Paris : Rue de la Colombe, mémoire de l'île de la Cité et légende des deux colombes - IVème


 
La rue de la Colombe a conservé le charme des venelles médiévales. Son tracé sur la partie de l’île de la Cité préservée a échappé aux projets d’Haussmann qui ont profondément modifié les abords du Palais de la Cité. Située dans l’ancien quartier du chapitre de Notre-Dame, cette ruelle pavée se caractérise par la présence de vieilles maisons intéressantes sur la rive impaire aux numéros 3, 5, 7. Son nom proviendrait de l’enseigne d’un commerce du XIIIème siècle. La légende des deux colombes, largement diffusée à partir des années 1950, serait plutôt une poétique invention de Michel Valette, célèbre cabaretier qui y tint commerce de 1954 à 1985. La rue de la Colombe se trouve mentionnée dans « Le Dit des rues de Paris » de Guyot vers 1300 sous l’appellation rue de la Coulombe, orthographe qui pourrait renvoyer à la « colonne » en vieux français plutôt qu’à l’oiseau. Un manuscrit de 1636, « Estats, noms et nombre de toutes les rues de Paris » cite la rue de la Colombe. En 1702, la venelle comporte six maisons et deux lanternes. Ce n’est qu’au XIXème siècle qu’est ouvert le segment compris entre la rue Basse des Ursins et le quai, en 1811. 






Dès le début du XIXème siècle, l’île de la Cité subit des transformations radicales. Les travaux d’urbanisme réhaussent le niveau général du quartier créant des dénivellations entre parties anciennes et récentes que les volées d’escalier viennent pallier. La création de la rue d’Arcole, parallèle à la rue de la Colombe, en 1837 réunit la rue Saint Pierre aux Bœufs au Sud et la rue du Chevet Saint Landry au Nord. La voie est prolongée vers l’ouest de l’île. Le côté pair de la rue de la Colombe, élargie de quatre mètres à huit mètres quatre-vingt, est rasé afin de permettre la construction des nouveaux immeubles de la rue d’Arcole. 

Des fouilles sur le mur entre les numéros 3 et le 5 révèlent en 1898 la présence de vestiges de l’enceinte gallo-romaine fortifiée du IVème siècle. Cette muraille entourait l’île dont la superficie était plus restreinte, assurant la protection de Lutèce contre les invasions barbares, notamment les raids germaniques. Les remparts hauts de huit mètres, larges de deux mètres soixante, chemins de ronde et murs crénelés, avaient été édifiés grâce aux pierres prélevées sur d’anciens édifices romains. Ces vestiges ont été partiellement détruits en 1912 à l’occasion de la construction d’un égout. Au sol devant le numéro 6 de la rue, double rangée de pavés en évoque l’emplacement et l’épaisseur. 







Côté pair, seul le numéro 4 qui appartenait à l’origine à la rue des Ursins conserve un intérêt. L’immeuble qui dépasse de l’alignement sur la rue provoque un curieux rétrécissement de la chaussée. Les fondations dateraient du XIIIème siècle tandis que la maison aurait été reconstruite en 1770 sur des éléments du milieu du XVIème siècle.

La légende des deux colombes a probablement été inventée par le cabaretier Michel Valette, avec la complicité de son ami », Jacques Yonnet qui la reprend dans son ouvrage « Rue des Maléfices » en 1954 et ainsi que dans « Troquets de Paris », recueil de chroniques parues dans L’Auvergnat de Paris. Evoquée également en 1966 par François Caradec et Jean-Robert Masson dans le « Guide du Paris mystérieux », l’histoire romantique se déroule vers 1220. Un couple de colombes niche à la fenêtre d’un sculpteur breton, artisan oeuvrant sur le chantier de Notre-Dame. Une crue de la Seine particulièrement violente inonde le quartier. Sous la fureur de l’inondation, la maison branlante adossée à l’ancienne muraille gallo-romaine s’effondre dans un glissement de terrain. L’une des colombes reste prisonnière des décombres. Durant des jours la seconde vient la nourrir en glissant des graines dans les éboulis. Les habitants, touchés par le dévouement de l’oiseau, s’acharnent à déblayer les gravats et finissent par libérer la colombe qui retrouve sa tendre moitié. 

Symbole de dévouement conjugal, courage face à l’adversité, une statuette d’homme aux colombes est placée dans une niche afin d’entretenir le souvenir de l’épisode. Un rite censé apporté le bonheur se met en place. Les jeunes amoureux viennent se jurer fidélité devant la figurine. Le chapitre de Notre Dame voyant d’un mauvais œil cette pratique païenne la remplace par une représentation de Saint Nicolas, patron des étudiants. 








La maison reconstruite devient au XVIIème siècle la taverne de Saint Nicolas, repaire du célèbre brigand Cartouche (1693-1721). La statue de Saint Nicolas est brisée lors de la Révolution en 1792, la taverne est fermée à la suite de la Commune en 1871. Le fonds de commerce est racheté en 1872 par la famille Desmolières qui développe l’espace en ajoutant une verrière et une tonnelle pleines de charme. La Ville de Paris se porte acquéreur de l’immeuble auprès de Constant Agniez en 1921. La municipalité souhaite le raser afin d’aligner la rue. Mais le chantier est repoussé, le bail renouvelé. Le bistrot pittoresque s’épanouit. Dans les années 1930, ministres, écrivains célèbres Francis Carco, Mac Orlan, Jacques Prévert, André Vers, Maurice Fombeur fréquentent la brasserie.  Séduit par les lieux, l’artiste américain Ludwig Besselmans rachète à son tour le fonds de commerce. « La Colombe » attire une clientèle internationale prestigieuse, tel que le duc et la duchesse de Windsor.  

De 1954 à 1964, Michel Valette et son épouse Beleine Valette transforme les lieux en un cabaret, véritable pépinière de talents. « Les deux colombes » préside aux débuts de plus de deux-cents artistes Guy Béart, Pierre Perret, Jean Ferrat, Anne Sylvestre, Georges Moustaki. Au début des années 1960, le projet d’alignement de la rue menace la maison. Construction de plus de cent ans, située dans le secteur sauvegardé des rives de Seine, elle est sauvée par le décret Malraux de 1962. De 1964 à 1985 le couple Valette change la vocation de l’établissement qui devient restaurant gastronomique. Grâce au talent de chef de cuisine de Beleine Valette, il est distingué par trois étoiles en 1983. Fréquenté par des personnalités du mondes des arts, du spectacle, de la politique, le restaurant connait un franc succès.  






Le rachat en 1985 par Renata Gaillard conduit à un lent déclin puis à la fermeture du restaurant. Il est repris en 1995 date à laquelle il devient un bar à vin. Nathalie Theric de 2005 à 2011 puis Stéphanie Picard de 2011à 2019 s’attachent à faire vivre la mémoire des lieux à travers leur établissement « La réserve de Quasimodo ». Une plaque commémorative est posée en 2016. Le restaurant devient « Les deux colombes » en 2020, dans les mains de Vincent Kupelian.

Rue de la Colombe – Paris 4



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Curiosités de Paris – Dominique Lesbros - Parigramme
Le guide du promeneur 4è arrondissement – Isabelle Brassart et Yvonne Cuvillier – Parigramme

Sites référents