Paris : Rue Mouffetard, promenade sur les rives d'une rue pittoresque, mémoire du Vieux Paris, quartier animé - Vème

 

La rue Mouffetard, surnommée affectueusement la Mouffe forme un ensemble pittoresque, ponctué de nombreux lieux de mémoire. Aujourd’hui bordée essentiellement de maisons de bourg préservées, datées du XVIème siècle au XIXème, elle a conservé le charme unique du Vieux Paris, volontiers piétonnier. Le foisonnement des commerces de bouche et artisans lui confèrent une atmosphère de sympathique marché permanent. Cette joyeuse effervescence perpétue la tradition née autour du parvis de Saint Médard. Rue Mouffetard, boulangeries, boucheries, épiceries, traiteurs, cavistes, maraîchers, primeurs disputent le pavé aux brasseries, cafés, et autres échoppes de restauration rapide.

Ancien tronçon d’une voie romaine, elle se trouvait sur la grande route menant vers l’Italie par Fontainebleau et Lyon. Elle devient dès le XVIIème siècle un important foyer de contestation politique, principale voie du populaire bourg Saint Médard rattaché à Paris en 1724. La rue Mouffetard marque l’histoire de la littérature par la présence d’estaminets fréquentés par les poètes du quartier Latin, tel le célèbre cabaret de la Pomme de Pin, repaire de François Villon et de Rabelais au XVème siècle, ou des poètes de la Pléiade au XVIème siècle. Le Marquis de Sade y avait acquis une garçonnière où il fut arrêté en 1763. Victor Hugo relate les barricades de la rue Mouffetard dans « Les Misérables » (1862).  Plus tendre, plus récent, Pierre Gripari dans les « Contes de la rue Broca » (1967), imagine « La sorcière de la rue Mouffetard », histoire d’une sorcière qui envisage de manger une petite fille à la sauce tomate, recette souveraine pour devenir jolie. 








Deux hypothèses expliquent l’origine du nom « Mouffetard ». La voie traverse l'ancienne colline « Montus Cetardus », devenu lieu-dit Mont Cétard, appellation qui par glissement, déformation aurait donné Mouffetard. La seconde théorie évoque l’activité très odorante des artisans bouchers, tripiers, tanneurs, teinturiers sur les rives de la Bièvre, qualifiée de « mephitis » en latin, terme qui a donné l’adjectif « méphitique », et devenu mouffette au Moyen-Âge soit « exhalaison pestilentielle ». Jusqu’au XIXème siècle, date à laquelle la rivière enfouie disparaît, la rue Mouffetard enjambe la Bièvre par le pont aux Tripes, nom évoquant le commerce des bouchers et le voisinage de zone d’abattage des animaux. Au début du XVIIème siècle, une portion de la voie devient rue Saint-Marcel puis Saint-Marceau. Un manuscrit de 1636 mentionne la Grand rue de Moustar. Au XVIIIème siècle, la portion comprise entre la rue Croulebarbe et la barrière d'Italie prend le nom de rue Gautier-Renaud, d’après celui d’un propriétaire.

Axe majeur du quartier Latin, la rue Mouffetard a hérité du tracé d’une ancienne voie du Bas-Empire (284-476), ligne directe entre Lutèce et Lugdunum tracé entre le IIIème et le IVème siècle. Elle relie alors le pont de la Cité, notre actuel Petit Pont, descend de la Montagne Sainte Geneviève vers l’ancienne nécropole qui se trouve à l’emplacement actuelle rue Descartes jusqu’au gué de la Bièvre, rivière recouverte au XIXème siècle, près de l’église Saint-Médard. Au milieu du IIIème siècle, sous la violence des raids normands, Lutèce se replie sur l’île de la Cité à l’abri des remparts, abandonnant la partie de la ville gallo-romaine où se trouve la future rue Mouffetard. Au IXème siècle, l’agglomération Saint Médard se développe sur la rive gauche de la Bièvre, aux abords de l’église éponyme. Vastes terres maraîchères et vignes assurent une belle prospérité à cette commune animée. Du XIIème au XVème siècle, de riches propriétaires y acquièrent des domaines, lieux privilégiés de villégiature hors de la ville. Le tracé de la rue Mouffetard est modifié au XIIIème afin d’agrandir l’un de ces fiefs. Au XIVème siècle, le bourg Saint Médard s’articule autour de deux rues principales, la rue des Bouliers, actuelles rue Daubenton, parallèle à la rivière, et la rue « Mouftard » perpendiculaire au cours d’eau. Progressivement, de nouvelles voies sont ouvertes, Saint-Médard, de l’Epée de Bois, Gracieuse, de la Clef, du Puits de l’Ermite Quatrefages. 

