Paris : 10 oeuvres hommages, 10 statues qui témoignent de l'attachement à des personnalités des arts, des lettres, de la science et du divertissement

 


Paris, musée à ciel ouvert, regorge d’œuvres, joyaux d’une ville propice à l’art public. Sculptures de pierre, statues de bronze, elles esthétisent le territoire sensible de la cité. Réinventée au XIXème siècle par les grands travaux d’Haussmann, les rues de Paris sont marquées par le goût de cette époque, un classicisme teinté d’éclectisme. Durant l’Occupation, de nombreux bronzes disparaissent de l’espace public pour être fondus. Dès les années 1950, l’Etat veille à remplacer ces œuvres afin de restaurer le prestige de la France après le régime de Vichy. L’intrusion de l’art moderne puis contemporain au cœur du tissu urbain historique, des lieux de pouvoir somptuaires, vitrines diplomatiques, ne manque pas de saveur. De nos jours, la politique de commande et d’acquisition de l’Etat a pour objectif de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Démocratisation de la culture, intégration au quotidien. Ce mécénat, financement de la création par des subventions, apporte un soutien aux artistes et permet d’accroître un patrimoine artistique ancré dans notre temps. Témoignages de l’attachement à certaines figures publiques, les œuvres hommages célèbrent des personnalités aux vocations très variées : artistes, écrivains, penseurs, scientifiques, grands résistants, activistes ou bien désormais chanteurs. Elles saluent la mémoire, l’engagement, l’héritage et nourrissent l’idée de transmission aux générations futures. Pourtant, ces créations ne font pas toujours l’unanimité auprès du public. Mirage de l’art pour tous. Les admirateurs des personnalités populaires en particulier manifestent volontiers leur perplexité, tels les fans de Johnny Hallyday découvrant à Bercy l’hommage du plasticien Bertrand Lavier. Figuratives, les œuvres interrogent. Les effigies se voient reprochées d’être peu flatteuses, ne rendant pas justice. Allégoriques, elles déçoivent aussi. Abstraites, le geste esthétique est souvent jugé trop ésotérique. A défaut de contenter tout le monde, malgré les réceptions diverses, ces œuvres hommages contemporaines ne manquent pas d’intérêt. Leur sujet et le traitement, reflet de l’époque incarnent un certain air du temps. La rédaction a sélectionné pour vous 10 œuvres hommages incontournables à Paris.




Jardin Anne Frank - 14 impasse Berthaud 
Accès 22 rue Beaubourg - Paris 3
Métro Rambuteau ligne 11

Le sculpteur berlinois Alexander Polzin, fasciné par l'oeuvre de Paul Celan, a nourri durant dix-sept ans le projet d'ériger un monument dédié au poète, un mémorial à Paris où celui-ci a passé plus de la moitié de sa vie. De discussions en tractations, de recherches de partenariat, de mécénat en quête d'un lieu, cette initiative de longue haleine a trouvé sa réalisation finale avec l'inauguration le 1er juin 2016 du groupe de sculptures « Hommage à Paul Celan ». A l'entrée du jardin Anne Frank au cœur du Marais historique, ces silhouettes de bronze signées Alexander Polzin éclairent les interrogations de l'artiste au sujet du rôle de l'art public dans la mémoire collective, de son influence sur la vie de la cité. A travers cette oeuvre, Alexander Polzin établit un lien entre la forme plastique et la langue idiomatique de la poésie de Celan. Double sculpture d'urgence et de puissance, deux figures se font face, légèrement détournées l'une de l'autre, corps taillés dans le bois dont le bronze prend l'apparence.




