Paris : Rue de Venise, vestige médiéval, modernité triomphante - IVème



La rue de Venise l’une des plus étroites de Paris débouche depuis la rue Quincampoix sur le parvis de Beaubourg, étroite fente entre deux murs de guingois qui s’élargit à mi-chemin de ses 52 mètres de long. Cette vénérable voie publique illustre par sa physionomie l’histoire du quartier Saint-Merri.  Ce dernier, l’un des plus anciens de la ville, a vécu des transformations et des réinventions plus ou moins heureuses. Drastiquement remanié dès les années 1930, rasé en grande partie, il a été partiellement repensé dans les années 1970 selon les préceptes esthétiques et architecturaux de l’époque. La rue de Venise a su préserver certaines particularités charmantes. Les éléments singuliers de cette venelle convoquent la mémoire d’un Paris médiéval disparu. L’angle d’une façade, ses proportions, l’avancée d’un balcon, la survivance d’une fontaine nous parlent d’une ville tout autre, d’un temps jadis. Ces fragments historiques contrastent avec les créations du XXème siècle qui ont durablement investi le tissu urbain pour en changer radicalement l'apparence. 








Le nom actuel de la rue de Venise date du XVIème siècle. A cette époque, le quartier a été investi par des agents de change et des usuriers. Jehanel de Sève, prêteur sur gage lombard, originaire de Venise, y possède une échoppe à l’enseigne de l’Ecu de Venise qui confère à la ruelle sa dénomination actuelle en 1512. Dans les actes ultérieurs, elle est néanmoins mentionnée sous diverses appellations. Au XIIème siècle, la voie est désignée sous les noms de rue Erembourg, rue Hérambourg la Tréfelière. Guillot de Paris, dans son recueil Le Dit des rues de Paris vers 1280/1300, parle de la rue Sendebours la Tréfelière. En 1388, elle prend pour dénomination rue Berthaut-qui-Dort, du nom d’un particulier propriétaire d’une maison située au niveau de l’actuel numéro 1 ou bien numéro 2.

Au XVIIème siècle, le quartier Saint-Merri se développe entre commerces de banque, prêteurs sur gage, et établissements festifs. Marchands de vin, tavernes et auberges s’y multiplient. A l’une des extrémités de la rue qui nous intéresse aujourd’hui, l’angle formé par les numéros 54 rue Quincampoix et 27 rue de Venise marque l’emplacement d’un célèbre cabaret A l’Epée de bois Au XVIIème et au XVIIIème siècles, il est fréquenté par les beaux esprits tels que Boileau, Marivaux, Louis Racine, fils du dramaturge. Sa vaste salle propice aux répétitions permet à une compagnie de maîtres à danser et de musiciens de se réunir. Le chef de troupe qui a pris pour surnom « le roi des violons » attire la bienveillance de Mazarin qui officialise la compagnie par lettres patentes en 1658. Cette troupe serait à l’origine de la création de l’Académie de danse et de musique. 







Au XVIIIème siècle, les usuriers sont nombreux dans le quartier et de célèbres banquiers les rejoignent bientôt. John Law y installe sa banque en 1719. Elle attire les spéculateurs et tout une foule aux intentions plus ou moins honnêtes. En 1720, le comte Antoine Joseph de Horn, aristocrate bien né mais désargenté, parent éloigné du Régent, fomente avec deux complices, l’assassinat d’un monsieur Lacroix, agioteur replet, pour le dépouiller de son portefeuille. Horn attire le bourgeois dans l’une des chambres de l’auberge A l’Epée de bois. Estang, fils d’un banquier du quartier, fait le guetteur tandis que Laurent de Mille capitaine réformé aide Horn à occire leur victime. Arrêtés et condamnés, ils sont suppliciés en place de Grève le 26 mars 1720. 

Poussée anarchiquement du fait de son ancienneté, la rue de Venise au tracé approximatif se voit fixer une largeur de 7 mètres par décision ministérielle 10 juin 1802 (21 prairial an X) signée par Chaptal. Elle est suivie d’une deuxième le 30 novembre 1822 signée Corbière puis d’une ordonnance royale du 29 avril 1839 qui porte la largeur à 10 mètres. 

