Joyaux des parcs, des squares et des plus belles places de la Capitale, les deux-cents fontaines d’agrément que compte Paris rivalisent d’élégance. Ces fleurons du patrimoine incarnent la poésie de l’eau en ville, danse gracieuse, chant mélodieux. Eléments familiers du quotidien des riverains, leur diversité éclaire la créativité des architectes et des artistes mais également les ingénieurs, auteurs de mécanismes complexes. Les carences en budget d’entretien laissent malheureusement beaucoup d’édicules à sec. A l’origine, les fontaines ont pour vocation d’alimenter la population en eau potable, une problématique essentielle des grandes villes. Louis XIV, féru de fontaines somptuaires, symboles de prestige, d’opulence et prouesses techniques, en fait édifier un grand nombre. Napoléon veille à la construction de nouveaux points d’eau utilitaires. Au cours du XIXème siècle, alors qu’émerge la ville moderne sous l’avancée des grands travaux d’Haussmann, les fontaines d’agrément se multiplient. Riches décors, sculptures de bronze, de pierre, foisonnement de marbre, elles empruntent leurs motifs à la mythologie, divinités du Panthéon grec, nymphes et naïades, ont recours à l’allégorie, pour personnifier les fleuves, les continents, du commerce, des métiers. Esthétique mémorable, ouvrages monumentaux, les remarquables fontaines patrimoniales embrassent les lignes de l’architecture classique. L’urbanisme moderne poussera ces édicules vers plus originalité à partir de 1945. Les fontaines contemporaines feront l’objet d’un prochain florilège. En attendant, tour d’horizon des 10 plus belles fontaines classiques de Paris.
Place Joachim du Bellay - Paris 1
Métro Châtelet ligne 1, 4, 7, 11, 14
La fontaine des Innocents, ouvrage exceptionnel de la Renaissance, chef-d’œuvre architectural inscrit aux Monuments historiques depuis 1862, est devenu un lieu de rendez-vous du quartier des Halles. Si les naïades aux corps voilés dansent encore entre les pilastres, l’eau ne coule plus depuis 2017. Victime des incivilités, couverte de graffitis, la fontaine fait l’objet d’une campagne de restauration visant notamment à ses vasques ébréchées et les dalles descellées autour du grand bassin. En 2014, le Conseil de Paris avait voté un budget de 4 millions d’euros pour sa restauration, sans que cela soit suivi de faits. Très abimée, sa préservation a fait l’objet d’une pétition signée par plus de 3000 citoyens. Un nouveau budget de 5 millions d’euros a été voté. Le comité scientifique en charge de la restauration s’est réuni pour la première fois en septembre 2019 afin de définir un protocole de restauration sous la houlette de son directeur Pierre-Henry Colombier, sous-directeur du patrimoine et de l'histoire à l'Hôtel de Ville, ainsi que de Valérie Guillaume, directrice du musée Carnavalet et de Véronique Milan, responsable de la conservation des œuvres d'art religieuses et civiles (COARC) à la Mairie de Paris. Le chantier a débuté en 2022.
Angle rue de Richelieu et rue Molière - Place Mireille - Paris 1
Métro Pyramide lignes 7, 14
La fontaine Molière, située au 37 rue de Richelieu, à deux pas de la Comédie française célèbre le génie de Jean-Baptiste Poquelin, grand dramaturge national plus connu sous le nom de Molière (1622-1673). Inauguré le 10 janvier 1844, le monument n’est toujours pas inscrit aux Monuments historiques malgré l’attachement des Parisiens à cet hommage. En 1838, lorsqu’une ancienne maison est rasée au carrefour des rues de Richelieu et Molière, la création d’une fontaine est envisagée. L’ouvrage inédit remplacerait alors une construction plus ancienne, fontaine du XVIIème siècle, édifiée en 1671, dite de l’Echaudé-Richelieu. Cette dernière a été détruite en 1830 car elle perturbait la circulation croissante aux alentours du Palais Royal. François Joseph Regnier (1807-1885) sociétaire de la Comédie française relance alors l’idée d’un monument hommage à Molière. Jusqu’alors, peu de personnalités civiles sont représentées dans l’espace public, privilège des souverains et des chefs de guerre. Le caractère d’utilité publique de la fontaine donne plus de poids à l’entreprise. Une souscription nationale lancée par l’Académie française, finance le projet. La fontaine est érigée à deux pas de l’ancien domicile du dramaturge, situé 40 rue de Richelieu, lieu où il est décédé le 17 février 1673, vers 22h, au sortir d’une représentation du « Malade imaginaire ». Représentation au cours de laquelle il avait fait un malaise. Contrairement à la légende, le dramaturge n’est pas mort sur scène mais chez lui, des suites d’une « fluxion de poitrine », une pneumonie ou une pleurésie. La fontaine Molière vient de faire l’objet d’une restauration soigneuse. Elle est désormais de nouveau en eau après des années d’abandon.