Angle des rues Jean de Beauvais et des Ecoles - Paris 5
Métro Maubert Mutualité ligne 10

Hommage au poète roumain Mihai Eminescu (1850-1889), une statue de bronze dresse sa silhouette singulière à l’angle des rues Jean-de-Beauvais et des Ecoles. Oeuvre post-moderniste du sculpteur Ion Vlad (1900-1992), artiste roumain naturalisé français, sa création a été initiée par l’Eglise orthodoxe roumaine de Paris (église orthodoxe des Saints Archange) voisine et la Ligue culturelle roumaine. Ce bronze patiné réalisé à la Fonderia artistica Versiliese Pietrasanta, prestigieuse fonderie d’art italienne, a été inaugurée à Paris le 15 juin 2009 à l’occasion du centenaire de la mort du poète. Il représente Mihai Eminescu dans une pose lyrique, visage expressif tourné vers le ciel et l’inspiration, livres sous un bras, pieds nus symbolisant son humilité. Eléments plus inhabituels, son vêtement évoque une armure fracturée ou les lambeaux de la pauvreté, de la bohème, tandis qu’une corde ceint sa taille. Les deux longues branches qui encadrent la sculpture renvoient à l’idée de nature, motif récurrent de l’oeuvre de Mihai Eminescu.

Jardin des Plantes - Paris 5
Métro Jussieu lignes 5, 10

Hommage à Saint-John Perse, l’une des rares oeuvres d’art contemporain présente au Jardin des Plantes, célèbre l’idée de processus créatif littéraire. En 1985, le sculpteur Patrice Alexandre reçoit commande de la part du ministère de la Culture. Il s’agit d’honorer la mémoire de Saint-John Perse, pseudonyme d’Alexis Léger (1887-1975), poète, écrivain et diplomate français, prix Nobel de littérature en 1960. Il imagine trois plaques de bronze patiné, gravées de trois versions différentes du poème Nocturne, une oeuvre aux accents testamentaires datant de 1973, qui convoquent par la reproduction monumentale de l’écriture manuscrites de l’auteur, le cheminement cognitif de la création. Ratures, annotations, brouillons jusqu’au texte final tapuscrit se déploient sur 2,7 mètres de haut et 1,26 mètres de large. Cette pièce appartenant aux collections du Centre national des arts plastiques a été exécutée en 1989 dans les ateliers de la fonderie d’art milanaise Mapelli. A première vue, la sculpture se compose de monolithes plantés dans le sol, tablettes gravées qui ne sont pas sans rappeler la pierre de Rosette. En regardant de plus près, le motif de la feuille d’arbre s’impose tandis qu’au verso de l’oeuvre se dévoile un curieux réseau de nervures.


Place du Colonel Fabien - Paris 10
Métro Colonel Fabien ligne 2

L’Hommage à Albert Camus, une oeuvre de Michel Poix (1933-2018), a été inauguré au débouché de la rue éponyme, place du Colonel Fabien, en 1986. La sculpture monumentale s’inscrit dans le cadre de la ZAC Grange-aux-Belles, opération d’urbanisme menée par l’architecte Jean-Claude Bernard. L’ensemble a été achevé en 1983. Le monument, commandé en 1984, rejoint son point d’ancrage actuel deux ans plus tard. Composé d’un socle de béton surmontée d’une figure d’acier inoxydable, il culmine à 5,50 mètres de hauteur. Volutes de métal, foisonnement de courbes, de pleins et de déliés, un ruban de Möbius enveloppe une silhouette humaine dans une torsion rutilante. L’oeuvre symbolise la pensée complexe d’Albert Camus.
 




