Paris : Rue de l'Abreuvoir, un ancien chemin du Vieux Montmartre préservé, paisible voie de joli village - XVIIIème

 

La pittoresque rue de de l’Abreuvoir, chemin préservé du Vieux Montmartre, inspire les photographes du monde entiers et les artistes, à l’instar, dès 1914 de Maurice Utrillo. La gracieuse venelle serpente sur le flanc de la Butte, invitation à la flânerie. Les courbes de l’ancienne sente de terre, la perspective sur le Sacré-Cœur et le Château d’eau du square Carpentier définissent un sujet pictural de choix. Malgré la disparition d’une partie des vieilles maisons typiques, la rue de l’Abreuvoir conserve le charme et le tracé d’un vieux chemin villageois. La présence de ce dernier est attestée sur le plan du cadastre de 1325, sous le nom de ruelle du Buc. Le plan Albert Jouvin de Rochefort en 1672 mentionne la venelle à l’état de chemin. Il prend en 1843 le nom de chemin de l’Abreuvoir puis devient une rue en 1863. En 1867, un décret impérial valide un projet d’urbanisme qui menace l’intégrité de la rue de l’Abreuvoir. Il s’agit d’appliquer à cet ancien sentier villageoise le programme des grands travaux d’Haussmann. La charmante ruelle doit laisser la place à une vaste avenue Prosper de Chasseloup-Laubat, ministre de Louis-Napoléon Bonaparte, une artère bordée d’immeubles en pierre de taille. Cette entreprise, suspendue à l’occasion de la guerre franco-allemande de 1870, ne sera pas menée à bien. Pour notre plus grand plaisir. 








Sept sources jaillissent autour du village de Montmartre. Au VIIème siècle, un hameau modeste prend racine autour d’une chapelle. Dès l’établissement de la riche abbaye royale Notre-Dame de Montmartre, fondée par le roi Louis VI en 1133-1134 à la place d’un prieuré clunisien relevant de Saint-Martin-des-Champs, il connaît un essor particulier. La présence des moniales bénédictines sous protection royale permet le développement de certaines infrastructures. Les eaux fraîches et potables favorisent la création de nombreuses fontaines. 

Celle accolée aux jardins potagers de l’abbaye de Montmartre voit son nom originel qui signifie « eau à boire », évoluer, se déformer. A partir du XIVème siècle, elle est la fontaine de Buc, de Bu ou de Bue et enfin du But au XVIIIème siècle. Elle permet à la population de s’alimenter en eau sans danger. Jusqu’au XIXème siècle, elle demeure à l’emplacement de l’actuelle place Constantin Pecqueur avant de disparaître lors du percement de l’avenue Junot à partir de 1910. La place, aujourd’hui accessible dans le prolongement de la rue de l’Abreuvoir par les escaliers de la rue Girardon, n’était alors que l’aboutissement de l’ancien sentier montmartrois. 

Au XIVème siècle, un abreuvoir destiné aux chevaux et divers bestiaux, alimenté la fontaine du Bu, lui est adjoint, plus haut sur la pente au croisement actuel de la rue Girardon et de la rue de l’Abreuvoir. A partir de 1377, il est cité sous l’appellation de « gué aux chevaux ». De nos jours en contrebas de la place Dalida, une sorte de cuvette pavée marque l’ultime vestige de l’abreuvoir. Celui-ci possédait une caractéristique étrange. La margelle, pierre tumulaire empruntée à un monument funéraire, était gravée d’une figure d’abbesse crosse à la main.











Bordé des terres maraîchères de l’abbaye de Montmartre, le chemin du Buc, future rue de l’Abreuvoir, demeure longtemps la principale voie d’accès vers ce point d’eau. Le soir, les animaux venus des pâturages voisins ou travaillant dans les champs puis à partir du XIXème siècle ceux des carrières de gypse, ânes et chevaux, moutons et vaches, viennent se désaltérer sous l’œil vigilant des gardiens de troupeaux. En 1864, Gérard de Nerval dans « Promenades et souvenirs » note à ce sujet : « C’était ensuite le voisinage de l’abreuvoir, qui le soir s’anime du spectacle de chevaux et de chiens que l’on y baigne, et d’une fontaine construite dans le goût antique, où les laveuses causent et chantent comme dans un des premiers chapitres de « Werther ». »

