Paris : Les 10 immeubles les plus insolites de Paris, 10 incongruités architecturales remarquables


 

Au XIXème siècle, les grands travaux d’Haussmann ont uniformisé l’esthétique de la ville. Le centre de Paris, cœur de l’apparat officiel et du pouvoir, est strictement homogénéisé selon les principes d’austérité du règlement d’urbanisme. En 1882 et 1884, deux premiers décrets, bientôt suivis d’un troisième décisif en 1902, l’assouplissent. Les architectes s’émancipent des contraintes normatives. La couleur se manifeste à nouveau sur les façades parisiennes. A partir de 1884, le renouveau de la construction à Paris, dont témoigne le lancement de revues telles que « La construction moderne » en 1885, « L’Architecture » en 1888, vient bousculer la trop sage pierre de taille. Cette libéralisation trouve l’opportunité de s’exprimer dans les nouveaux arrondissements créés lors de l’annexion des communs périphériques à Paris en 1860. Ces quartiers encore champêtres conservent alors de nombreux terrains à bâtir. Le ralentissement du mouvement d’uniformisation permet également de préserver le Vieux Paris et ses charmantes incongruités. Fruits de circonstances cocasses, triviales, amusantes, les 10 immeubles insolites sélectionnés par la rédaction inscrivent leur singularité dans un paysage urbain contrasté. Ces édifices montrent une facette inattendue de Paris. Originaux, décalés, improbables, remarquables, ils sortent du lot. Leur histoire ne manque pas de piquant. Florilège des 10 immeubles les plus insolites de Paris.





46bis rue du Louvre - Paris 2 / 55 rue Jean-Jacques Rousseau - Paris 1
Métro Les Halles ligne 4

L’Hôtel des Téléphones, dit Central téléphonique Gutenberg, amalgame les genres et les époques dans une composition des plus intrigantes. Deux tourelles d’angle d’inspiration médiévale, de vastes verrières empruntées au vocabulaire architectural industriel du XIXème siècle, la pimpante citadelle est revêtue de briques vernissées bleu ciel, tout à fait Art déco avant l’heure. Dans un quartier marqué par l’esthétique haussmannienne triomphante et la pierre blonde, le Central Téléphonique Gutenberg détonne. Le téléphone, dont l’invention en 1876 est attribuée à l’écossais Graham Bell (1847-1922), est introduit en France à partir de 1879 par le biais de réseaux privés. Le Ministère des Postes et des Télégraphes les nationalise en 1889. A Paris, l’engouement pour ce mode de communication inédit est à son comble. Afin de répondre à la demande grandissante de raccordement, il devient nécessaire de créer de nouveaux centraux téléphoniques d’envergure. L’architecte Jean Boussard (1844-1923) est chargé d’édifier le plus vaste de Paris. Mais sa forteresse médiévale bleu layette inaugurée en 1893 est détruite par un incendie en 1908. Charles Giroud (1871-1955) la reconstruit quasiment à l’identique. Il reprend le fer, le verre des verrières monumentales, la brique vernissée mais opte pour une structure en béton armé, matériau nouveau. Le Central Gutenberg garde sensiblement la même silhouette malgré un niveau supplémentaire. De trois étages, il passe à quatre. De nos jours, cet édifice iconique de l’histoire du réseau téléphonique parisien n’est protégé que par le plan d’urbanisme local. Premier bâtiment construit par l’Etat dans le cadre d’un programme de service public naissant, il ne bénéficie pourtant pas d’une inscription à l’inventaire des Monuments historiques.





97 rue de Cléry / 60 rue Beauregard - Paris 2
Métro Strasbourg Saint Denis lignes 4, 8, 9

La Pointe dite Trigano, bâtiment en proue à pan coupé, forme l’angle des rues de Cléry et de Beauregard. Curiosité architecturale, anomalie charmante, cet édifice marque par sa dimension pittoresque l’identité du quartier. La bâtisse originelle aurait, semble-t-il, été construite entre 1650 et 1675. Abondamment remaniée depuis sa création, le quatrième étage est d’ailleurs probablement une surélévation du XVIIIème siècle, seuls ses singuliers volumes demeurent parfaitement authentiques. Il s’agit de l’immeuble d’habitation le plus étroit de Paris, la plus petite maison de Paris, au 39 rue du Château d’eau, n’étant quant à elle pas habitable. La pointe formée par la construction apparaît sur les plans de Paris de 1760 et 1771 mais ne porte pas de nom. Elle est le fruit d’un urbanisme singulier dont les singularités témoignent de l’histoire parisienne.