Place du Bataillon du Pacifique - Paris 12
Métro Bercy lignes 6, 14

Hommage à Berty Albrecht (1893-1943), oeuvre réalisée en 1984 par Michèle Forgeois, a été inaugurée le 28 octobre 1988 par le président François Mitterrand, place du Bataillon-du-Pacifique. Médaille militaire de la Croix de Guerre, Médaille de la Résistance, Berty Albrecht, figure du féminisme, a mené une vie de combat et d’engagement. Elle milite très tôt pour la défense du droit des femmes et joue un rôle majeur au sein de la Résistance auprès du groupe Combat. Elle est l’une des six femmes Compagnons de la Libération, l'une des deux femmes inhumées dans la crypte du mémorial de la France combattante du Mont Valérien. Le monument qui lui rend hommage emprunte la double voie de l’abstraction et de la figuration. Un bloc de marbre de carrare, poli dans un doux mouvement de courbe repose sur un piédestal en bronze. Celui-ci est orné de deux portraits de Berty Albrecht l’un en relief, le second en creux, évocation symbolique des activités de l’ombre. Cette sculpture embrasse les caractéristiques plastiques du travail mené par Michèle Forgeois (1929-2000) tout au long de sa carrière. La taille directe, les jeux de volumes, de pleins et de vides, les lignes harmonieuses. L’artiste a laissé sa trace au sein des collections publiques, en collaborant avec la Banque de France à Marne la Vallée ou avec les Archives départementales à Périgueux. A Bercy, la stèle restaurée en 2018 demeure la propriété du Centre national des arts plastiques. 





Esplanade Johnny Hallyday - Paris 12
Métro Bercy lignes 6, 14

La sculpture hommage à Johnny Hallyday, signée de l’artiste Bertand Lavier, a été inaugurée le 17 septembre 2021, en présence de cent-cinquante motards, de ses proches et de ses musiciens. Le lieu, en face de la salle de Bercy, désormais Accor Hotels Arena où le rocker a donné cent-un concerts, semble particulièrement approprié. L’oeuvre célèbre la mémoire d’un chanteur populaire, figure du patrimoine français, dont les chansons ont su créer un lien particulier entre les générations de fans. Johnny Hallyday n’aimait pas les statues à son effigie. Bertrand Lavier a choisi d’accoler des symboles associés à l'idole des jeunes, représentation d’un certain esprit de rébellion. La démarche artistique s’inscrit dans la filiation du ready-made. Les éléments sélectionnés, objets porteurs de sens, illustrent un style de vie de musique et de vitesse dans une forme finale audacieuse. D’une base en granito bleu clin d’œil au « Walk of Fame » d’Hollywood Boulevard, jaillit un mat en acier inoxydable qui figure un manche de guitare. Au sommet de celui-ci, une véritable Harley Davidson bleu métal, modèle Fatboy, semble se cabrer dans les airs, perchée à six mètres de hauteur. La moto évidée de toute sa belle mécanique, sans moteur, appartenait réellement à Johnny Hallyday.





Jardin de l’Observatoire
98 boulevard Arago - Paris 14
Métro Saint Jacques ligne 6

Oeuvre du plasticien belge Wim Delvoye, le bronze hommage à François Arago (1786-1853), scientifique et politicien, garde l’entrée du Jardin de l’Observatoire, institution dont il a été directeur de 1843 jusqu’à sa mort. Cette statue inaugurée en 2017, reconnaissance tardive envers un grand homme, remplace celle qui se trouvait place de l’Ile-de-Sein, fondu en 1942 durant l’Occupation. Soixante-quinze ans après la destruction de l'oeuvre signée Alexandre Oliva datant de 1894, l’association ARS Arago fondée au sein de l’Ecole Polytechnique a obtenu la réalisation d’un nouveau monument. Le projet de Wim Delvoye s’inspire du bronze originel. Il a travaillé à partir de dessins préliminaires du portrait réaliste d’Arago, esquisses très figuratives réalisées par Oliva au XIXème siècle et conservées au Louvre. Le plasticien belge a imaginé une silhouette déformée par une torsion hélicoïdale, motif emblématique de son travail. En utilisant un programme informatique 3D, il a obtenu une image plus abstraite du scientifique, image qui dans sa conception même fait référence aux lois mathématiques qui régissent la nature et la physique, sujet d’étude principal d’Arago.

