La rédaction de Paris la douce a sélectionné pour vous 10 histoires d'amour, 10 idées de romans à glisser dans votre valise cet été. Belles rencontres, passions contrariées, comédies romantiques, coups de foudre improbables, amours impossibles, romances idéales, drames déchirants, ces dix romanciers vous entraîne dans la valse d'Eros et Thanatos. Les histoires d'amour finissent mal en général, les auteurs savent parfois cueillir le lecteur par les dénouements heureux. Personnages charismatiques, torturés, horripilants, farfelus, attachants assument le scandale, la démesure, inventent de nouvelles façons d'aimer. Le florilège proposé ici s'attache à représenter des styles éclectiques, toute la palette du sentiment amoureux, sans jamais sombrer dans l'eau de rose ou la mièvrerie. La poésie du sentiment naissant ne s'oppose pas toujours à la fièvre des sens et le plaisir. Les désirs ardents croisent l'innocence des premiers rendez-vous, la crise du milieu de vie rencontre la délicate insouciance des primes années. Sexe et sentiments, amours de jeunesse, grandes révélations tardives, histoires sulfureuses et / ou romantiques, réciproques ou unilatérales, avant la rentrée littéraire et son avalanche de nouveautés dès la mi-août, plongez-vous dans ces 10 romans d'amour.
1/ La chambre de Giovanni - James Baldwin - Traduit de l'anglais par Elisabeth Guinsbourg - Editions Rivages
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, David, rejeton d'une famille américaine aisée, expérimente la bohème à Paris. Club de jazz à Saint-Germain-des-Prés, bars interlopes de Montparnasse, alors qu'il affirme préférer les femmes, le jeune homme fréquente assidument le milieu homosexuel où sa beauté attire les convoitises. Il s'est fait des amis, plus âgés, plus fortunés, vieux beaux généreux dont il repousse poliment les avances. Tandis que sa très officielle fiancée, Hella, vaguement animée par des velléités artistiques, parcourt seule l'Espagne, David fait la rencontre de Giovanni, un jeune italien solaire qui officie dans le bar de Guillaume. Ils s'aiment au premier regard mais David, confronté à ses désirs refoulés, n'assume pas son attirance pour les garçons. Ils vivent un été hors du temps dans la chambre de Giovanni. Mais peu à peu, l'Américain qui voit cet amour comme une souillure se détourne rongé par la honte et la culpabilité.
Plume inspirée et sensuelle, James Baldwin retranscrit avec intensité le mystère des troubles émotionnels, la douleur des trahisons. La candeur lumineuse des premières amours nimbe le roman d'une poésie singulière éclairée par une puissante sincérité. Il faut bien de l'audace pour écrire un tel texte en 1957. De l'audace et de la force pour exprimer la dignité de ces hommes rejetés par la société, véritable volonté d'ouverture. Sensible, intelligent, "La chambre de Giovanni" a la beauté des tristesses infinies, la grâce du bonheur qui aurait pu être.
Belge née à Kobe, Amélie a quitté le Japon à l’âge de cinq ans. Quinze années plus tard, elle retourne dans sa patrie de cœur, rêvant de devenir une vraie japonaise. Afin de perfectionner sa pratique de la langue japonaise, elle imagine donner des cours de français. Son premier et seul élève est un jeune francophile. Rinri, fils de bonne famille, étudie le français à l’université mais aurait bien besoin de progresser. Alors qu’au fil des rencontres avec Amélie, il s’improvise guide touristique, leurs rendez-vous prennent le chemin d’un certain parcours du tendre tokyoïte, lieux de passages obligatoires des amours naissantes. Séduit par la différence d’Amélie, Rinri, qui est lui-même assez extravagant, s’éprend follement de la jeune femme. Mais elle ne parvient pas à tomber amoureuse d’un être si gentil, si totalement dépourvu de mauvaises intentions, incapable de faire le mal. Elle l’aime bien.