Depuis le rattachement de la commune de Montmartre à la Ville de Paris en 1860, la rue de l’Abreuvoir a connu des aménagements variés lesquels ont néanmoins préservé une partie du tissu villageois originel. Au numéro 2, se trouve la célèbre Maison Rose, hautement instagramable, dont la rédaction évoquait l’histoire en détails dans un article ici. L’architecture atypique de la maison au numéro 4, colombages verts et pierre grise, dénote avec panache. Elle a été édifiée en 1924 pour le Commandant Henry Lachouque (1883-1971), historien spécialiste des grandes campagnes napoléoniennes. La bâtisse conserve une enseigne impériale frappée d’un aigle impérial, rappel de cette passion. En façade, une niche accueille une statuette de la Vierge tandis que le cadran solaire au coq est frappé de la devise « Quand sonnera, je chanteray ». 


1860 Place de l'Abreuvoir

Circa 1900

Circa 1900

Circa 1905

Circa 1910

Circa 1910

Circa 1915

Circa 1920



Des numéros 6 à 10, d’anciennes maisons de village édifiées sur jardin, typiques du vieux Montmartre, ont été conservées presque entièrement authentiques. Au 12, se trouve un immeuble de rapport édifié en 1883 par l’architecte Hippolyte Danet. Camille Pissarro y loue un appartement entre 1888 et 1892, pied-à-terre parisien tandis que sa famille vit dans l’Oise. Il se trouve ainsi au cœur du Montmartre artistique, tout proche des marchands d’art du boulevard de Clichy.

Au numéro 14, se trouvait au début du XXème, la Maison Georges, une buvette épicerie réputée pour sa bienveillance envers les artistes impécunieux. L’établissement est repris en 1924 par Henri Baillot, ancien combattant de la Première Guerre Mondiale. Avec l’aide de son épouse, il transforme les lieux en café-restaurant, baptisé L’Abreuvoir. Durant l’Occupation, afin de fournir des matières premières aux usines d’armement, les troupes allemandes réquisitionnent les métaux, bronze des statues publiques comme zinc des comptoirs de troquets. Les propriétaires de l’Abreuvoir prennent le parti de dissimuler le leur, menacé de fonte, derrière un emplâtre épais. Le comptoir réapparaît intact à la Libération. Au début des années 1950, chaque deuxième mardi du mois, cette institution de la Butte devient le rendez-vous de l’une des premières associations de préservation du Vieux Montmartre, le dîner du Dernier Carré de Montmartre. En 1957, le restaurant ferme définitivement. Grâce au don de Louis Baillot, le fils d’Henri, le comptoir en zinc résistant rejoint les collections du Musée de Montmartre. La maison devient une habitation. Au numéro 18, un immeuble de rapport élégant borne la place Dalida où se trouve le buste de la chanteuse, oeuvre du sculpteur Alain Aslan. 








La rive impaire de la rue de l’Abreuvoir longe le mur de soubassement des jardins de la Cité internationale des arts et de la Folie Sandrin. Le 15, seul numéro impair construit, se trouve une maison du XIXème siècle au-dessus de la cuvette pavée où se trouvait l’abreuvoir. Sur la façade un mascaron du début du XXème siècle, indique « Villa Radet ». Il rappelle la présence du moulin du Radet, déplacé un temps vers la propriété du Moulin de la Galette, dont l’histoire complète se trouve ici, aux côtés de son alter-ego, le moulin Blute-fin, et aujourd’hui rendu à l’état de carcasse aménagée en restaurant à l’angle de la rue Lepic et Girardon. Désormais, cette maison appartient à l’ensemble de la Cité internationale des arts, où se trouvent une dizaine d’ateliers d’artistes. Montmartre des artistes perdure à travers eux. 

Rue de l’Abreuvoir - Paris 18

Bibliographie 
Les origines du vieux Montmartre - André Maillard - Editions de MInuit
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit
Le guide du promeneur 18è arrondissement - Danielle Chadych et Dominique Leborgne - Parigramme

Sites référents



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.