La Ville de Paris prend de l’ampleur, au point que Saint Médard se rapproche de l’enceinte défensive également mur d’octroi qui enserre la Capitale. Auberges, tavernes exemptées de taxes car hors les murs prolifèrent. Le quartier populaire de la rue Mouffetard se fait connaître pour ses cabarets interlopes et autres lieux de mœurs relâchées, fréquentés par une engeance bigarrée, chiffonniers, vénus mercenaires et souteneurs, trafiquants en tout genre et mauvais sujets. Parmi les estaminets se trouvent des établissements qui attirent une faune plus littéraire. Le célèbre Cabaret de la Pomme de pin, en activité depuis le XVème siècle, est fréquenté par Villon, Chapelle, curé de Meudon, chanoine de Saint-Victor, Marot et Rabelais. Au XVIème siècle, Antoine de Baïf natif du quartier y a ses habitudes et entraîne ses amis, les poètes de la Pléiade, Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay, Étienne Jodelle, Rémy Belleau, Jean Dorat, Jacques Peletier du Mans et Pontus de Tyard. Les aristocrates venus s’encanailler, viennent y trouver une certaine débauche, l'ordre des Coteaux et ses coryphées, le commandeur du Louvre, le marquis de Saint-Evremond, de Sillery, les proches de la Régence, les deux Vendôme, Chaulieu, Lafare… 









Dès le XVIIème, Saint Médard quartier ouvrier et populaire est considéré comme un foyer de contestation politique. L’activisme plébéien alimente une mauvaise réputation après des élites de la cour. Durant la Révolution, Gracchus Babeuf (1760-1797) y recrute des hommes de main pour mener à bien la Conjuration des Egaux, tentative de renversement du Directoire en 1796. Echec et guillotine. 

Au milieu du XIXème siècle, dans un contexte de crise économique et sociale, l’activité des clubs politiques dans le quartier Saint Médard prend de l’ampleur. De nombreuses cellules voient le jour rue Mouffetard. A l’initiative des libéraux et des républicains, la Révolution de 1848 soulève le peuple contre le roi Louis-Philippe, contraint d’abdiquer en faveur de son petit-fils Philippe d’Orléans. La proclamation de la Deuxième République par Alphonse de Lamartine marque la fin de la Monarchie de Juillet. 

Durant les Journées de juin 1848, les ouvriers protestent contre la fermeture des ateliers nationaux et la politique sociale mise en place après la révolution de février 1848. Les insurgés montent des barricades, notamment dans le quartier Saint Médard. La répression contre les émeutiers est d’une grande violence, les morts en grand nombre. En 1871, la Commune rencontre un fort écho dans le quartier. Lors de la Semaine sanglante, les troupes Versaillaises de Thiers venues soumettre les Communards renversent les barricades de la rue Mouffetard et font un nombre considérable victimes.

Sous le Second Empire, la rue Mouffetard est amputée au sud par les grands travaux du baron Haussmann afin de tracer l’avenue des Gobelins et la rue de Bazeilles. Durant la Seconde Guerre Mondiale, les anciennes carrières de gypse sur le versant sud-est de la Montagne Saint Geneviève, servent de refuge au réseau de Rol Tanguy et les FFI. 

Depuis la fin des années 1960, la rue Mouffetard a fait l’objet de vastes opérations de réhabilitation. Le quartier progressivement gentrifié a conservé son décor pittoresque entre Saint-Médard et la Contrescarpe. 









La place de la Contrescarpe a été créée en 1852 à la suite d’un projet de destruction d’un îlot insalubre au débouché des rues Copeau et Contrescarpe, sur la rue Mouffetard. Les mesures d’expropriation rapidement exécutées ont débouché sur une réinvention complète du quartier. Le 14 juillet 1853, le montant des indemnités est déterminé par le tribunal civil de la Seine fixe. Deux mois plus tard, le chantier débute éventrant un certain nombre d’estaminets fameux.

Au numéro 14 de la rue Mouffetard, se trouvait jusqu’en 2018, l’enseigne classée d’une boutique de café, chocolats, confiseries, fondée en 1812, « Au Nègre Joyeux ». Déposée, elle est désormais conservée dans la salle des Enseignes du Musée Carnavalet

Au numéro 23, se trouvait sous l’Empire le célèbre Cabaret des Chiffonniers. Au 36, la vieille maison a servi à partir de 1714 de casernement à une compagnie de fusiliers de Gardes françaises, régiment d’infanterie de la Maison du roi de France.

Au 38, frontière de l’ancien domaine de Jacques de Pacy, seigneur d’Ablon, l’édifice a abrité dans les années 1820 la maison des maçons creusois de Paris. Au numéro 52, le couloir d’entrée à gauche est pavé de pierres tombales provenant de l’ancienne nécropole rattachée à Saint Médard.

