Lundi Librairie : Les hommes, etc. - Irène Frain

 


Judith Niels approche doucement mais sûrement la quarantaine. Elle s’inquiète de n’avoir plus tout à fait le cuissot aussi ferme qu’à vingt ans et se tartine la couenne de crème anticellulite en lisant les conseils sexo des magazines féminins. Célibataire à l’affût de rencontres amoureuses, elle se satisfait de l’éphémère, de l’instant, en rêvant du grand amour. Ennui. Dans la rue, elle guette les hommes, les classe selon les critères d’un idéal sur papier glacé. Elle nourrit l’espoir d’une belle histoire tandis que « le crocodile » la chasseuse en elle, galvanisée par les recommandations de Marie-Claire scanne les proies potentielles, accessibles. A la suite d’un blind-date assommant avec un astronome, le type lui pose un lapin pour aller trousser la sémillante infirmière qui s’occupe de la mamie impotente dont les fenêtres donnent juste en face de chez elle. Vexée, humiliée, Judith part en chasse pour se rassurer sur son pouvoir de séduction. Afin se réconforter à la suite de cette mésaventure, elle décide de partir en vacances dans les îles pour alpaguer du beau garçon sur sable chaud. Mais à l’agence de voyage, c’est une fin de non-recevoir. Elle s’y prend trop tard pour les tropiques, pas un séjour de libre. Judith fait une crise de nerfs. Vassili qui réservait au même moment un voyage en solo pour l’Islande et le solstice, vient à son secours. Mystérieux, peu disert mais épaule réconfortante, le séducteur de pacotille l’entraîne très vite dans son lit. Immédiatement, passion physique pour ce bel animal rustique. Elle accepte de l’accompagner en Islande. Les geysers et les volcans plutôt que les plages de sable blanc. Fantasme singulier, Vassili aime les Polaroïds chauds bouillants.  Bientôt, une nouvelle déconvenue pour Judith, son héros serait un collectionneur de femmes.  Slash, une routarde singulière, ancien mannequin, ancienne femme trophée, scripte de cinéma, beauté fatale sur le retour qui fait le tour du monde à vélo pour se remettre d’une rupture, mi-mytho, mi-barjot, propose de l’aider à se venger.

Irène Frain pose un regard tendrement moqueur et empathique, sur une anti-héroïne maladroite qui change d’amant comme de chemise et refuse de prendre le temps de s’ennuyer avec ses conquêtes.  La vie frénétique de cette Bridget Jones à la française qui joue les difficiles en matière d’hommes pour se laisser séduire par le premier venu, se révèle plus morne qu’exaltante dans un train-train quotidien sans aspérités.

Mi-gourde, mi-filoute, Judith est une grande naïve qui fantasme encore sur le prince charmant malgré les années et les désillusions. Alternant les personnages pour séduire, elle passe allégrement de « la garce urbaine » à « la cruche poétique » sans vraiment convaincre personne. Elle se croit très maline mais se fait manipuler par tout le monde. Elle fantasme une existence d’aventure plus prenante, plus riche, plus intense. Sa réalité de frustration peine à lui faire oublier ses espoirs de passion dévorante. L’autrice préfère rire de sa condition de loseuse magnifique. Elle s’amuse à décrire en détails les malheurs de Judith qui n’en loupe pas une et collectionne les mufles. L’autrice propulse son personnage dans des situations délicates. Elle ne lui épargne pas les humiliations. Malmenée par la vie, par les autres, Judith manque singulièrement de défenses et de fantaisie.

Plume fleurie, verbe inventif, jubilation joyeuse, Irène Frain dresse un portrait contrasté de cette célibataire malgré-elle qui n’assume plus l’érotisme des autres, les mœurs amoureuses de nos contemporains.  La romancière questionne les tabous, les fantasmes, les flottements. Elle s’interroge sur l’âge et la perte de séduction, la sororité et les trahisons, la compétition entre les femmes, fruit du patriarcat. Irène Frain dénonce avec humour et une bonne dose d’autodérision, notre société normative, les injonctions à la jeunesse éternelle, la beauté, qui ne sont que des déclencheurs de consommation compulsive de cosmétiques et d’anxiolytiques. Cette autodérision pas dénuée d’une certaine mélancolie éclaire une certaine vision de l’amour, du couple, des relations humaines ancrée dans la contemporanéité. Le marché de la séduction et la guerre des sexes sont sans pitié. Ainsi va la modernité des sentiments.

Les hommes etc. - Irène Frain - Editions Fayard - Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.