Dans ce texte tendre et touchant, Amélie Nothomb s’interroge avec lucidité et humour sur la nature du sentiment amoureux. Roman initiatique dans la veine autobiographique, "Ni d’Eve ni d’Adam" a néanmoins le goût des contes. Amélie Nothomb maîtrise l’art de réenchanter le quotidien. Elle distille le merveilleux dans les scènes les plus anodines. Une merveille d’esprit et de délicatesse.
3/ Fou de Vincent - Hervé Guibert - Les Editions de Minuit
Excessif, insaisissable, Vincent est un jeune homme hanté par ses démons familiers, l’alcool, la drogue, le sexe. Lors d’une soirée, il tombe du troisième étage. Mais alors que les pompiers alertés par ses amis arrivent, il les repousse, se redresse et refuse d’aller à l’hôpital. Deux jours plus tard, il meurt des suites d’un éclatement de la rate, victime de sa propre folie. Hervé qui était très épris de Vincent relit les notes de son journal à l’envers, jusqu’au dernier fragment et donc le premier, leur rencontre en 1982. Récit à rebours d’une passion destructrice, d’un désastre amoureux porté par des échanges ambigus. Les deux hommes se voient peu. Vincent se dérobe, exige de l’argent, de la drogue, abuse du pouvoir qu’il exerce sur Hervé auquel il manque cruellement. L’absence est une souffrance, l’incertitude constante, les instants de tendresse aussi rares que fugaces. Hervé se complait dans une adoration qui tourne à la fixation.
Fine lame, tranchant, Hervé Guibert pratique l’autopsie des états amoureux, révélant ainsi les profondeurs de la faille narcissique. Drapé dans un romantisme morbide, porté par une bonne dose d’humour et une terrible lucidité sur ses états, il confie ses emportements, ses excès, la façon dont il fétichise l’être aimé et semble jouir de sa propre détresse. Flamboyance des sentiments et provocation, tendresse et sexe le plus cru, un texte troublant, fascinant.
Judith Niels approche doucement mais sûrement la quarantaine. Elle s’inquiète de n’avoir plus tout à fait le cuissot aussi ferme qu’à vingt ans et se tartine la couenne de crème anticellulite en lisant les conseils sexo des magazines féminins. Célibataire à l’affût de rencontres amoureuses, elle se satisfait de l’éphémère, de l’instant, en rêvant du grand amour. Ennui. Dans la rue, elle guette les hommes, les classe selon les critères d’un idéal sur papier glacé. Elle décide de partir en vacances dans les îles pour alpaguer du beau garçon sur sable chaud. Mais à l’agence de voyage, c’est une fin de non-recevoir. Elle s’y prend trop tard pour les tropiques, pas un séjour de libre. Judith fait une crise de nerfs. Vassili qui réservait au même moment un voyage en solo pour l’Islande et le solstice, vient à son secours. Mystérieux, peu disert mais épaule réconfortante, le séducteur de pacotille l’entraîne très vite dans son lit.
Plume fleurie, verbe inventif, jubilation joyeuse, Irène Frain dresse un portrait contrasté de cette célibataire malgré-elle qui n’assume plus l’érotisme des autres, les mœurs amoureuses de nos contemporains. La romancière questionne les tabous, les fantasmes, les flottements. Elle s’interroge sur l’âge et la perte de séduction, la sororité et les trahisons, la compétition entre les femmes, fruit du patriarcat. Irène Frain dénonce avec humour et une bonne dose d’autodérision, notre société normative, les injonctions à la jeunesse éternelle, la beauté, qui ne sont que des déclencheurs de consommation compulsive de cosmétiques et d’anxiolytiques. Le marché de la séduction et la guerre des sexes sont sans pitié. Ainsi va la modernité des sentiments.