14-16 rue Thouin - Paris 5
Métro Cardinal Lemoine ligne 10

Dans le quartier Latin, il n’est pas rare d’être interpellé par des silhouettes d’immeuble intrigantes qui génèrent bien des interrogations quant à ses occupants tant elles ne se conforment pas à l’idée d’habitation. Tranche fine et profil biseauté, sous un certain angle, le bâtiment du 14 rue Thouin donne l’illusion d’une perspective sans profondeur, profil à l’effet saisissant depuis la rue de l’Estrapade, d’une grande banalité de face. La maison est construite en 1688 dans l’angle formé par le tracé de l’enceinte médiévale de Philippe Auguste et celui de la rue. Prenant appui sur les vestiges du rempart, les contraintes architecturales de l’emplacement donnent à cette bâtisse sa forme en sifflet et son étroitesse. Par la suite, la portion de l’enceinte contre laquelle elle a été érigée, est démolie laissant un vide devenu cour et une paroi abrupte. L’angle de l’immeuble marque le point d’inflexion sud-est de l’ancienne muraille dont les vestiges sont toujours visibles côté cour. 





13 quai Voltaire - Paris 7
Métro palais Royal Musée du Louvre lignes 1, 7

Au 3 quai Voltaire un ancien hôtel particulier tour à tour hôtel Brigallier, hôtel Moisnet, puis finalement hôtel Pioust de Saint-Gilles revendique le titre d'immeuble le plus étroit de Paris. Cet édifice se caractérise sa largeur atypique dans l’alignement majestueux du quai Voltaire où les bâtisses professent des proportions élégamment imposantes, symboles d’un certain statut social. Dans le quartier Saint Thomas d’Aquin, sa façade assume une singularité piquante. Cette étonnante étroitesse est le fruit d’un phénomène architectural à la cocasse récurrence. Il semblerait qu’à l’instar de la plus petite maison de Paris au numéro 39 de la rue du Château d’Eau ici, l’hôtel Pioust de Saint-Gilles ait été imaginé sur une parcelle restée vacante entre des constructions antérieures. La curieuse bâtisse semble avoir poussée, mauvaise herbe, entre deux plantes grasses richement entretenues. Sur le quai Voltaire, l’envergure des immeubles souligne son étroite façade d’à peine 2,50 mètres et toute entière prise par la largeur d’une monumentale porte bleue. Cette dernière curieusement massive semble disproportionnée d’autant que celles voisines ouvrant sur des édifices plus conséquents paraîtraient presque modestes à ses côtés. Imposante et mystérieuse, cocasse et excessive, la porte bleue du 13 quai Voltaire confère un caractère supplémentaire à la façade d’hôtel particulier la plus étroite de Paris.





48 rue de Courcelles - Paris 8
Métro Courcelles ligne 2

La Maison Loo dresse sa silhouette singulière d’inspiration chinoise en plein cœur d’un quartier à l’esthétique très haussmannienne. Haute demeure de quatre étages, elle est l’héritage architectural légué à la Plaine Monceau par Ching Tsai Loo (1880-1957), marchand et collectionneur d’art asiatique. Lorsque l’homme d’affaires achète la bâtisse originelle en 1922, il s’agit d’un très classique hôtel particulier Napoléon III, établi sur seulement deux niveaux. Monsieur Loo a le sens de la communication et confie la transformation de cet édifice à l’architecte Fernand Bloch (1864-1945). Il souhaite offrir un écrin à ses collections personnelles, faire rayonner son commerce, des galeries spécialisées dans l’art extrême-oriental. La Maison Loo, adaptation libre de l’architecture chinoise, se caractérise par un enduit rouge ocre qui tranche avec panache sur la pierre de taille blonde du quartier.





34 avenue de Wagram - Paris 8
Métro Ternes ligne 2

Le Ceramic Hotel illustre les principes esthétiques flamboyants d’une architecture Art Nouveau parisienne. Oeuvre de l’architecte Jules Lavirotte (1864-1929), dont la quête de reconnaissance le pousse à multiplier les coups d’éclat, ce singulier bâtiment est inauguré en 1904. Son exubérance dans un goût très Modern Style laisse déjà à l’époque les badauds perplexes. La façade de céramique entièrement revêtue de grès flammé polychrome et de briques vernissées, dissimule une structure de béton armé établie selon le système Cottancin. Lauréate du concours de façades de la Ville de Paris en 1905, son décor foisonnant a été réalisé en collaboration avec le céramiste Alexandre Bigot (1862-1927) et le sculpteur Camille Alaphilippe (1874-après 1940) sculpteur et céramiste qui deviendra en 1914 le directeur de la manufacture de grès flammés de Bigot à Mer dans le Loir-et-Cher. Toitures et façades sont inscrites à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 17 juillet 1964. Le Ceramic Hotel, appellation tardive, désormais Elysées Ceramic Hotel, a été distingué par le label Patrimoine du XXème siècle. Les intérieurs de cette halte trois étoiles, entièrement repensés, n’ont plus rien d’originel mais l’édifice conserve sa curieuse allure organique. 




