Paris : Canal Saint Martin, poésie et vocations successives d'une voie d'eau artificielle inventée au XIXème siècle - Xème

 

Le Canal Saint Martin invite à la promenade, au fil de l'eau apprivoisée. Entre le quai de Valmy et le quai de Jemmapes, ces berges arborées séduisent de nombreux Parisiens qui viennent y pique-niquer l'été. Jolis cafés, brasseries branchées, galeries d'art et boutiques coquettes ponctuent les rives de ce parcours pittoresque. À la belle saison, les soirées y déploient des charmes indolents au rythme des flots paresseux. Voie d'eau artificielle au passé industrieux, le Canal Saint Martin se consacre désormais à l'activité touristique. Le fret de marchandises originel a fait place aux croisières de loisir, les barges commerciales aux péniches d'agrément. Les croisiéristes agréés proposent de rallier, le long des 4,5 km du canal, y compris les 2km souterrains, le Bassin de la Villette prolongation du canal de l'Ourcq au Port de l'Arsenal réaménagé en 1983 port de plaisance et à la Seine.  Conçu par l'ingénieur des Ponts et Chaussées Pierre Simon Girard (1765-1836), édifié entre 1822 et 1825, le Canal Saint Martin est constitué de cinq bassins délimités par cinq écluses, dont quatre doubles. Elles gèrent le niveau de l'eau et contrôlent le passage des embarcations. 

Menacé de disparition au profit d'une autoroute urbaine dans les années 1960, le Canal Saint Martin est classé aux Monuments historiques par arrêté du 23 février 1993. La protection concerne l'ensemble du canal et de ses infrastructures, de la place Stalingrad à la place de la Bastille, le canal dans son intégralité, portion couverte et tronçon découvert, les passerelles, les ponts tournants et les neuf écluses.








L'approvisionnement en eau de la ville de Paris constitue une problématique majeure que s'attachent à résoudre les édiles depuis l'Antiquité. Au XVIIème siècle, Marie de Médicis fait construire un important aqueduc afin d’alimenter le palais du Luxembourg et ses jardins sur le modèle de l’aqueduc gallo-romain de Rungis. Sous le règne de Louis XIV, les fontaines d’agrément détachées de toute fonction triviale symbolisent le prestige de la ville, la prospérité. AU XVIIIème siècle, le progrès technologique rend possible l’implantation des premières pompes hydrauliques qui puisent directement dans les flots de la Seine. A la veille de la Révolution, les pompes à feu de l’Alma et du Gros Caillou sont installées sur les berges. Ces dispositifs, élémentaires mais efficaces, éclairent les problèmes de potabilité des eaux du fleuve. 

En 1802, Napoléon Bonaparte, alors consul, mène une réflexion sur l'alimentation en eau potable par la canalisation de l'Ourcq, selon une idée explorée sans jamais avoir été réalisée dès le XVIème. Le décret impérial de Saint Cloud, en 1806, initie la création d’une vingtaine de fontaines monumentales. Les nouvelles infrastructures réalisées sur des plans d’architectes et d’ingénieurs de prestige améliorent le réseau et le quotidien des Parisiens. La création des canaux parisiens, réseau long de 130km composé du canal de l'Ourcq, canal Saint-Denis, canal Saint Martin, bassin de la Villette, est validée par la loi du 29 floréal an X mais la réalisation s'interrompt faute de financement entre 1809 et 1815. 








Sous Louis XVIII, le préfet de la Seine, Gaspard de Chabrol (1773-1843) valide une construction du Canal Saint Martin en concession privée afin de réunir les capitaux nécessaires, 5,4 millions de francs or. La Compagnie des Canaux de Paris est créée en 1818, suivie de sa filiale la Compagnie du Canal Saint Martin. Cette dernière mène le chantier du Canal Saint Martin qui débute sous la houlette de l'ingénieur Pierre Simon Girard. La première pierre posée par Gaspard de Chabrol le 3 mai 1822, l'ouvrage finalisé est inauguré par le roi Charles X (1757-1836) le 4 novembre 1825. 

Le Canal Saint Martin aboutit, de part et d'autre, à deux ports, le bassin de l'Arsenal et le bassin de la Villette, sur un parcours en dénivelé de 25 mètres. Il débute sur la double écluse de la Villette au niveau de la place de la Bataille de Stalingrad et s'achève à la Bastille sans jamais dépasser une profondeur de 2,4 mètres. Creusé dans des sous-sols gypseux, le bassin Louis Blanc, où se trouve de nos jours le Point éphémère, nécessité la réalisation d'un lit maçonné sur pilotis, piliers de seize mètres de profondeur ancrés tous les dix mètres. Au fil des ans, l'eau a dissout le gypse et désormais, le bassin repose uniquement sur ce lit maçonné en suspension. 








Lors de la Révolution de 1848 qui renverse le roi Louis-Philippe, le Canal Saint Martin sert de ligne de défense des insurgés. Dès 1849, sous la Deuxième République, des travaux de couverture d'une portion du canal sont envisagés afin de réduire les risques de barricades. Sous le Second Empire, Napoléon III et le préfet Haussmann engagent un vaste plan de modernisation de la ville de Paris. Le Canal Saint Martin, perçu comme une menace dans le cadre du maintien de l'ordre, va partiellement enseveli sous prétexte de fluidifier la circulation dans le nouveau centre de la Capitale, décalé par l'annexion des communes limitrophes de Paris au territoire de la Ville. La suppression des quais du Canal Saint Martin, entre la place de la Bastille et la rue Rampon, est approuvée par décret du 30 avril 1859. La voie d'eau artificielle est dissimulée sous un système de voûtes permettant une navigation souterraine. Le chantier s'achève en 1860. 

