Paris : 10 fontaines du réseau de distribution de la ville, 10 points d’eau emblématiques et parfois à sec, histoire de l'alimentation en eau potable des populations urbaines

 

La Capitale compte environ trois-cents fontaines d’époques et de styles variés. Chacune à sa façon raconte un morceau d’Histoire. L’art complexe de la fontainerie entre ingénierie, architecture, sculpture et urbanisme marque l'esthétique urbaine parisienne. Les fontaines ont longtemps été au quotidien les seuls points d’approvisionnement en eau pour les Parisiens. L’omniprésence d’anciens ouvrages, devenus éléments d’agrément, de décor, témoigne d’une problématique majeure, l’alimentation en eau potable des populations urbaines. D'une grande variété, les constructions ponctuent la cité d’une vie fluide dont le flux ne s’arrête qu’entre le 1er décembre et le 1er mars. Lorsqu’elles ont la chance d’être encore en eau. Les plus célèbres sont sans contexte les fontaines Wallace dessinées par le sculpteur Charles-Auguste Lebourg en 1870 sous l’impulsion du philanthrope britannique Richard Wallace qui finança leur édification. Certaines des plus belles fontaines sont d’anciens points d’eau utilitaires, hérités du réseau de distribution. Au XIIème siècle, les congrégations religieuses reprennent une partie des anciennes canalisations gallo-romaines afin de capter les eaux de sources de Belleville, du Pré-Saint-Gervais et ainsi irriguer leurs terres maraîchères. 

Au XVIIème siècle, Marie de Médicis fait construire un important aqueduc afin d’alimenter le palais du Luxembourg et ses jardins sur le modèle de l’aqueduc gallo-romain de Rungis. Sous le règne de Louis XIV, les fontaines d’agrément détachées de toute fonction triviale symbolisent le prestige de la ville, la prospérité. Le progrès technologique rend possible l’implantation des premières pompes hydrauliques qui puisent directement dans les flots de la Seine. A la veille de la Révolution, les pompes à feu de l’Alma et du Gros Caillou sont installées sur les berges. Ces dispositifs élémentaires mais efficaces, éclairent néanmoins le problème de potabilité des eaux du fleuve. Le décret impérial de Saint Cloud en 1806 initie la création d’une vingtaine de fontaines monumentales. Les nouvelles infrastructures réalisées sur des plans d’architectes et d’ingénieurs de prestige améliorent le réseau et le quotidien des Parisiens. L’alimentation en eau progresse grâce au développement du réseau des canaux, composé du canal de l’Ourcq, du canal Saint Martin, du bassin de la Villette, du canal Saint Denis. Sous le Second Empire, l’ingénieur Belgrand contribue au développement du réseau de distribution directement dans les immeubles, et en étage. La rédaction a sélectionné 10 fontaines emblématiques, 10 points d’eau du réseau de distribution parisien, parfois même à sec.





Au nombre de cent-huit, disséminées à travers la ville, les fontaines Wallace symboles de la Capitale jusqu’à l’étranger, sont aussi célèbres que la Tour Eiffel. Indissociables de l’image d’Epinal, les petits édicules de fonte peints en vert bouteille dispensent, fait peu connu, une eau parfaitement potable. La toute première fontaine est inaugurée en août 1872, boulevard de la Villette. Trois modèles sont créés un grand, un petit et un mural. Le grand modèle mesure 2,71m et pèse 610kg. Soubassement en pierre de Hauteville, socle à huit pans, cariatides soutenant un petit dôme orné de dauphins. Les quatre cariatides représentent à la foi des vertus et les saisons : la Simplicité et le printemps, la Charité et l’été, la Sobriété et l’automne, la Bonté et l’hiver. Eugène Belgrand ingénieur hydrologue du baron Haussmann, directeur des Eaux et égouts de Paris, choisit leur emplacement en veillant à leur accessibilité mais également à l’intégration harmonieuse dans l’environnement urbain. Le philanthrope britannique Richard Wallace finance leur conception et leur déploiement. De nos jours, des exemplaires vagabonds se sont implantés au-delà du périphérique jusque dans les régions et même bien plus loin. La Ville de Paris offre régulièrement des fontaines Wallace en gage d’amitié à l’occasion d’échanges culturels internationaux. Certaines ont voyagé aux Etats-Unis pour s’implanter à Los Angeles et à la Nouvelle Orléans, en Israël à Jérusalem et à Haïfa, au Canada à Montréal, Québec et Granby, au Royaume Uni à Londres et en Irlande du nord, au Mozambique, au Brésil, au Portugal à Lisbonne, en Espagne à Barcelone, Saint-Sébastien et Ferrol mais encore en Jordanie, en Suisse ou en Chine sur l'île de Macao etc.





Porte de Montreuil, le long du boulevard Davout - Paris 20
Métro Porte de Montreuil ligne 9

Le plasticien camerounais Pascale Marthine Tayou a imaginé cinq sculptures fontaines installées en 2012, autour de la Porte de Montreuil, le long du boulevard Davout. « Les Poings d'Eau », créations inédites, esthétisent l’environnement urbain et remplissent leur fonction de distribution d’eau potable. Fruits d’une commande publique en partenariat avec Eau de Paris, les fontaines ont réalisées dans le cadre du parcours artistique suivant la ligne du nouveau tramway au fil des Maréchaux. Elles en reprennent le projet de création de nouveaux modèles de fontaines à boire, héritières des fontaines Wallace. Des cinq modèles différents réalisés en fonte peinte en gris, quatre représentent un groupe de personnages rassemblés en cercle étroit et le dernier est un poing fermé sur lequel cinq figurines sont perchées. 





61 rue du Faubourg Saint Antoine / 1 rue de Charonne - Paris 12
Métro Ledru Rollin ligne 8

La fontaine Trogneux ou de Charonne a été construite en application de lettres patentes datant de 1719. Cette ordonnance royale envisage alors la création d’un ensemble de cinq fontaines à l’est de Paris, réparties à travers tout le Faubourg Saint Antoine alors dépourvu de points d’eau. Dans le quartier des artisans du meuble où ébénistes, menuisiers, ferronniers se sont établis grâce aux franchises obtenues par l’abbaye de Saint Antoine leurs permettant de travailler en dehors des corporations, l’usage est de s’approvisionner auprès des porteurs d’eau. Maître général triennal contrôleur et inspecteur des bâtiments de la Ville de Paris pour Louis XIV et Louis XV, Jean Beausire (1651-1743) est chargé du projet. Entre 1682 et jusqu’à sa mort à l’âge de 92 ans, il mène à bien un vaste programme de réalisation et de gestion des fontaines parisiennes. Erigée entre 1719 et 1724, la fontaine de Charonne est dite fontaine Trogneux, en hommage à l’un des brasseurs du faubourg qui en finança une grande partie. A la suite d’une avarie, elle a été entièrement démontée entre 1806 et 1810, sous le Premier Empire, pour être remontée à l’identique. Alimentée à l’origine par la pompe Notre Dame puis par la pompe à feu de Chaillot, la fontaine Trogneux a été soigneusement restaurée en 1963 puis en 2008, bienfait auquel elle doit d’être encore en fonction et en eau à la belle saison. Elle a été classée au titre des Monuments historiques le 29 septembre 1995.




129-131 rue Saint-Dominique - Paris 7
Métro Ecole Militaire ligne 8

La Fontaine de Mars s’est nichée dans un décrochement charmant le long de la rue Saint Dominique. La placette sur laquelle elle est isolée donne accès à la rue de l’Exposition, baptisée en l’honneur de l’Exposition Universelle de 1867. Sous le Premier Empire, un décret de 1806 ordonne la création de douze fontaines monumentales conçues par les meilleurs architectes, Percier, Fontaine… Napoléon Ier décrète que "l'eau coulera dans toutes les fontaines le jour et la nuit, de manière à pourvoir non seulement aux services particuliers, mais encore à rafraîchir l'atmosphère et les rues… Ce sera un beau réveil pour Paris". Ce réseau de distribution de l’eau basse pression, brute et désormais considérée comme non potable puise dans l'Ourcq, affluent de la Marne, qui aménagé est détourné vers le grand bassin de la Villette, se prolonge avec le canal Saint-Martin et aboutit au bassin de l'Arsenal. L'infrastructure hydraulique constituée au cours des années 1820-1850, peu entretenue, inspire néanmoins celle imaginée par Haussmann et ses ingénieurs. Girard, Gényès, Darcy puis Belgrand réalisent des prouesses techniques. La fontaine de Mars est édifiée entre 1806 et 1809 sur une place semi-circulaire plantée de peupliers. En 1858, à la suite de travaux d’urbanisme, elle devient la placette à arcades qui nous est familière. Ce point d’eau, voisin de l’hôpital militaire du Gros-Caillou qui sera rasé en 1900, est tout d’abord baptisé fontaine du Gros-Caillou.