Au 53, « le trésor de la rue Mouffetard » a été découvert en mai 1938 lors de la démolition d’une ancienne maison, 3 556 pièces d'or cachées par un propriétaire au XVIIIème siècle, Louis Nivelle (1691-1757), avocat au Parlement de Paris sous Louis XV. 

Au numéro 60, la fontaine du Pot de Fer datant de 1671, élément du réseau de distribution d’eau établi sur l’ordre de Marie de Médicis et dont l’histoire complète se trouve ici est inscrite aux Monuments historique par arrêté du 27 février 1925. 

Au 61, la Caserne Monge de la Garde République occupe les terrains de l’ancien couvent de la Miséricorde de Jésus fondé en 1652, hospice malades et indigents, soutenu par Madame de Maintenon en 1717. Le monastère fermé à la Révolution française est nationalisé. Partiellement détruit en 1820 et reconstruit en 1824, il est transformé en caserne Mouffetard. Agrandie en 1861, elle change de nom et devient Caserne Monge.










Au 69, une vieille maison remplace au XVIIIème siècle l’Hôtel de Mainville du XVème siècle. Sur sa façade, l’enseigne du Vieux Chêne marque l’emplacement d’un club révolutionnaire en activité de 1830 à 1848, puis un célèbre bal populaire. L’article dédié se trouve ici.

Au numéro 81 de la rue Mouffetard, se devinent assimilés au bâti les vestiges du portail d’une ancienne chapelle du XVIIème siècle, probablement chapelle privée d’un hôtel particulier. 

Au 104, le passage des Postes s’ouvre à travers un immeuble, entrée qui se distingue par un remarquable plafond à solives.

Au 103, une plaque commémore la mémoire des heures terribles vécues par les Parisiens lors du Siège de Paris (septembre 1870 / mars 1871) à l’occasion de la guerre franco-prussienne.

Au 120, le café restaurant Le Mouffetard a conservé une intéressante devanture de bois sculpté, frise en bas-relief ornée de grappes de raisin et de têtes de Bacchus.


A l’angle des rues Mouffetard et Daubenton, ancienne rue des Bouliers au début du XIIIème siècle, puis du XIVème à 1864 rue d’Orléans Saint Marcel, se trouve la pointe du domaine indiqué sous le nom de « Séjour d’Orléans ». Propriété en 1356 du duc de Berry, frère de Charles V, il revient à la reine Isabeau de Bavière qui en fait cadeau en 1388 au duc Louis d’Orléans, frère de Charles VI, assassiné par les sbires de Jean sans Peur en 1407. A partir du XVIème, le fief morcelé disparaît progressivement jusqu’à la dernière vente d’un terrain loti en 1663. 









Au 134 de la rue Mouffetard, la façade au décor sgraffito de l’ancienne charcuterie Facchetti 1929, a été réalisé par un maçon italien aux talents multiples « Eldi Gueri » ou « Adigheri » selon les sources. L’histoire complète de cette façade insolite se trouve ici.

Le numéro 140 accueillait sous les combles la rédaction du journal anarchiste « Les Temps Nouveaux » fondé en 1895 par Jean Grave, média disparu en 1921 qui a compté parmi ses collaborateurs Octave Mirbeau, Félix Nadar. De nombreux artistes ont réalisé des illustrations bénévolement pour ce journal parmi lesquels Paul Signac, Camille Pissarro, Félix Vallotton, Théophile Alexandre Steinlen.

En face, le parvis de Saint Médard perpétue l’atmosphère de marché, héritée du Moyen-Âge. Au numéro 139 de la rue Mouffetard, demeurent les traces de grandes portes cintrées. A droite, il s’agissait d’un ancien passage le long du presbytère, fermé en 1649. A gauche, le second passage menait au charnier du cimetière de l’église, muré par la police en 1732 lors du deuxième épisode des convulsionnaires de Saint Médard. Un culte des reliques s’était développé autour de la tombe de François de Pâris, à laquelle étaient attribuées guérisons et miracles. En 1727 et 1732, la multiplication des incidents pousse le clergé à se plaindre aux pouvoirs publics. La police intervient brutalement pour mettre fin aux dévotions hérétiques. Au numéro 141, se trouve l’accès latéral de l’église Saint Médard. Le lieu de culte originel construit entre le VIIème et le VIIIème siècles, est rasé par les Normands lors d’un raid. La nouvelle église édifiée au XIIème siècle forme le noyau originel de l’actuelle, obtenue par agrandissement successifs en plusieurs épisodes du XVème siècle jusqu’en 1901.

Rue Mouffetard - Paris 5
De la rue Thouin aux rues Censier et Pascal



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie 
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions Rivages 
Le guide du promeneur 5è arrondissement - Bertrand Dreyfuss - Editions Parigramme