Paris : 10 fresques monumentales, Paris musée d'art contemporain à ciel ouvert

 


Les 10 fresques contemporaines sélectionnées par la rédaction à l’occasion de ce florilège célèbrent Paris musée à ciel ouvert. Les murs de la ville, désormais cimaises, se parent de motifs foisonnants, œuvres monumentales qui ont pour point commun l’envergure. Ces interventions aux styles variés, expressions plastiques propres aux intervenants, associent les pratiques peinture, graphisme, calligraphie, trompe-l’œil. Elles invitent à poser regard différent sur la ville, suggèrent une narration alternative. Elles requalifient le territoire sensible de la cité. Fruits de commandes publiques, de partenariats entre les municipalités et les galeries, de projets tels que « Les murs de l’an 2000 », le parcours « Street art 13 », ces fresques démocratisent l’art contemporain et viennent souvent réhabiliter des façades aveugles sans charme. Hors les murs, ces initiatives déplacent la pratique créatrice. L’art sort des lieux institutionnels de la représentation, galeries et musées, afin d’être projeté sans filtre au cœur de la ville, en prise direct avec les passants. Oeuvre d’art public, réalisations monumentales, les fresques touchent le plus grand nombre, propositions sensibles et populaires qui empreignent l’imaginaire collectif. Elles ont pour vocation de poétiser le quotidien, réenchanter la ville, esthétiser le tissu urbain sous un jour inattendu. 10 fresques contemporaines, florilège très subjectif.




3 rue des Haudriettes - Paris 3
Métro Rambuteau ligne 11

A l'angle de la rue des Haudriettes et de la rue des Archives, dans un décrochement du bâti, une fresque monumentale signée par l'artiste Robert Combas impose son style coloré et graphique à l'architecture classique du Marais. Epaisseur du trait, explosion de formes, rondeur du dessin, foisonnement des motifs, cette réalisation dialogue avec les nombreuses interventions d'art urbain du quartier. Commandée par la Ville de Paris en 2000, l'oeuvre qui a pour titre « La femme, lumière de l'homme » fait appel à l'imaginaire collectif, la culture populaire en évoquant le personnage de Don Quichotte créé par l'écrivain espagnol Miguel de Cervantes. Un homme s'est endormi dans son fauteuil, un livre sur les genoux laissant à penser que le reste de l'image est l'expression du songe inspiré par sa lecture. Détail curieux, grotesque, provocateur, un lampadaire à corps de femme éclaire la scène. Au-dessus, comme une représentation du rêve de cet homme, endormi dans une position similaire entouré de livres se trouve Don Quichotte qui lui semble rêver du plus célèbre chapitre du roman de Cervantes, celui où le chevalier à la triste figure combat des moulins à vent. Cocasse, poétique, cette réinterprétation d'un sujet classique vient jouer les trublionnes dans l'espace public à l'instar de Robert Combas dans le monde de l'art.




40 rue Descartes - Paris 5
Métro Cardinal Lemoine ligne 10

L’arbre bleu ou L'arbre des rues de Pierre Alechinsky dresse sa longue silhouette céruléenne à l’angle des rues Descartes et Clovis, dans le quartier de la Sorbonne, derrière le Panthéon. Réalisée à l’occasion du projet Murs de l’an 2000, cette fresque célèbre la puissance de l’imaginaire et la sérénité d’une nature de plus en plus rare en ville. Au sommet de la montagne Saint-Geneviève, l’arbre d’un azur saturé trouve sous le pinceau de l’artiste belge une dimension onirique qui enchante le paysage urbain. Comme peint par un calligraphe dans l’élan du mouvement, le motif central principal est complété d’un ensemble de vignettes qui forment cadre et alimentent la narration en la complétant. Des mots gravés se déploient le long de la fresque. L’oeuvre graphique de Pierre Alechinsky dialogue avec un poème de son ami Yves Bonnefoy. Les vers et les images convoquent la force et les fragilités du vivant cerné par la réalité des cités de l’homme, invitent à préserver cette précieuse nature.




Rue Férou - Paris 6
Métro Saint Sulpice ligne 4

La Fresque « Le Bateau Ivre d’Arthur Rimbaud », rue Férou à Paris, déploie à travers la ville les mots de l’homme aux semelles de vent. Les cents vers du poème retranscrits intégralement s’inscrivent sur un long mur aveugle appartenant à l’enceinte des bâtiments la Direction générale des Impôts, ancien séminaire de Saint Sulpice où Talleyrand étudia. Déployés sur près de 300m2, les mots du poète libertaire, marginal illuminé, résonnent un peu comme un pied de nez à l’administration fiscale. Ce drôle de décor ne manque pas de piquer la curiosité des passants. Ceux qui ont appris ce poème à l’école mais également les touristes pour qui le nom de Rimbaud incarne une sorte d’éternelle adolescence française. Le projet a été réalisé à l’initiative de la Fondation néerlandaise Tegen-Beeld et de l’association internationale Les Amis de Rimbaud, soutenu dans son financement par l’ambassade des Pays-Bas et près de deux cents contributeurs particuliers. Durant près de dix semaines, sous le regard des passants enthousiastes, le calligraphe Jan Willem Bruins a travaillé à la main, directement sur la pierre afin de livrer cette oeuvre singulière. La fresque a été inaugurée le 14 juin 2012 dans le cadre du trentième Marché de la Poésie. 