Angle rues Cuvier et Linné - Paris 5
Métro Place Monge ligne 7
La Fontaine Cuvier, monumentale a été érigée entre 1840 et 1846 en hommage à Georges Cuvier (1769-1832), naturaliste, professeur d’anatomie comparée au Muséum d’histoire naturelle, père fondateur de la paléontologie. Et un sale type. Il fait partie des scientifiques qui ont soutenu les théories anatomistes racistes développées à cette époque. Fasciné par le cas de Saartjie Baartman, la Vénus Hottentote, esclave sud-africaine montrée dans des zoos humains à travers toute l’Europe, Cuvier a joué un rôle sordide lors du décès de celle-ci. Autopsie, moulages, prélèvement d’organes, reconstitution de son squelette dans le but de l’exposer, la dépouille de cette malheureuse, devenue pièce des collections du Muséum d’histoire naturelle, ne sera rendue à l’Afrique du Sud afin d’être décemment inhumée qu’en 2002. Ambitieux opportuniste politique, Cuvier a ralenti, du fait de sa mainmise sur le système universitaire, la diffusion en France des théories transformistes qui mèneront à la théorie de l’évolution.
Place Saint Michel - Paris 6
Métro Saint Michel ligne 4
La fontaine Saint Michel, point de ralliement animé du Quartier Latin, entretient le souvenir des manifestations étudiantes de mai 1968 et celui des affrontements pour la Libération de Paris en août 1944. Son style, fruit de l’éclectisme caractéristique du Second Empire, emprunte à la Renaissance italienne. La structure, niche centrale encadrée de quatre colonnes et surmontée d'un fronton, s’inspire de celle de la fontaine Médicis. La réalisation monumentale occupe l’entièreté d’un mur pignon, jonction en angle aigu du boulevard Saint Michel et de la rue Danton. Son format, vingt-six mètres de haut et quinze de large, a été imposé par le désir esthétique de masquer ce pan aveugle. La réalisation de la fontaine décorative intervient, à la suite du bouleversement urbain engendré par les grands travaux du préfet Haussmann. L’aménagement de la nouvelle place Saint Michel est confié à l’architecte Gabriel Davioud (1824-1881), au service des Plans de la Ville de Paris depuis 1843. Concepteur de l’ensemble, il intègre parfaitement la fontaine dans son environnement. Lors de son inauguration officielle, le 15 août 1860, l’esthétique de la fontaine Saint Michel fait l’objet de critiques variées. Des interventions mineures concernant son aspect permettront certains ajustements. Elle est inscrite à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 16 mars 1926.
Jardin du Luxembourg - Paris 6
Métro Odéon ligne 4
La fontaine Médicis, prisée pour son charme par les photographes du monde entier, attire sur ses rives étudiants, flâneurs et amoureux tout au long de l’année. Le couple de marbre tendrement enlacé de son motif central prête aux doux sentiments. L’ombre bienfaisante de sa double allée de platanes lui confère une quiétude heureuse. Classée par liste de 1889 aux Monuments historiques, la fontaine Médicis a tout d’abord été la grotte du Luxembourg, une construction artificielle inspirée par la grotte de Buontalenti du Palais Pitti, où la reine-mère Marie de Médicis (1575-1642) a vu le jour. Au lendemain de la mort d’Henri IV, sa veuve, la régente de France jusqu’en 1614, souhaite faire construire une résidence à Saint-Germain-des-Prés dans le style florentin, en souvenir de sa ville natale. En 1611, elle fait l’acquisition de l’hôtel particulier de François de Piney, duc de Luxembourg. Pour donner de plus royales proportions au domaine, elle achète des terrains aux alentours. De 1612 à 1614, l’architecte Salomon de Brosse s'attèle à la conception des plans. Pour son nouveau Palais du Luxembourg, Marie de Médicis souhaite que le jardin égale en beauté celui de Boboli. Elle imagine déjà de nombreux bassins, fontaines, nymphées, terrasses et grottes à l’instar de la grotte du Luxembourg, future fontaine Médicis.
Jardin des Grands Explorateurs Marco Polo et Cavelier-de-la-Salle
Avenue de l’Observatoire - Paris 6
Métro Raspail lignes 4, 6
La fontaine des Quatre Parties du Monde dite aussi fontaine de l’Observatoire est l’une des plus célèbres et des plus belles de Paris. Cœur du jardin des Grands Explorateurs Marco Polo et Cavelier-de-la-Salle, le long de l’avenue de l’Observatoire, tout au bout du jardin du Luxembourg, elle frappe par sa beauté plastique évidente, son homogénéité, sa puissance symbolique et son dynamisme. L’énergie de l’eau ajoute aux effets suggérant le mouvement du groupe principal, quatre figures allégoriques qui semblent danser autour d’un d’une sphère tenue à bout de bras. Cet ensemble de Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) intitulé Les Quatre Parties du Monde soutenant le globe céleste a donné son nom à la fontaine. Oeuvre collective réunissant en son sein les talents outre de Carpeaux, d’Emmanuel Frémiet ou d’Eugène Legrain, elle est ornée de sculptures au style d’une grande modernité pour l’époque. Lors de son inauguration en 1874, la fontaine suscitera une forte contestation. Inscrite au titre des Monuments historiques, depuis 1926, la fontaine des Quatre Parties du Monde fait désormais l’unanimité.
Place Saint Sulpice - Paris 6
Métro Saint Sulpice ligne 4
La Fontaine Saint Sulpice a été édifiée de 1843 à 1848 par l’architecte Ludovico Tullius Joachim Visconti, dit Louis Visconti (1791-1853), dans un style renaissance inspiré par la fontaine des Innocents dont je vous parlais ici. A l’ombre des platanes, la place déploie le charme classique de la pierre blonde caractéristique de Paris, écrin modelé au XVIIIème siècle afin de souligner la beauté de l’église Saint-Sulpice. La Fontaine centrale est également appelée fontaine des Quatre évêques ou des Orateurs sacrés en référence aux statues des quatre grands prélats du XVIIème siècle qui l’ornent. Bossuet, Fénelon, Fléchier et Massillon exercèrent leur éloquence à Saint Sulpice. La Fontaine dont les faces sont plus ou moins orientées vers les points cardinaux, était par dérision, ces quatre hommes d’Eglise n’ayant jamais atteint ce rang dans les Ordres, fontaine des Cardinaux. La Fontaine Saint-Sulpice est inscrite par arrêté du 16 mars 1926 au titre des Monuments historiques.
129-131 rue Saint-Dominique - Paris 7
Métro Ecole Militaire ligne 8
La Fontaine de Mars s’est nichée dans un décrochement charmant le long de la rue Saint Dominique. La placette sur laquelle elle est isolée donne accès à la rue de l’Exposition, baptisée en l’honneur de l’Exposition Universelle de 1867. Sous le Premier Empire, un décret de 1806 ordonne la création de douze fontaines monumentales conçues par les meilleurs architectes, Percier, Fontaine… Napoléon Ier décrète que "l'eau coulera dans toutes les fontaines le jour et la nuit, de manière à pourvoir non seulement aux services particuliers, mais encore à rafraîchir l'atmosphère et les rues… Ce sera un beau réveil pour Paris". Ce réseau de distribution de l’eau basse pression, brute et désormais considérée comme non potable puise dans l'Ourcq, affluent de la Marne, qui aménagé est détourné vers le grand bassin de la Villette, se prolonge avec le canal Saint-Martin et aboutit au bassin de l'Arsenal. L'infrastructure hydraulique constituée au cours des années 1820-1850, peu entretenue, inspire néanmoins celle imaginée par Haussmann et ses ingénieurs. Girard, Gényès, Darcy puis Belgrand réalisent des prouesses techniques. La fontaine de Mars est édifiée entre 1806 et 1809 sur une place semi-circulaire plantée de peupliers. En 1858, à la suite de travaux d’urbanisme, elle devient la placette à arcades qui nous est familière. Ce point d’eau, voisin de l’hôpital militaire du Gros-Caillou qui sera rasé en 1900, est tout d’abord baptisé fontaine du Gros-Caillou.
Place de la Concorde - Paris 8
Métro Concorde ligne 1, 8, 12
Les Fontaines de la place de la Concorde illustrent avec élégance l’histoire de l’architecture, des techniques et de l’eau dans la ville. Entre 1836 et 1846, sous le règne de Louis-Philippe, l’ancienne place Louis XV, est profondément réaménagée. Le préfet Rambuteau charge l’architecte Jacques-Ignace Hittorff (1792-1867) précurseur de la ville moderne, de donner un nouveau visage à la plus vaste place de Paris. Par manque de moyens, ce dernier qui souhaite ajouter quatre fontaines en fonte, doit se contenter de deux disposées de part d’autre de l’obélisque de Louxor érigé le 25 octobre 1836. au coeur de la capitale française. Ces fontaines font partie des éléments de la place de la Concorde classés aux Monument historiques par arrêté du 23 août 1937, avec le sol, les statues, les pavillons, les balustrades, les colonnes rostrales et les lampadaires. Leur opulent programme décoratif, ponctué de nombreuses allégories, célèbre les fleuves et les mers, sources de richesses pour le pays.
81 rue Armand Carrel - Paris 19
Métro Jaurès lignes 2, 5, 7bis
Fondé en 1957, le Conservatoire municipal Jacques Ibert, dispense des formations musicales, chorégraphiques et théâtrales. L’école s’installe au 81 rue Armand Carrel en 1987 et prend le nom du compositeur en 1988. Cette étonnante construction est le premier bâtiment réalisé en France par l’architecte Fernand Pouillon (1912-1986) à son retour de quinze années passées en Algérie. Exilé, il ne pouvait plus exercer en France à la suite du scandale de malversation du Comptoir National du Logement. Une façade latérale à pan coupé, à l’angle entre les rues Armand Carrel et Bouret, caractérise la silhouette singulière du Conservatoire. Dans une niche creusée en hémisphère s’élève une imposante fontaine sorte de pastiche néoclassique. L’eau s’écoule depuis le sommet de trois colonnes doriques cannelées enchâssées, de diamètres croissants et ruisselle dans un bassin pour rejaillir par une bouche ornée dans un second bassin et déborde jusque dans un troisième.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire