Paris : 10 immeubles aux façades colorées, 10 bâtiments insolites aussi incongrus que joyeux



Les façades colorées à Paris, incongruités charmantes, apportent un peu de gaieté au cœur de la ville.  Ces immeubles en couleur demeurent une exception. Ils se détachent des normes haussmanniennes, de la pierre de taille et des lignes imposées sous le Second Empire afin d’uniformiser l’esthétique urbaines, créer un ensemble cohérent. Le règlement d’urbanisme s’assouplit entre 1882 et 1902. Une série de décrets libéralise la forme et offre plus de latitude aux architectes. Dès lors, ces derniers expérimentent et donner du caractère aux bâtiments qu’ils imaginent. Les styles architecturaux se diversifient. Le néo-gothique et néo-Louis XIII signent le retour de la brique rouge, rose, ocre. L’Art Nouveau et l’Art Déco introduisent l’utilisation de la céramique, notamment du grès flammé. Les immeubles aux couleurs inhabituelles témoignent d’une histoire, de la personnalité des propriétaires, d’un goût de l’excentricité, d’une volonté de se démarquer. Ces édifices hors normes apportent un peu de pittoresque à la ville. Les immeubles contemporains des nouveaux quartiers parisiens, tel celui de la gare dans le XIIIème arrondissement, assume les ajouts décoratifs inventifs du béton teinté dans la masse. Parfois balcons et terrasses deviennent des éléments bigarrés. Les architectes rivalisent d’ingéniosité pour rendre plus joyeux plus attractif les constructions à la pointe de la modernité. Détachés de l’esthétique patrimoniale, les immeubles flambants neufs font l’objet de ravalement inaccoutumés. Les audaces déconcertantes des nouveautés ainsi que les transformations de bâtiments plus anciens sont soumises à autorisations obtenues auprès de la Ville. La rédaction a sélectionné 10 façades colorées, 10 immeubles aussi pimpants qu’improbables.






46bis rue du Louvre - Paris 2 / 55 rue Jean-Jacques Rousseau - Paris 1
Métro Les Halles ligne 4

L’Hôtel des Téléphones, dit Central téléphonique Gutenberg, amalgame les genres et les époques dans une composition des plus intrigantes. Deux tourelles d’angle d’inspiration médiévale, de vastes verrières empruntées au vocabulaire architectural industriel du XIXème siècle, la pimpante citadelle est revêtue de briques vernissées bleu ciel, tout à fait Art déco avant l’heure. Dans un quartier marqué par l’esthétique haussmannienne triomphante et la pierre blonde, le Central Téléphonique Gutenberg détonne. Le téléphone, dont l’invention en 1876 est attribuée à l’écossais Graham Bell (1847-1922), est introduit en France à partir de 1879 par le biais de réseaux privés. Le Ministère des Postes et des Télégraphes les nationalise en 1889. A Paris, l’engouement pour ce mode de communication inédit est à son comble. Afin de répondre à la demande grandissante de raccordement, il devient nécessaire de créer de nouveaux centraux téléphoniques d’envergure. L’architecte Jean Boussard (1844-1923) est chargé d’édifier le plus vaste de Paris. Mais sa forteresse médiévale bleu layette inaugurée en 1893 est détruite par un incendie en 1908. Charles Giroud (1871-1955) la reconstruit quasiment à l’identique. Il reprend le fer, le verre des verrières monumentales, la brique vernissée mais opte pour une structure en béton armé, matériau nouveau. Le Central Gutenberg garde sensiblement la même silhouette malgré un niveau supplémentaire. De trois étages, il passe à quatre. De nos jours, cet édifice iconique de l’histoire du réseau téléphonique parisien n’est protégé que par le plan d’urbanisme local. Premier bâtiment construit par l’Etat dans le cadre d’un programme de service public naissant, il ne bénéficie pourtant pas d’une inscription à l’inventaire des Monuments historiques. 





5 rue Lagrange - Paris 5
Métro Saint Michel Notre Dame ligne 4 ou Cluny la Sorbonne ligne 10

L’Immeuble rose du 5 rue Lagrange attire les regards et les curiosités. Cette maison de rapport, façade étroite délicate, quatre étages plus les combles, passerait presque inaperçue tant sa silhouette classique se fond dans le paysage architectural. Néanmoins son rose poudré, couleur de l’enfance, distingue l’édifice par sa belle nuance dans l’air du temps, un pastel lumineux également synonyme d’une modernité assumée. Le Corbusier dans sa palette, la collection de la Polychromie architecturale qui comptait soixante-trois teintes, avait déjà développé un vaste éventail de roses. Le rose poudré surnommé le rose millénial séduit les designers en vogue et les architectes les plus inspirés. D’une grande actualité, il investit espaces publics ou lieux de l’intimité tant il se prête volontiers aux variations. Le rose brave les modes. A rebours de l’attribution genrée des couleurs datant de 1920 - le bleu après avoir été le bleu marial, devient celui des uniformes et du bleu de travail, la couleur des garçons tandis que le rose revient aux filles - il est désormais l’apanage de toute une génération.





29 avenue Rapp - Paris 7
Métro Alma Marceau ligne 9 ou Ecole Militaire ligne 8

L’immeuble Lavirotte au 29 avenue Rapp, exemple frappant du Baroque 1900, érotique et décadent, est l’oeuvre de l’architecte Jules Lavirotte (1864-1929) l’un des maîtres de l’Art Nouveau en France avec Hector Guimard. Auteur d’immeubles aux façades remarquables, il a choisi de bannir les lignes droites, de célébrer les courbes et l’exubérance asymétrique. Ses structures ouvragées, richement ornées, s’illustrent par leurs foisonnants décors de grès flammé imaginés en collaboration avec Alexandre Bigot, le céramiste du Modern’ Style, ainsi que par l’utilisation inédite du béton. Achevé en 1901, le curieux édifice du 29 avenue Rapp, source d’étonnement lors de sa révélation, attire toujours les regards curieux des passants sur le chemin de la Tour Eiffel et du Champ de Mars voisins. L’immeuble Lavirotte, prouesse technique, morceau de bravoure, explore les possibilités plastiques des panneaux de grès flammé dans une débauche de formes et de couleurs. 





48 rue de Courcelles - Paris 8
Métro Courcelles ligne 2

La Maison Loo dresse sa silhouette singulière d’inspiration chinoise en plein cœur d’un quartier à l’esthétique très haussmannienne. Haute demeure de quatre étages, elle est l’héritage architectural légué à la Plaine Monceau par Ching Tsai Loo (1880-1957), marchand et collectionneur d’art asiatique. Lorsque l’homme d’affaires achète la bâtisse originelle en 1922, il s’agit d’un très classique hôtel particulier Napoléon III, établi sur seulement deux niveaux. Monsieur Loo a le sens de la communication et confie la transformation de cet édifice à l’architecte Fernand Bloch (1864-1945). Il souhaite offrir un écrin à ses collections personnelles, faire rayonner son commerce, des galeries spécialisées dans l’art extrême-oriental. La Maison Loo, adaptation libre de l’architecture chinoise, est caractérisée par un enduit rouge ocre qui tranche avec panache sur la pierre de taille blonde du quartier. 





30 rue de Londres - Paris 9
Métro Saint Lazare lignes 3, 12, 13, 14

Au 30 rue de Londres, derrière la gare Saint Lazare, une façade de céramique émaillée signale l’ancien Siège de la Société Française des Eaux Minérales créée au début du XXème siècle. L’immeuble édifiée sur les plans de l’architecte Henri Baranton vers 1920 se distingue par ces vibrantes couleurs, bleu, vert. Mentions et symboles ponctuent le décor de grès cérame, oeuvre de la manufacture Fourmaintraux-Delassus de Desvres. Ils évoquent la vocation de l’entreprise. Deux colonnes de bulles filant le long du mur encadrent la façade et rappellent le pétillant des eaux minérales, dans une association perles et bulles. Les couronnes rehaussées de perles sigle de l’entreprise ont été placées au-dessus de la porte d’entrée et de deux fenêtres du cinquième étage. Entre la corniche et les trois fenêtres centrales du premier étage, se trouve inscrit « Vals sources Perles », référence aux sources exploités par la Société Française des Eaux Minérales.





4-6 rue Aumont-Thiéville - Paris 17
Métro Porte de Champerret ligne 3

Les ateliers d’artistes du 4-6 rue Aumont-Thiéville, restaurés récemment, attirent volontiers l’œil par leur façade ripolinée d’un curieux rose vif. Edifié en 1884 par les ateliers Eiffel, l’ensemble se caractérise par une simplicité formelle, structure métallique apparente, remplissage de briques. La façade distribuée en six travées d’ateliers traduit un souci d’économie de moyens et d’épure esthétique. L’ancienne cité d’artistes reconvertie en bureaux et résidences privées classiques a conservé ses vastes verrières orientées au Nord et sa luminosité idéale, ses hauteurs sous plafond importantes ainsi que des aménagements concrets tels que les crochets et les potences susceptibles de soulever des charges en façade.