Les grands travaux d’Haussmann modifient bientôt le quartier. Le percement du boulevard de Strasbourg en 1852 fait disparaître le passage de Venise, rejeton de la rue du même nom, qui traversait le couvent de Saint Magloire. En 1875, la rue de Venise compte de maigres commerces, hôtels garnis et marchands de vin dont un à l’enseigne du Cerf Galant. Coupe-gorge pittoresque, les vieux bâtis du XVIIème siècle devenus hôtels borgnes offrent un couchage de fortune aux miséreux et prostituées qui ont investi le quartier. 







En 1921, le préfet et le conseil de Paris délimitent dix-sept ilots insalubres dans les quartiers les plus pauvres de la ville, caractérisés par un tissu urbain très dense, des rues étroites. Le quartier Saint-Merri qui a conservé ses propriétés médiévales est le premier désigné pour être réformé par les théories hygiénistes de l’époque. La population y est durement frappée par les maladies notamment la tuberculose. Les urbanistes humanistes y déplorent le manque d’air et de lumière, le confinement des logements et avec une certaine connotation morale, la promiscuité

Le quartier Saint-Merri devient l’îlot insalube no 1, celui à traiter en priorité. Il est en partie rasé. Un grand nombre de maisons anciennes disparaissent pour laisser place en 1936 au plateau Beaubourg. Ce vaste espace percé brutalement reste longtemps à l'état de parc de stationnement avant d'être remplacé dans les années 1970 par le Centre Georges-Pompidou, inauguré en 1977, et le quartier de l'Horloge

A l’occasion de ces transformations radicales, la rue de Venise est amputée de sa partie orientale comprise entre les rues Beaubourg et Saint-Martin ainsi que les impasses attenantes telles que l’impasse de la Baudoirie. Le tronçon disparu, avant de devenir le prolongement de la rue de Venise, est mentionné sous le nom de rue Lingarière par Guillot en 1300 mais également sur des documents de la même époque rue de la Plâtrière. En 1313, la dénomination courante est rue de la Corroierie, parfois rue Courroier ou Conroirie, puis au cours du XVe siècle plutôt rue Plastaye. Cette partie de la rue de Venise pourrait également être la rue de la Bloquerie indiquée par Gilles Corrozet (1510-1568). 








A son extrémité ouvrant sur la rue Saint-Martin, La rue de Venise conserve les vestiges de la Fontaine Mabuée. Cette modeste construction, déplacée lors de la destruction de l’ilot insalubre n°1, se trouvait à l’origine à l’angle de la rue Simon-le-Franc aujourd’hui disparue. La partie occidentale de cette voie occupée par des lingères, s’appelait dès le XIIIème siècle Mabuée, « mauvaise buée ». La fontaine Mabuée n’est édifiée qu’au milieu du XIVème siècle puis reconstruite en 1733 telle qu’elle demeure de nos jours par l’architecte Jean Beausire.  

Au numéro 7 de la rue de Venise, l’incursion de l’art contemporain avec le Centre Wallonie Bruxelles soulignent le saut dans le temps entre Moyen-Âge et temps modernes. Au numéro 28, panneaux de béton et de verre, balcons en métal et bois, éléments en aluminium, l'édifice accueille une galerie d’art et des bureaux, surmontés d’un triplex avec piscine sur le toit. Construit en 1990 par les architectes Serge Caillaud et Jean-Michel Wilmotte, l’immeuble de dimensions modestes mais remarquable par son allure assume une plastique modernité.

Rue de Venise - Paris 4
Accès 129 rue Saint-Martin et 54 rue Quincampoix 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Rivages
Le Marais secret et insolite - Nicolas Jacquet - Parigramme
Le guide du promeneur 4è arrondissement - Isabelle Brassart - Yvonne Cuvillier - Parigramme

Sites référents