17-19 rue Pierre Demours et 28 rue Bayen - Paris 17
Métro Ternes ligne 2

Le village des Ternes fait partie de ces quartiers parisiens qui ont su conserver un certain charme malgré une pleine intégration à la ville. Si le style y est plutôt haussmannien, le promeneur attentif peut y découvrir à loisir de nombreuses curiosités rappelant avec bonheur l’histoire de Paris. C’est le cas aux 17 et 19 rue Pierre Demours, d’une singulière bâtisse au ventre percé d’un passage vouté où vaquent les piétons. Deux belles façades XVIIIème aux hautes fenêtres cintrées qui furent l’avant-corps central d’un ensemble plus vaste et un étonnant portail esseulé sont les seuls vestiges du château des Ternes autour duquel s’est développé le hameau éponyme. Inscrite au titre des monuments historiques le 13 juin 1949, cette bizarrerie architecturale ne manque pas de charme. A la Révolution, le hameau des Ternes est intégré à Neuilly puis en 1860 rattaché à Paris. Si le château des Ternes revit quelques temps les fastes d’antan sous l’impulsion de la famille Saint-Senoch, la poussée urbaine du XIXème siècle aura raison des derniers reliquats du domaine. Terrains et bâtiments sont finalement démantelés pour n’en laisser que les vestiges visibles rues Pierre Demours et Bayen.





23 rue Albert Roussel - Paris 17
Accès angle de la rue Albert Roussel et de la rue Stéphane Grappelli
Métro Porte de Clichy lignes 13, 14

Symbole fort des aspirations architecturales contemporaines, la Tower Flower, immeuble végétalisé haut de dix étages, a été inauguré en 2004 au cœur des Hauts de Malesherbes, ZAC d’Asnières. Le réaménagement de cet îlot urbain a été coordonné par Christian de Portzamparc. L’étonnant édifice est pourvu de terrasses arborées intégrées à la structure. Commandé par l’Office Public d’Aménagement et de Construction de Paris, conçu par Edouard François, le bâtiment accueille trente logements sociaux de l’Office HLM. L’architecte retranscrit le profond désir de nature en ville des urbains. Il s’inspire de l’exemple des balcons et jardinières parisiens luxuriants, des balcons comme des paravents naturels, bulles vertes à l’écart de la cité. Imaginé comme une prolongation végétale, une extension verticale du jardin Claire Motte qui s’étend aux pieds des immeubles ultra-modernes, la Tower Flower brouille volontairement les pistes entre nature et béton.





103 rue Marcadet 61/63 rue du Mont-Cenis - Paris 18
Métro Jules Joffrin ligne 12

Une singulière tourelle dresse sa silhouette pittoresque à l’angle de la rue Marcadet et de la rue du Mont-Cenis, sur le versant nord de la Butte Montmartre. Coiffée en poivrière et accolée à d’anciens corps de bâtiment, son aspect piquant dans la configuration naturelle du tissu urbain pose de nombreuses questions. Le long de la rue Marcadet, une grande arcade à refends surmontée d’une corniche classique indique un reliquat de l’ancien portail de la Manufacture de porcelaine de Clignancourt qui connut entre 1771 et 1799 un certain succès. L’ensemble paraît peu entretenu même si la tourelle à l’angle du mur d’enceinte est inscrite aux Monuments historiques par arrêté du 31 mai 1965. Aujourd’hui occupé par un club libertin, le Château des Lys, il s’agit de l’une des plus anciennes maisons de Montmartre dont le destin a croisé celui d’une manufacture de porcelaine passée sous le haut patronage du frère du roi, le comte de Provence en 1775. Cette curieuse tourelle devenue un hôtel-restaurant a été immortalisée à de nombreuses reprises par le peintre Maurice Utrillo entre 1911 et 1954. 




78-80 rue Rébeval - Paris 19
Métro Pyrénées ligne 11

Aux numéros 78 et 80 de la rue Rébeval, se dresse la silhouette colorée d'une ancienne usine Meccano, entreprise britannique spécialiste des jeux de construction. Intrigante façade de brique et pierre de taille tout en courbes et contre-courbes, les raccords aux bâtiments mitoyens ont été érigés en forme de tourelles crénelées. L'immeuble industriel s’élève sur cinq niveaux en cour d’ilot. Il abrite de nos jours l’Ecole des ingénieurs de la Ville de Paris. Construit entre 1921 et 1922, il est l’œuvre de l’architecte d’origine belge Arthur Vye-Papmintep à qui l’on doit également lotissement de la villa Pasteur à Neuilly-sur-Seine. Insolite dans le paysage parisien, il est inspiré par le romantisme pittoresque post-Art Nouveau dont se retrouvent de nombreux exemple à Bruxelles. Jouant sur le double dénivelé du terrain, la partie centrale en cour anglaise se déploie en ailes obliques. Le curieux effet d’optique est renforcé par la verticalité et la variété des baies. Une longue nef entre rue et cour traverse tout l’édifice depuis la grande porte.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.