5/ L'homme que je ne devais pas aimer - Agathe Ruga - Éditions Flammarion
Ariane, trente-cinq ans, trois enfants dont un nourrisson, un mari parfait, mène une vie bien rangée, dédiée à la littérature, la lecture autant que l'écriture. Existence trop lisse. Elle s'éprend de Sandro, le patron du bistrot du coin, un homme de dix ans son cadet, fêtard un peu rustre, qui drague vaguement toutes les clientes, un type aux grandes mains et au regard intense. Pas son genre. Et pourtant, Ariane cède à la violence de cette attraction soudaine pour un inconnu, la surprise. Elle chavire en prise au bouleversement d'une rencontre inattendue. Désormais, elle passe toutes ses soirées à boire des verres en terrasse pour le croiser, dans l'impatience du corps, la frustration de l'inassouvissement. Car l'objet de son désir se dérobe, se refuse à elle. La passion à sens unique croît avec l'attente. Ariane sombre dans une forme d'obsession amoureuse et se place dans la position humiliante de celle qu'on rejette. Elle succombe, remet en question toute son existence, sa famille, son mariage.
Modernité de la langue, rigueur du style, Agathe Ruga pose des mots sur l'expérience intime du temps de la passion et de l'attente. Elle raconte l'existence en suspens, le vertige. Troublant.
6/ Une année qui commence bien - Dominique Noguez - Editions Flammarion
En 1993, Dominique Noguez, cinquante-et-un ans, rencontre lors d'un colloque de la Société des gens de Lettres, Cyril Durieux, vingt-quatre ans, fils de diplomate, futur banquier qui caresse des rêves de littérature. Le jeune homme déploie tous ses charmes pour séduire celui qui est susceptible de l'introduire auprès des éditeurs. Blond aux yeux bleus, il n'est pourtant pas le type de l'écrivain qui préfère les bruns adonis. Mais le célibataire endurci tombe amoureux fou pour la première fois. Pervers narcissique, Cyril, tout en se refusant à Dominique, le fait courir, l'aguiche, flatté par les sentiments que ce dernier lui porte. Peu à peu, le jeu de séduction se mue en un long supplice ponctué de sévices psychologiques et d'humiliations. Victime consentante, ébloui par ses sentiments mais lucide sur l'objet de son amour, Dominique vit une lente descente aux enfers. Pendant cinq ans, ils entretiennent des relations compliquées.
Plume de fin lettré, style impeccable à travers lequel transparaît une érudition rare, ce récit bouleversant se colore d'une profonde mélancolie. A chaque page se révèle un peu plus le chagrin d'un ultime constat, source d'infinis regrets, celui de n'avoir jamais connu de grand amour réciproque, manque abyssal que l'auteur tente de combler par la littérature. Interrogeant la nature des sentiments, celle de l'être aimé, Dominique Noguez se livre sans fard. Et au bout de cet ouvrage poignant une question en suspens : faut-il vivre le malheur pour écrire un très beau livre ?
7/ Passion simple - Annie Ernaux - Editions Gallimard - Poche Folio
La narratrice entretient une relation adultère avec A, un homme marié. Originaire des pays de l’Est, il occupe un poste temporaire à Paris. A boit trop, aime les grosses voitures et les soaps américains. Il appartient peut-être à une mission diplomatique, il est peut-être, russe, ukrainien ou tchèque. Elle est prof à l’université, divorcée, mère d’un jeune garçon dont elle partage la garde avec son ex-mari. Durant les quelques mois d’une passion charnelle, elle s’absente au monde, aux autres, à sa vie professionnelle, sociale, familiale. Son quotidien prend forme autour de l’attente, celle qu’A lui fasse signe et daigne la rejoindre.
Les personnages transfigurés par cette histoire de passion sexuelle convoquent la réalité de l’expérience intime, rendue universelle par un processus d’identification fort. Annie Ernaux nous tend un miroir et assume, en 1991, date de parution du livre, sa singularité en décrivant l’homme comme l’objet du désir. Elle s’interroge sur le temps de la passion vécu à l’instar d’une ivresse, une anesthésie au monde, aux autres. Fascinant.
