaux du fleuve. Désormais boyau fort malodorant, la rue du Chat pêche semble servir de lieu d’aisance à un public peu ragoûté, peu ragoûtant. Il lui reste le charme de ce nom cocasse tout à fait délicieux et propre à inspirer les légendes. Sa singulière conformation qui attire encore les touristes en mal de pittoresque en fait l’une des rues les plus étroites de Paris. Officiellement 1,80 mètres au plus large du passage et 1,57 mètres au plus étroit. Néanmoins la rue du Prévôt - 1,80 mètres - dans le Marais, la rue Berton - 1,50 mètres - à Passy et la sente des Merisiers - 0,87 mètres - Porte de Vincennes, lui disputent âprement le titre.





Accès 32 rue Didot / 87 rue Raymond Losserand - Paris 14
Métro Pernety ligne 13

De la rue des Thermopyles aux villas de la rue Didot, la traversée de l'ancien village de Plaisance réserve des moments propices à la flânerie. La verdoyante rue des Thermopyles, pure création de l’ingénieux spéculateur Alexandre Chauvelot (1791-1861), ancêtre des grands promoteurs immobiliers, est l'exemple parfait de ces cités ouvrières devenues petit luxe parisien. L'homme d'affaires se révèle hellénophile amateur d'histoire antique dans ses choix d’appellation. En 1845, il créé le village des Thermopyles ainsi que le passage Leonidas. La minuscule agglomération voit le jour sur un terrain inculte, troué de carrières, qui coïncide avec l'ancien domaine de Fantaisie, dont la propriété a longtemps été attribuée au Duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV et Madame de Montespan. Le passage des Thermopyles est alors la voie principale de cette création urbaine en plein cœur de Plaisance qui sera rattaché à Paris en 1860. En 1937, après nombre de remaniements et quelques amputations, le passage des Thermopyles change de qualification pour devenir rue. De nos jours, au nord de la rue des Thermopyles, vers la rue de Plaisance, la ville est typiquement faubourienne avec son bâti de taille moyenne, ses constructions de briques rouges et grises tandis qu'au Sud, côté rue Boyer-Barret, les façades s'affichent haussmanniennes. 





Accès croisement de la rue d'Ankara et avenue Marcel Proust d'un côté, avenue de Lamballe et escalier du 57 rue Raynouard - Paris 16
Métro Passy ligne 6

La rue Berton sinue à flanc de colline au cœur du XVIème arrondissement. Sa configuration singulière convoque le souvenir d'un Passy champêtre, lieu de villégiature, hors de la ville, prisé de l'aristocratie. Indiquée dès 1730 sur le plan Roussel de 1730, successivement rue de Seine puis du Roc, elle prend le nom de Berton, par décret du 2 octobre 1865, en hommage à Pierre Monton Berton (1727-1780) et Henri Montan Berton (1767-1846) compositeurs. Séparée de sa partie basse devenue rue d'Ankara en 1954, elle débute pittoresque à souhait côté avenue Marcel Proust. Les secrets bucoliques du quartier, jalousement préservés des regards, se calfeutrent derrière cerbères et systèmes de sécurité high tech. Rarement accessibles au public, ils frustrent et font fantasmer les flâneurs amoureux de la ville. Ceux-ci retrouvent pourtant au coeur du village de Passy avec l'église en son centre, jardins secrets, merveilles dissimulées derrières des portes, tous les objets de son affection. 





Accès Place Dalida, 16 rue Girardon, rue des Saules - Paris 18
Métro Lamarck-Caulaincourt ligne 12

La pittoresque rue de de l’Abreuvoir, chemin préservé du Vieux Montmartre, inspire les photographes du monde entiers et les artistes, à l’instar, dès 1914 de Maurice Utrillo. La gracieuse venelle serpente sur le flanc de la Butte, invitation à la flânerie. Les courbes de l’ancienne sente de terre, la perspective sur le Sacré-Cœur et le Château d’eau du square Carpentier définissent un sujet pictural de choix. Malgré la disparition d’une partie des vieilles maisons typiques, la rue de l’Abreuvoir conserve le charme et le tracé d’un vieux chemin villageois. La présence de ce dernier est attestée sur le plan du cadastre de 1325, sous le nom de ruelle du Buc. Le plan Albert Jouvin de Rochefort en 1672 mentionne la venelle à l’état de chemin. Il prend en 1843 le nom de chemin de l’Abreuvoir puis devient une rue en 1863. En 1867, un décret impérial valide un projet d’urbanisme qui menace l’intégrité de la rue de l’Abreuvoir. Il s’agit d’appliquer à cet ancien sentier villageoise le programme des grands travaux d’Haussmann. La charmante ruelle doit laisser la place à une vaste avenue Prosper de Chasseloup-Laubat, ministre de Louis-Napoléon Bonaparte, une artère bordée d’immeubles en pierre de taille. Cette entreprise, suspendue à l’occasion de la guerre franco-allemande de 1870, ne sera pas menée à bien. Pour notre plus grand plaisir. 





Accès 9 rue du Docteur Blanche Paris 16
Métro Jasmin ligne 9

La rue Mallet-Stevens, dans le quartier d’Auteuil, illustre avec force les théories architecturales et esthétiques développées par Robert Mallet-Stevens (1886-1945) dès 1917. Auteur de l’ensemble du lotissement initial commandité par l’homme d’affaires Daniel Dreyfus, l’architecte a choisi de déployer la voie sur le modèle des villas parisiennes. L’impasse inaugurée le 20 juillet 1927 débute au numéro 9 de la rue du Docteur Blanche. Page d’histoire à ciel ouvert du mouvement moderne, elle incarne l’élan de renouveau formel de l’architecture résidentielle durant l’Entre-deux-guerres à Paris. La séquence homogène conçue comme un espace en creux sculpté par l’architecte, est l’une des oeuvres majeures de Robert Mallet-Stevens. Chaque résidence privée - cinq hôtels et une maison de gardien - appartient à un grand ensemble, un corps architectural indivisible, moderne, rationnel, spectaculaire.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.