Angle 171 rue La Fayette et 4 rue de l'Aqueduc - Paris 10
Métro Gare du Nord lignes 2, 4, 5

 « Paris dans la tête », une fresque monumentale de François Boisrond commandée en 1989 par la Ville de Paris tente avec tendresse de redonner une dimension esthétique à un décor urbain vétuste. Sur une hauteur de quatre étages, cette oeuvre pérenne, située derrière la gare du Nord, représente un petit monsieur à fine moustache qui soulève son chapeau comme pour saluer les passants. Couleurs pastel, trait naïf, bouille joviale d'ancienne réclame, dans sa tête se déploie un curieux plan de Paris qui reprend en l'inversant celui utilisé usuellement. La Tour Eiffel se retrouve en haut à droite au lieu d'en bas à gauche. François Boisrond a représenté les monuments et les lieux les plus emblématiques de Paris, outre la Tour Eiffel, Notre Dame, la place de la Concorde, l'Assemblée Nationale, le Louvre, les Invalides, la Tour Montparnasse, l'Arc de Triomphe, la Maison de la radio mais également l'aéroport d'Orly, le TGV de la gare du Nord. Les symboles de la ville ponctuent le tableau de détails cocasses. Le bateau des Nautes de Lutèce échappé du blason de Paris navigue sur des flots azur tandis que dans les cieux de la ville des arts et des lettres flottent un livre ouvert, une palette de peintre, une guitare, un appareil photo. Et puis une date inscrite sur le mur, 1992, certainement pour marquer la fin de ce que le peintre qualifiera lui-même "d'une expérience physique sur un échafaudage de vingt mètres".





93 rue Jeanne d’Arc - Angle du boulevard Vincent Auriol et de la rue Jeanne d'Arc - Paris 13
Métro Nationale ligne 6

Shepard Fairey, qui intervient sous le nom de street artiste "Obey", s'est fait connaître du grand public pour la réalisation de l’affiche de campagne de Barack Obama, "Hope". Impliqué dans des univers aussi divers que l’art contemporain, la mode, la politique, il a laissé sa trace sur les murs du monde entier depuis 1989 avec notamment sa création la plus célèbre André the Giant (véritable catcheur d’origine russe dont il avait découvert la photo dans de vieux magazines), avec un slogan contestataire, Obey qui lui donnera son pseudonyme. Aujourd’hui artiste reconnu, il ne renonce pas à la poétique dissidente de ce mouvement, sous culture devenue main stream. Bien que son travail soit largement diffusé dans les galeries et musées, il tient à maintenir une certaine présence dans la rue, là où est né son art, là où son message est le plus fort. Engagé sur le plan politique et dans la préservation de l’environnement, Shepard Fairey collabore avec de nombreux organismes à buts non lucratifs tels que Occupy Wall Street (mouvement de contestation pacifique dénonçant les abus des milieux financiers), Surfrider Foundation (organisation ayant « pour but la défense, la sauvegarde, la mise en valeur et la gestion durable de l'océan, du littoral, des vagues et de la population qui en jouit »).





96 rue d'Alleray - Paris 15
Métro Pernety ligne 13

La fresque signée Hervé Di Rosa située au 96 rue d’Alleray dans le XVème arrondissement, oeuvre intitulée « La Terre », a été réalisée dans le cadre du projet, Les murs de l’an 2000. Tourbillon d’images et de couleurs, ce mur ultra coloré animé d’amusants personnages reflète l’univers narratif singulier d’un artiste prolifique, figure majeure de la Figuration libre. Hervé Di Rosa juxtapose les figures de personnages récurrents traçant sur le support des lignes de force qui impliquent le mouvement et la profondeur. Ce coloriste né joue sur les oppositions complémentaires dans une palette chromatique faussement primaire. En lien direct avec la réalité plastique de notre société de consommation, l’artiste détourne les images du quotidien en s’inspirant de la culture populaire, bande-dessinée, publicité, images produites par les mass media tout en assumant une filiation avec l’histoire de l’art, Matisse ou Picasso pour ne citer qu’eux. Il lance des ponts entre les rives de la production graphique avec un sens évident de la mise en scène, un goût certain de l’étrange et une facilité pour l’économie de moyens.