14 rue Eugène Flachat - Paris 17
Métro Pereire ligne 3

Au 14 rue Eugène Flachat, un hôtel particulier édifié en 1895 par Charles Girault (1851-1932), architecte du Petit et du Grand Palais, du tombeau de Pasteur, dresse une belle façade polychrome sur trois étages couronnés d’un auvent. Le revêtement, calepinage en céramique, briques émaillées et cabochons de grès, inscrit le programme décoratif dans une modernité géométrique qui préfigure l’Art déco. Les frises de faïence scandent les étages, alternance de briques vernissées vertes et de briques jaunes. Les motifs soulignent les fenêtres. Ces éléments agrémentent la façade de notes colorées.





32 rue Eugène Flachat / 51 boulevard Berthier - Paris 17
Métro Pereire ligne 3

Au 32 rue Eugène Flachat, la Maison Dumas fait de l’ombre aux hôtels particuliers voisins. Sa fantaisie colorée accapare toute l’attention. Le revêtement turquoise de faïence rutilante contraste joyeusement avec la brique rouge. La frise de l’archivolte en carreaux de céramique déploie de somptueux motifs méditerranéens, branches de citronnier de Sorrente chargées de fruits. L’architecte Paul Sédille (1836-1900), auteur de l’édifice, a fait appel au céramiste Jules Loebnitz, son collaborateur de longue date, afin de réaliser ensemble cette remarquable façade. Lorsque la rue Eugène Flachat est créée en 1879, François Guillaume Dumas (1847-1819), journaliste, critique d’art et écrivain, fait l’acquisition d’un terrain vierge qui court entre la nouvelle voie et le boulevard Berthier. Il souhaite que sa demeure reflète son succès et son goût pour la modernité esthétique. Paul Sédille, ses idées innovantes, ses expérimentations ambitieuses, apparaît comme l’homme providentiel. 






185 rue Belliard - Paris 18
Métro Porte de Saint Ouen ligne 13

Au 185 rue Belliard, en bordure de l’ancien chemin de fer de la Petite Ceinture, l’immeuble Deneux illustre avec panache le renouveau de l’architecture au début du XXème siècle. Son architecte et commanditaire, Henri Deneux (1874-1969), obtient un permis de construire le 10 mars 1910. Le chantier entamé en octobre 1911, s’achève fin 1913. Edifice précurseur, le bâtiment préfigure les préceptes audacieux du mouvement Moderne. Il s’inscrit dans son époque, s’ancre dans un contexte social, culturel, politique. Sa conception reflète les interrogations liées à l’urbanisation des nouveaux quartiers populaires. Les propositions architecturales d’Henri Deneux répondent à la densification des arrondissements parisiens les plus récents.  La maison de rapport qu’il imagine s’élève sur une parcelle triangulaire d’à peine 82m2, à l’angle des rues Belliard et des Tennis. Toit-terrasse plat, structure de béton armé apparente, façade remarquable recouverte de grès émaillé des ateliers Gentil et Bourdet, cet immeuble est le fruit d’un programme architectural rigoureux à la fois technique, rationaliste et esthétique.




78-80 rue Rébeval - Paris 19
Métro Pyrénées ligne 11

Aux numéros 78 et 80 de la rue Rébeval, se dresse la silhouette colorée d'une ancienne usine Meccano, entreprise britannique spécialiste des jeux de construction. Intrigante façade de brique et pierre de taille tout en courbes et contre-courbes, les raccords aux bâtiments mitoyens ont été érigés en forme de tourelles crénelées. L'immeuble industriel s’élève sur cinq niveaux en cour d’ilot. Il abrite de nos jours l’Ecole des ingénieurs de la Ville de Paris. Construit entre 1921 et 1922, il est l’œuvre de l’architecte d’origine belge Arthur Vye-Papmintep à qui l’on doit également lotissement de la villa Pasteur à Neuilly-sur-Seine. Insolite dans le paysage parisien, il est inspiré par le romantisme pittoresque post-Art Nouveau dont se retrouvent de nombreux exemple à Bruxelles. Jouant sur le double dénivelé du terrain, la partie centrale en cour anglaise se déploie en ailes obliques. Le curieux effet d’optique est renforcé par la verticalité et la variété des baies. Une longue nef entre rue et cour traverse tout l’édifice depuis la grande porte.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.