L'Agrume - Valérie Mréjen : La narratrice amoureuse naïve s'éprend de Bruno surnommé l'Agrume parce qu'il aime à se dessiner avec une tête de citron. Poseur, il se voit comme un esthète à contrecourant et prétend trouver la beauté dans les petites choses qui répugnent ou indiffèrent le commun des mortels, bouchon de lavabo durci et craquelé, verre Duralex, tranche de foie. Il laisse pourrir des oranges pour pouvoir en observer la lente putréfaction, n'aime que le lait frais en bouteille, tourne le fait de défaire chaque emballage plastique en rituel maniaque. Tous ces travers, ces petits ridicules, la femme amoureuse les trouve charmants alors qu'ils sont horripilants. L'Agrume lui donne des rendez-vous auxquels il ne vient pas, arrive systématiquement en retard de plusieurs heures quand il daigne apparaître. Pour justifier ses absences, ses silences interminables, ses longues disparitions durant lesquelles la narratrice passe des jours entiers devant le téléphone, il invente des histoires abracadabrantes. Inconstance, désinvolture, elle est amoureuse d'un indifférent qui s'en fout, un manipulateur flatté par ses innombrables attentions, son dévouement.
Objet littéraire décalé, écrit à la première personne, L'Agrume est une confession autofictionnelle romanesque. Ce court récit en forme d'acte intimiste est construit autour de bribes de dialogues, de fragments de vie épars qui tissent une histoire, celle d'une rencontre amoureuse tragi-comique. La narratrice d'une patience sans borne projette son désir sur un homme qui n'en demandait pas tant mais qui choisit de profiter de la situation. Un sale type donc. L'aveuglement volontaire de la femme, traversée néanmoins par des éclairs de lucidité, illustre une forme de dépendance affective que Valérie Mréjen met en scène avec une bonne dose d'autodérision.
Plasticienne, vidéaste et romancière, l'auteur pousse à travers l'écrit sa réflexion sur les limites du langage face au souvenir et à l'intime. Explorant des moments personnels pas très glorieux, sur un ton laconique tout de douleur rentrée, d'ironie douce, elle touche à la mélancolie pour mieux révéler le burlesque voire même l'absurde des scènes d'un quotidien scruté à la loupe. La simplicité formelle de l'écriture, très cinématographique, tend vers l'épure, le minimalisme. Les paroles banales, submergées par des non-dits plus puissants que les mots exprimés, se font expression de l'incommunicabilité.
Grande admiratrice de Georges Perec, Valérie Mréjen pose sur les détails minuscules, les micro-événements un regard décalé et poétique. Sous sa plume, la réalité quotidienne devient insolite et se teinte d'une certaine étrangeté. L'anecdote devient monde dans le regard de la femme amoureuse prête à faire n'importe quoi pour un signe d'affection, un geste tendre. L'Agrume est un livre singulier et profond aussi bref qu'intense.
L'Agrume - Valérie Mréjen - Editions Allia
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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