Angle de la rue des Dames et de la rue Biot - Paris 17
Métro Place de Clichy lignes 2, 13

La fresque monumentale à l’angle de la rue des Dames et de la rue Biot a été réalisée d’après une oeuvre de William Mackendree, un artiste américain qui vit entre New York et Paris depuis le début des années 1980. La maquette de cette oeuvre d’art publique a été présentée en 1999 à la Mairie de Paris dans le cadre du projet Les murs de l’an 2000. A cette occasion, une douzaine d’artistes majeurs de la scène internationale ont été contactés afin de proposer leur vision de la ville et autant de fresques destinées à orner les murs de Paris. Mais sans pour autant intervenir dans l’exécution. Prenant la suite, des artisans muralistes ont alors été chargés des tâches plus prosaïques dont le ravalement de façade préalable puis la réalisation de l’oeuvre. Financé grâce à l’intervention d’un annonceur en échange d’espaces publicitaires à travers la ville, ce programme artistique de grande ampleur a permis de réhabiliter certains immeubles du domaine public tout en faisant un geste pour démocratiser l’art contemporain. 





Square Jehan Rictus - Place des Abbesses - Paris 18
Métro Abbesses ligne 12

"Le Mur des je t’aime", une œuvre monumentale très fleur bleue inaugurée à Montmartre le 12 octobre 2000, attire dans un jardin romantique, touristes et Parisiens en goguette. Frédéric Baron auteur-compositeur et poète, habitué du quartier, avec le concours de la calligraphe Claire Kito, a imaginé un tableau composé de 612 carreaux en lave émaillée bleue, ponctué d’éclats de couleur rouge représentant les morceaux d’un cœur brisé. Sur les fines dalles, les mots je t’aime se déclinent, manuscrits, en 280 langues et dialectes du monde entier. Anglais, corse, chinois, kirghiz, navajo, esperanto, inuit, bambara se mêlent, image de paix fraternelle entre les peuples, message d’amour universel. Le format des plaques rappelle celui des feuilles de papier sur lesquelles ont été recueillies les écritures. Cette œuvre s’inscrit dans la tradition des céramiques et mosaïques ornementales, une vogue lancée à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1878 grâce aux progrès techniques, notamment le procédé de céramique ingerçable préservant la céramique des craquelures, et dont l’âge d’or à Paris se situe durant les années folles. Si la concurrence sévère et l’industrialisation de la production feront éteindre les fours des faïenceries de la région parisienne à partir des années 30, la ville garde de nombreux souvenirs de cette toquade, sous la forme de panneaux décoratifs.



61 rue Haxo - Paris 20
Métro Saint Fargeau ligne 3bis

La fresque réalisée en l’an 2000 par Philippe Rebuffet rue Haxo orne un pignon aveugle entre deux constructions disparates. Ce trompe-l’œil astucieux rend hommage aux soldats du feu de la caserne de Ménilmontant sur le mur de laquelle il a été peint. La réalisation monumentale, haute de six étages, égaie le décrochement sur rue qui aurait été un peu triste sans elle, entre le bâtiment néo-classique de la caserne datant de 1904 typique de la fin du XIXème siècle et une construction plus moderne très années 1970. Philippe Rebuffet, assisté de Peter Rodgers et des Ateliers Saint-Jacques, a représenté une intervention avec la grande échelle, le sauvetage d’un chat perché sur un pont qui n’est pas sans rappeler le Pont des Soupirs à Venise. Jeu de profondeur, illusion d’optique et inspiration naturaliste confèrent un dynamisme particulier à l’oeuvre. Au pied de la fresque, une ancienne voiture à cheval de pompiers évoque le passé et la longévité de la caserne de Ménilmontant. 




« Rendez-vous à l’angle des rues de Belleville et Julien Lacroix » est une fresque monumentale signée Jean Le Gac, peintre et plasticien, représentant du mouvement de la Nouvelle Figuration ou figuration narrative. Déployée sur une façade aveugle de la place Fréhel, cette oeuvre, datée de 1986, y côtoie une réalisation de Ben, « Il faut se méfier des mots ». Un genou à terre, un mystérieux détective tient dans une main une feuille de papier marquée d’une croix noire. Les lettrages qui l’entourent, suggérant là une affiche du film Fantômas, ici une publicité pour des chocolats ou encore une Une de journal semblent évoquer la présence d’un cinéma. D’ailleurs, l’image d’ensemble a des allures de film noir des années 1940. Avec sa légende, "Habitué au style allusif du peintre, le jeune détective comprit que le message lui indiquait de continuer la poursuite par la rue Julien-Lacroix", Jean Le Gac ouvre quelques pistes. Suivons-le !



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.