8/ Lettres à Joséphine - Nicolas Rey - Editions Au Diable Vauvert
A l’âge de 40 ans, Nicolas découvre le sentiment amoureux. Il s’éprend de la divine Joséphine, « sa femme définitive ». Il pense avoir atteint l'absolu, un amour dévorant, inconditionnel. Il aime pour la première fois, pour la première fois il a le cœur brisé. Après cinq ans de relation passionnée, Joséphine le quitte pour un autre. Dans le déni, Nicolas refuse de voir la fin de la relation et lui écrit chaque jour pour tenter de la reconquérir. Elle tente de ne pas le brusquer, lui si fragile, mise sur une rupture en douceur, un détachement progressif. Ils continuent de se voir, de se téléphoner, d’écrire un roman à quatre mains. La réciprocité n’est plus là. Entre chagrin romantique et nostalgie sexuelle, Nicolas ne peut se résigner. Il est possédé, envoûté.
A fleur de peau, rendu fou d’amour, Nicolas Rey peine à dépasser sa douleur et se remémore inlassablement les moments partagés, particulièrement leurs étreintes. Autopsie radicale d’un amour évanoui, il exprime l’intimité dans le moindre détail, sans pudeur, ni mensonge. La sincérité de la mise à nu, le parfait naturel de ces confidences laissent exsangue l’amoureux transi qui atteint ainsi une nouvelle maturité. Le romancier exorcise la douleur en la couchant sur le papier et atteint dans sa vérité intime une portée universelle.
9/ L'Agrume - Valérie Mréjen - Editions Allia
La narratrice amoureuse naïve s'éprend de Bruno surnommé l'Agrume parce qu'il aime à se dessiner avec une tête de citron. Poseur, il se voit comme un esthète à contrecourant et prétend trouver la beauté dans les petites choses qui répugnent ou indiffèrent le commun des mortels, bouchon de lavabo durci et craquelé, verre Duralex, tranche de foie. Il laisse pourrir des oranges pour pouvoir en observer la lente putréfaction, n'aime que le lait frais en bouteille, tourne le fait de défaire chaque emballage plastique en rituel maniaque. Tous ces travers, ces petits ridicules, la femme amoureuse les trouve charmants alors qu'ils sont horripilants. L'Agrume lui donne des rendez-vous auxquels il ne vient pas, arrive systématiquement en retard de plusieurs heures quand il daigne apparaître.
Grande admiratrice de Georges Perec, Valérie Mréjen pose sur les détails minuscules, les micro-événements un regard décalé et poétique. Sous sa plume, la réalité quotidienne devient insolite et se teinte d'une certaine étrangeté. L'anecdote devient monde dans le regard de la femme amoureuse prête à faire n'importe quoi pour un signe d'affection, un geste tendre. "L'Agrume" est un livre singulier et profond aussi bref qu'intense.
Solange, actrice française exilée volontaire à Los Angeles, connait un petit succès et enchaîne les seconds rôles aux côtés des grandes stars hollywoodiennes. Elle fréquente le gratin de la Mecque du cinéma, tourne avec Matt Damon, Steven (Soderbergh) s’intéresse à elle pour son prochain film. Au cours d’une soirée chez George (Clooney), elle croise le chemin de Kouhouesso, un comédien d’origine camerounaise, canadien d’adoption dont la beauté troublante et magnétique la fascine. Solange fait tout pour le séduire mais après une première nuit torride, cet être égoïste et versatile se révèle insaisissable. Tandis qu’il ne dispense qu’une tendresse distraite, elle s’éprend follement de lui jusqu’à mettre sa propre vie entre parenthèse dans l’attente de ses visites. Kouhouesso ne se laisse pas facilement aimer.
Marie Darrieusecq met à nu l’illusion amoureuse en explorant l’aliénation d’une femme dévorée par l’intensité des émotions qu’elle éprouve. Le temps désarticulé de la solitude dans l’attente vertigineuse, le désir, les obsessions et les doutes, l'autrice scrute l’instant d’une écriture épurée, finement découpée. Histoire d’amour entre un noir et une blanche au pays de la bien-pensance, des faux-semblants où les clichés pernicieux et le racisme ambiant se dissimulent derrière la façade du politiquement correct, ce roman brûlant aux accents durassiens assumés dresse un beau portrait de la passion au féminin.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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