Ariane, trente-cinq ans, trois enfants dont un nourrisson, un mari parfait, mène une vie bien rangée, dédiée à la littérature, la lecture autant que l'écriture. Existence trop lisse. Elle s'éprend de Sandro, le patron du bistrot du coin, un homme de dix ans son cadet, fêtard un peu rustre, qui drague vaguement toutes les clientes, un type aux grandes mains et au regard intense. Pas son genre. Et pourtant, Ariane cède à la violence de cette attraction soudaine pour un inconnu, la surprise. Elle chavire en prise au bouleversement d'une rencontre inattendue. Désormais, elle passe toutes ses soirées à boire des verres en terrasse pour le croiser, dans l'impatience du corps, la frustration de l'inassouvissement. Car l'objet de son désir se dérobe, se refuse à elle. La passion à sens unique croît avec l'attente. Ariane sombre dans une forme d'obsession amoureuse et se place dans la position humiliante de celle qu'on rejette. Elle succombe au vertige de l'autodestruction, remet en question toute son existence, sa famille, son mariage. Elle parvient à ses fins le temps de quelques instants torrides à la fin d'un service.
Dentiste devenue chroniqueuse littéraire sur les réseaux sociaux, Agathe Ruga livre un portrait de femme asservie par sa propre passion, la fragmentation de sa vie au contact de cette fulgurance. Elle décrypte la violence d'un désir à rebours de la morale commune, de la bien-pensance. Elle dit la tyrannie de la chair toute puissante, et le vertige des amours adultères. Son héroïne est prête à tout abandonner pour un homme qui ne lui donne rien en retour et expérimente la détresse, l'angoisse.
Autofiction sans complaisance, l'autrice nourrit son récit d'éléments autobiographiques sans jamais se donner le beau rôle. La narratrice n'est pas désirée en retour, pas aimée. Transgression ultime, elle assume ses embardées, ses ridicules sans fausse pudeur, et ses névroses de la mère de famille frustrée face à l'absence de désir masculin, celui de Sandro ou de son mari. Cette impasse amoureuse la plonge dans une forme de dépendance toxique qui prend racine dans la tentation du romanesque, du grain de folie.
Ariane trouve des débuts d'explication dans sa propre enfance, dans la ressemblance de Sandro avec les compagnons de passage de sa mère, pères de substitution. Elle pense avoir développé une fascination pour un certain type d'homme qui finalement ne lui correspond pas. Anesthésiée, absente au monde, elle est désormais aveugle aux autres et à elle-même.
Modernité de la langue, rigueur du style, Agathe Ruga pose des mots sur l'expérience intime du temps de la passion et de l'attente. Elle raconte l'existence en suspens, le vertige. Troublant.
L'homme que je ne devais pas aimer - Agathe Ruga - Éditions Flammarion
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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