42 rue de Sèvres - Paris 7
Métro Vaneau ligne 10

La fontaine dite du Fellah, au 42 rue de Sèvres, est l’un des quinze points d’eau créés à la suite du décret impérial de Saint Cloud en 1806. Inscrits aux Monuments historiques, au titre d’éléments préservés de l’hôpital Laennec, par arrêté du 25 juillet 1977, mur et édicules ont été intégrés en 2012 à un ensemble immobilier édifié sur l’emplacement libéré par la démolition d’anciens bâtiments attenants. Ces extensions du XIXème et du XXème siècle de l’hospice des Incurables, fondé par le cardinal de la Rochefoucauld et Marguerite Rouillé, construit par l’architecte Christophe Gamard de 1653 à 1640, n’avaient guère d’intérêt patrimonial. La fontaine du Fellah répond au style dit retour d’Egypte, en vogue à la suite de la campagne menée entre 1798 et 1801 par celui qui n’était alors que le général Napoléon Bonaparte. Son arche aux piédroits inclinés, haut de 2,8 mètres, évoque l’entrée d’un temple égyptien, au fronton duquel l’aigle éployé rend hommage à l’Empereur. La fontaine du Fellah, bâtie en applique sur les plans de l’ingénieur François-Jean Bralle (1750-1831) également auteur de la fontaine de Mars a pour vocation d’alimenter un quartier qui manque de points d’eau publics.





60 rue Mouffetard / 1 rue du Pot-de-Fer - Paris 5
Métro Place Monge ligne 7

La Fontaine du Pot-de-Fer, dite aussi fontaine du faubourg Saint-Marcel ou improprement fontaine Mouffetard, date de 1671. Cet ouvrage monumental est attribué à Michel Noblet (1605-1677), architecte ordinaire du roi, marié à la fille de Michel Villedo, et garde des fontaines de la Ville de 1657 à 1681. Il crache, parfois, un mince filet d’eau par un tuyau rustique. Son élégant dessin a longtemps et faussement fait penser à une oeuvre de Louis Le Vau. En 1624, une première construction à l’angle de la rue Mouffetard et de la rue du Pot-de-Fer remplace un puits médiéval. Ce dernier porte déjà le nom de la voie baptisée en hommage aux chaudrons fumants des cuisines du quartier. Mouffetard est fameux pour ses nombreuses tavernes dès les Moyen-Âge. La fontaine est alors l’un des rares point d’eau du bourg de Saint-Médard puis du quartier Saint-Marceau, annexé à la Ville de Paris en 1730. Alimentée par l’aqueduc Médicis ou aqueduc d’Arcueil ou encore aqueduc des eaux de Rungis, elle devient tout à fait stratégique. En 1671, remise en valeur, elle est habillée d’une nouvelle construction en pierre de taille. Propriété de la Ville de Paris, la fontaine du Pot-de-Fer a été inscrite aux Monuments historique par arrêté du 27 février 1925. Le site est lui-même inscrit le 6 août 1975 pour son caractère historique et pittoresque.





9 rue Charlemagne - Paris 4
Métro Saint Paul ligne 1

La Fontaine Charlemagne, en absence de dénomination officielle fixe, a pris dans le langage courant le nom de la rue où elle se trouve. Elle est aussi parfois désignée comme la « fontaine à l’enfant portant une coquille ». Edifiée en 1840 dans un style néoclassique monumental, la date gravée en chiffres romains au fronton de l’édicule reste la seule indication concernant sa réalisation. Aucune inscription ni dans la pierre ni dans les archives ne fait part du nom de l’architecte. Sa création a probablement suivi l’arrêté préfectoral d’août 1840, sous la Monarchie de Juillet, suggérant la mise en place de nouvelles fontaines. Cependant, détail intéressant, il semblerait que la figure centrale en fonte, présente au catalogue de la fonderie du Val d’Osne de 1860, serait ultérieure à son cadre d’une vingtaine d’année. La Fontaine Charlemagne, adossée à mur de l’ancien presbytère de l’église Saint-Paul-Saint-Louis, se trouve dans le voisinage direct d’importants vestiges d'une tour de l'ancienne enceinte de Philippe Auguste, dite tour Montgommery, et du lycée Charlemagne. La fontaine vient tout juste d’être restaurée.





Accès 1 rue des Haudriettes - 53 rue des Archives - Paris 3
Métro Rambuteau ligne 11

La Fontaine des Haudriettes, au carrefour de la rue des Haudriettes et des Archives, surprend par l’empreinte de sa monumentalité sur la perspective. Réalisée entre 1764 et 1765, d’après les dessins de l’architecte Pierre-Louis Moreau-Desproux (1727-1794) chantre d’un retour à l’esthétique antique, elle incarne le style néoclassique très en vogue à la fin du règne de Louis XV. L’édifice massif illustre la simplicité des formes compactes d’inspiration gréco-romaine. La construction trapue, lignes épurées jusqu’à l’austérité, s’élève en trapèze. Deux faux pilastres disposés en pans coupés soutiennent un dôme peu élevé arrondi sur les côtés et percé d’une fenêtre. Le fronton triangulaire s’appuie sur deux consoles au décor succinct de guirlandes sculptées. La délicatesse du bas-relief en marbre, oeuvre de Pierre Mignot (1715-1770) élève de Vassé et de Lemoyne, contraste avec cette impression de densité. La Nymphe des fontaines dont le modèle en plâtre a été présenté au Salon de 1765 prête un peu de grâce à cette fontaine publique. La fontaine des Haudriettes quand elle était en eau, recrachait un mince filet par l’entremise d’un mascaron à tête de lion. Frêle jaillissement chantant expulsé d’une montagne toute minérale.





Impasse de la Poissonnerie - Paris 4
Métro Saint Paul ligne 1

La Fontaine de Jarente mais dite aussi de la Poissonnerie ou encore mentionnée comme fontaine de Necker sur un cliché signé Eugène Atget ou bien d’Ormesson est adossée au fond de l’impasse de la Poissonnerie, ancien cul-de-sac médiéval devenu minuscule voie sans issue. Les différents noms de cette insolite invitée empruntent aux rues du quartier créées sur des terrains offerts à la Couronne vers 1773 par une congrégation du Val des Ecoliers fondée en 1201 par quatre Maîtres en Théologie de l'Université de Paris. En 1214, des sergents d’armes de la garde du roi promettent d'édifier une église en hommage à Sainte Catherine d'Alexandrie s'ils remportent la victoire. Les dons de riches croyants et la protection de la famille royale permettent la création d'un nouveau prieuré au coeur du Marais, le prieuré de Saint-Catherine-du-Val-des-Ecoliers. En 1767, le couvent tombe en ruines et le noviciat est transféré dans la maison des Jésuites, dont l'ordre vient d'être supprimé. L'église est démolie et les terrains réaménagés. Louis-François-Alexandre de Sénas d'Orgeval de Jarente (1746-1810), coadjuteur de l'évêché d'Orléans et prieur commendataire du prieuré royal de la Couture-Sainte-Catherine, qui décide de faire don des terrains, participe par cette décision à la profonde rénovation du plan du quartier.





Place Joachim du Bellay - Paris 1
Métro Châtelet ligne 1, 4, 7, 11, 14

La fontaine des Innocents, ouvrage exceptionnel de la Renaissance, chef-d’œuvre architectural inscrit aux Monuments historiques depuis 1862, est devenu un lieu de rendez-vous du quartier des Halles. Si les naïades aux corps voilés dansent encore entre les pilastres, l’eau ne coule plus depuis 2017. Victime des incivilités, couverte de graffitis, la fontaine fait l’objet d’une campagne de restauration visant notamment à ses vasques ébréchées et les dalles descellées autour du grand bassin. En 2014, le Conseil de Paris avait voté un budget de 4 millions d’euros pour sa restauration, sans que cela soit suivi de faits. Très abimée, sa préservation a fait l’objet d’une pétition signée par plus de 3000 citoyens. Un nouveau budget de 5 millions d’euros a été voté. Le comité scientifique en charge de la restauration s’est réuni pour la première fois en septembre 2019 afin de définir un protocole de restauration sous la houlette de son directeur Pierre-Henry Colombier, sous-directeur du patrimoine et de l'histoire à l'Hôtel de Ville, ainsi que de Valérie Guillaume, directrice du musée Carnavalet et de Véronique Milan, responsable de la conservation des œuvres d'art religieuses et civiles (COARC) à la Mairie de Paris. Le chantier a débuté en 2022.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.