Paris : Fontaine des Innocents, destinée polymorphe d'une oeuvre de la Renaissance - Ier



La fontaine des Innocents, ouvrage exceptionnel de la Renaissance, chef-d’œuvre architectural inscrit aux Monuments historiques depuis 1862, est devenu un lieu de rendez-vous du quartier des Halles. Si les naïades aux corps voilés dansent encore entre les pilastres, l’eau ne coule plus depuis 2017. Victime des incivilités, couverte de graffitis, dépotoir pour les clients des échoppes de restauration rapide voisines, la fontaine a triste allure avec ses vasques ébréchées et les dalles descellées autour du grand bassin. En 2014, le Conseil de Paris avait voté un budget de 4 millions d’euros pour sa restauration de la fontaine mais si le forum a été profondément rénové depuis dix ans, la fontaine semble avoir été oubliée. Très abimée, sa préservation a fait l’objet d’une pétition signée par plus de 3000 citoyens. Un nouveau budget de 5 millions d’euros a été voté. Le comité scientifique en charge de la restauration se réunira pour la première fois en septembre 2019 afin de définir un protocole de restauration sous la houlette de son directeur Pierre-Henry Colombier, sous-directeur du patrimoine et de l'histoire à l'Hôtel de Ville, ainsi que de Valérie Guillaume, directrice du musée Carnavalet et de Véronique Milan, responsable de la conservation des œuvres d'art religieuses et civiles (COARC) à la Mairie de Paris.








La fontaine des Innocents telle que nous la connaissons aujourd’hui est assez différente de l’édicule originel. Elle est construite de 1547 à 1549 à la place d’une fontaine plus ancienne datant de Philippe Auguste, l’une des premières fontaines de Paris dont elle a gardé le système de distribution d’eau en soubassement. Elle est adossée à l’église des Saints Innocents, qui se trouve alors au niveau des numéros 43 et 45 de la rue Saint Denis. 

Réalisée d’après les dessins de l’architecte Pierre Lescot (1515-1578) initiateur d’un style classique « à la française », la fontaine des Saints Innocents se déploie alors sur trois arcades d’ordonnance corinthiennes, deux travées sur la rue aux Fers (actuelle rue Berger) et une travée sur la rue Saint Denis, voie royale. La partie haute serait inspirée des constructions de la Renaissance italienne notamment d’un arc de triomphe extrait du Livre IV de Serlio (1537) ou encore de la Logetta de Sansovino à Venise (1540). L’étage ouvert en loggia a servi de tribunes lors de l’entrée solennelle le 16 juin 1549 dans Paris du roi Henri II (1519-1559) à la suite de son couronnement en 1547.






Le décor de nymphes et de naïades sculpté par Jean Goujon (1510-1567) aurait donné son nom primitif à la fontaine, fontium nymphae. L’une d’elles a inspiré le tableau la Source (1820-1856) d’Ingres. Les trois divinités marines couchées le long du stylobate, le soubassement continu supportant la rangée de colonnes, sont conservées aujourd’hui au Louvre. Les renommées des écoinçons et les reliefs de l’attique prolongent les scènes peuplées de créatures mythologiques.  

Peu à peu, la fontaine se retrouve placée au cœur du cimetière des Innocents, le plus ancien et le plus important de Paris qui a succédé à une nécropole mérovingienne. Arrivant à saturation, le cimetière est fermé pour des raisons sanitaires en 1780. En 1786, les restes des défunts sont déplacés dans d’anciennes carrières qui deviendront les Catacombes. 




 





L’église des Saints Innocents est rasée en 1785 mais la fontaine sauvée par l’intervention de l’architecte et historien de l’art Antoine Quatrimère de Quincy (1755-1849) et de l’ingénieur Six. Elle est démontée et installée sur la place du nouveau marché aux herbes et aux légumes, ouvert sur l’ancien cimetière. De rectangulaire, elle devient carrée. Afin de créer une quatrième travée en façade pierres anciennes et nouvelles sont mêlées. 

En 1788, le sculpteur Augustin Pajou imagine trois naïades nouvelles dans l’esprit de celles de Goujon. Il s’inspire plus particulièrement d’une oeuvre intitulée la Paix. Il imagine également de nouveaux pilastres et bas-reliefs. En 1810, aux quatre coins de la fontaine sont ajoutées des bornes en forme de lion pour que les porteurs d’eau à bretelles puissent s’approvisionner.








Sous le Second Empire, les grands travaux menés par le préfet de la Seine, le baron Haussmann, vont profondément modifier le paysage urbain. De 1852 jusqu’en 1870, selon les plans de Victor Baltard (1805_1874) dix pavillons des halles sont construits pour replacer les anciens marchés. En 1856, à l’emplacement de celui aux légumes est construit le square des Innocents future place Joachim du Bellay. La fontaine est à nouveau déplacée de quelques mètres afin d’être bien centrée au sein cet espace. L’architecte Gabriel Davioud (1824-1881) mène la manœuvre et apporte de nouvelles modifications esthétiques. Dotée d’un soubassement pyramidal, la fontaine est surélevée sur un socle en gradin à six vasques au centre d’un bassin circulaire. Sous la nouvelle coupole métallique imitant les écailles de poisson est déposée une vasque en bronze sur piédouche. Ainsi la fontaine des Innocents acquiert l’apparence qu’on lui connaît de nos jours. La belle oubliée des rénovations du forum des Halles retrouvera tout son lustre grâce à la campagne de restauration qui devrait aboutir en 2022.

Fontaine des Innocents 
Place Joachim du Bellay - Paris 1
Métro Châtelet lignes 1, 4, 7, 11, 14



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 1er arrondissement - Philippe Godÿ - Parigramme
Paris de fontaine en fontaine - Jacques barozzi - Parigramme
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montlcos - Hachette

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