Place Dalida - Paris 18
Métro Lamarck Caulaincourt ligne 12

Le buste de Dalida à Montmartre, oeuvre du sculpteur français Aslan inaugurée en 1997, est rapidement devenu un lieu de pèlerinage et de recueillement pour les admirateurs de cette icône de la chanson populaire. Désormais, les touristes du monde entier prolongent la légende à travers un curieux rituel pas toujours du goût des riverains qui y voient galéjade et indécence. Polie par les hommages répétés, la patine du bronze est usée au niveau de la poitrine. Caresser les seins de métal porterait bonheur, particulièrement en amour. L’origine de cette nouvelle tradition demeure incertaine. Dalida se donne la mort le 3 mai 1987. Montmartre rend hommage à l’interprète de Gigi l’amoroso une première fois près de dix ans après son décès. La Ville lui consacre une place, au carrefour de la rue de l’Abreuvoir, de la rue Girardon et de l’allée des Brouillards à deux pas de son ancien domicile. Ce confetti charmant devient place Dalida par arrêté municipal du 5 décembre 1996. Second hommage du quartier à la chanteuse, le millésime 1996 de la cuvée du Clos Montmartre porte son nom. Puis le 24 avril 1997, à l’occasion de l’anniversaire de sa mort, est inauguré un buste à son effigie. Ce bronze élégant et sensuel est signé Aslan (1930-2014) nom d’artiste d’Alain Gourdon qui emprunte le patronyme de son grand-père d’origine arménienne. Célèbre pour ses figures féminines et ses portraits de célébrités, il a représenté Marianne deux fois, en empruntant les traits de Brigitte Bardot en 1968 puis ceux de Mireille Mathieu en 1978. Il est également l’auteur de bustes fameux du Général de Gaulle, Alain Delon et Georges Pompidou.

Place Marcel Aymé - Paris 18
Métro Lamarck Caulaincourt ligne 12

Le Passe-muraille, statue hommage à l’écrivain Marcel Aymé (1902-1967) et à la nouvelle fantastique, publiée en 1943, dans le recueil du même nom, est une curieuse oeuvre qui semble jaillir du mur attenant au jardin de la cité des artistes. La statue de bronze, signée Jean Marais (1913-1998), est devenue l’une des curiosités du quartier depuis son installation en 1989. Elle attire autant le regard des passants, les commentaires des badauds que les selfies des touristes perplexes. Le célèbre personnage de Dutilleul dit le passe-muraille, homme doté d’un don surprenant qui lui permet de traverser les murs, apparaît figé dans la pierre au moment où il émerge de la paroi. Tête et buste partiellement dégagés, une main, une jambe, l’ensemble s’élève à 2,30 mètres de hauteur. L’artiste qui réalise l’original en 1967 au lendemain du décès de Marcel Aymé, a prêté les traits de l’écrivain son ami, à la statue. Le bronze final a été inauguré à Montmartre le 25 février 1989 sur la place qui porte le nom de Marcel Aymé depuis le 10 décembre 1986.





Place Edith Piaf - Paris 20
Métro Porte de Bagnolet ligne 3

Hommage à Edith Piaf (1915-1963), la statue de bronze imaginée par la sculptrice Lisbeth Delisle propose une représentation expressive à taille humaine de l'artiste. Ce portrait en pied haut d’1m75, est néanmoins bien plus grand que ne l’était la chanteuse qui mesurait seulement 1m47. Bras levés vers le ciel, corps fluet, douloureux d'émotion et disparaissant dans une robe trapèze, tête renversée en arrière, visage tendu, bouche ouverte, la statue semble chanter à plein poumon, regard perdu dans l’imaginaire de sa complainte. Elle a été officiellement présentée au public le 11 octobre 2003 au cours des cérémonies d’inauguration après réaménagement de la place portant son nom, à l’occasion du quarantième anniversaire de la disparition de l’artiste. Edith Piaf, chanteuse populaire poussée dans la rue a incarné par ses chansons l’aspiration au bonheur d’une humanité souffrante. Le bronze posé au niveau des passants revendique son accessibilité telle l’artiste proche de son public. 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.