Les quais Charles-X et Louis-XVIII tracés en 1821 disparaissent au profit de la création du boulevard Richard Lenoir qui se prolonge jusqu'à la Bastille. Deux voies de circulation encadrent le terre-plein central large de trente mètres, ponctué de quinze squares dessinés par Gabriel Davioud. Le niveau du canal est abaissé de 5,5 mètres. Sur la portion à découvert, les premières passerelles piétonnes traversantes sont construites à partir de 1860. Trois nouvelles métalliques sont ajoutées en 1890. Aujourd'hui, deux ponts tournants, deux ponts fixes pour les voitures et six passerelles piétonnes permettent de traverser le Canal Saint Martin.








En 1861, la Ville de Paris rachète le Canal Saint Martin, qui sera géré par le Service municipal des canaux. À partir de 1862, des remorqueurs à vapeur tirent les péniches sur le tronçon souterrain jusqu'au Port de l'Arsenal tandis qu'en surface, le halage par traction humaine, moins onéreux, perdure jusque dans les années 1920. L'accroissement du gabarit des péniches met fin à cette pratique. Les neuf écluses sont reconstruites en 1870. En 1882, le bassin de la Villette se distingue comme le quatrième port français après Marseille, Le Havre et Bordeaux. En 1907-08, le recouvrement d'une nouvelle portion du canal et la création de la voûte du Temple absorbent la partie située aux abords du boulevard Jules Ferry. 

Le long du Canal Saint Martin, quartier ouvrier, se développent sous l'influx du fret fluvial, entrepôts, usines et nombreuses imprimeries. "Hôtel du Nord", film de Jean Carné, avec Arletty et Louis Jouvet, en 1938, d'après le roman éponyme d'Eugène Dabit publié en 1929, évoque ce Paris populaire. Pourtant, le long-métrage a été entièrement au sein des studios de Boulogne-Billancourt, dans des reconstitutions du canal Saint Martin et de ses berges signées par le chef décorateur Alexandre Trauner (1906-1993). L'établissement au 102 quai de Jemmapes n'a jamais vu une caméra de cinéma. 

Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, le transport fluvial décline, concurrencé par le chemin de fer et le trafic routier. En 1960, l'abandon des canaux parisiens signent la désaffectation des hangars et autres ateliers des berges du canal Saint Martin. La spéculation immobilière sonne le glas de l'ancien bâti, du patrimoine industriel démoli pour faire place à des immeubles modernes. Pourtant le mouvement moins rapide que dans certains quartiers comme Belleville, sauvent de l'hécatombe de grands ensembles qui sont aujourd'hui réhabilités pour répondre à des fonctions radicalement différentes.  










En 1964, le Conseil de Paris gagné par l'obsession automobile de l'époque, envisage l'enfouissement et la disparition définitive du canal Saint Martin afin de le remplacer par une autoroute urbaine à quatre voies. Le coût pharaonique, un milliard de francs, les problèmes techniques rencontrés, la mobilisation des riverains, met fin à ce projet en 1968. Le 1er octobre 1974, Michel Guy, secrétaire d'état à la Culture classe le Canal Saint Martin et l'ensemble du site en secteur sauvegardé.

Les péniches de fret sont remplacées par les embarcations de croisière touristique. La première ligne de transport de passagers est lancée en 1980. Trois ans plus tard, le réseau des canaux parisiens est ouvert à la navigation de plaisance. Par arrêté du 23 février 1993, le Canal Saint Martin est classé à l'inventaire des Monuments historiques. Depuis les années 2000, la gentrification rapide du quartier en a fait l'un des plus prisés. 








L'entretien et maintenance des écluses, ouvrages complexes composés de pièces mécaniques, hydrauliques et de vantellerie, nécessite de lourdes opérations. Le Canal Saint Martin lui-même, du fait de son artificialité et de la fâcheuse manie prise par les Parisiens de s'en servir comme dépotoir, a besoin d'être nettoyé. Régulièrement les équipes de la Ville organisent des périodes de chômage du canal, le temps d'effectuer vidange totale, pêche de sauvegarde des poissons relâchés en amont, ramassage des déchets, réparations et nettoyage des infrastructures notamment les écluses puis remise en eau. Le Canal Saint Martin a fait l'objet de telles manoeuvres en 1876, 1929, 1977, en 1993, opération au cours de laquelle 4000m3 de vase ont été nettoyés, à l'hiver 2001/2002 au cours duquel quarante tonnes de déchets ont été évacués et dernièrement en janvier 2016.  


Les infrastructures du Canal Saint Martin 

- 5 bassins
bassin des Morts 
bassin du Combat 
bassin Louis-Blanc 
bassins des Récollets 
bassin des Marais

- 5 écluses
écluse de La Villette (no 1 et 2) 
écluse des Morts (no 3 et 4) 
écluse des Récollets (no 5 et 6) 
écluse du Temple (no 7 et 8) 
écluse de l'Arsenal (no 9)

- 10 ponts et passerelles
passerelle des écluses de la Villette 
pont de la rue Louis-Blanc 
pont Maria-Casarès, anciennement pont Eugène-Varlin 
passerelle Bichat 
pont tournant de la Grange-aux-Belles 
passerelle Arletty, anciennement passerelle de la Grange-aux-Belles 
passerelle Emmanuelle-Riva, anciennement passerelle Richerand 
pont tournant de la rue Dieu 
passerelle Alibert 
passerelle des Douanes (ou passerelle de la Douane 1860)



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Rivages 
Le guide du promeneur 10ème arrondissement - Ariane Duclert - Parigramme
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette