Paris : Le Moulin de la Galette, histoire de la plus célèbre guinguette de Montmartre, légende des Moulins Radet et Blute-fin - XVIIIème



Le Moulin de la Galette, célèbre bal public de Montmartre, a permis grâce à sa réputation de préserver les deux derniers moulins de la Butte. La guinguette originelle a été constituée sur un terrain entre ces deux rescapés de la grande urbanisation, le Blute-fin et le Radet. Rue Lepic, ils ravissent les touristes venus des quatre coins du globe. Dans l’axe de la rue Tholozé, le Blute-fin s’aperçoit de loin, perché sur une colline, propriété privée qui n’est pas accessible au public, tertre élevé sur lequel les Romains avaient bâti un temple dédié au dieu Mars. Le Radet, charpente vide des plus pittoresques, est désormais planté sur le toit d’un restaurant, sorte d’enseigne monumentale dont l’image a fait le tour du monde. Rendu célèbre grâce aux peintres de la Butte, Renoir, Toulouse-Lautrec, Steinlein, Van Gogh, le Moulin de la Galette convoque par ses imaginaires l’histoire du village de Montmartre, de sa bohème et ses nuits déchaînées. Guinguette en 1830, cabaret dès 1870, et music-hall à partir de 1924, studio en public d’émissions de radio et de télévision, studio de l’ORTF qui disparaît en 1974, le Moulin de la Galette appartient désormais à la légende de Montmartre.










La grande histoire des moulins de Montmartre remonte au XIVème siècle. Durant le Siège de Paris, au cours de la Guerre de Cent ans, le dauphin Charles futur Charles V tente de reprendre la ville à Étienne Marcel prévôt des marchands allié à Charles le Mauvais, roi de Navarre. En juillet 1358, les troupes d’Etienne Marcel sont en déroute harcelées par les mercenaires qui ravagent Paris. Le prévôt rejoint le village de Montmartre où les moulins lui servent de poste d’observation. 

Mais le premier moulin officiellement mentionné dans les livres est en 1529, celui bientôt appelé « Moulin Vieux » propriété de Marin Guignard. En 1585, Jacques Liger, seigneur de Clignancourt achète un moulin installé au lieu-dit le Palais à Nicolas Guillot. Il en confie l’exploitation à la famille Debray, premiers meuniers de Montmartre qui finissent par se rendre acquéreur du moulin. En 1570, le poète italien Le Tasse est frappé, lors de sa visite à Paris, par le spectacle des moulins de Montmartre et la beauté des vitraux de Notre-Dame. Au XVIIème, Jean-François Regnard, comptabilisant un nombre très important de moulins, écrit ses vers : « Où de trente moulins les ailes étendues / M’apprennent chaque jour, quel vent chasse les nues ».











Au XVIIIème siècle, les moulins montmartrois sont dédiés à différents usages. Ils servent à moudre le blé, de pressoir lors des vendanges, à concasser les matériaux nécessaires aux manufactures et aux travaux de construction. Il y a le moulin des Prés, le moulin de la Fontaine-Saint-Denis, le moulin Vieux, le moulin Neuf, le moulin de la Béquille du nom de la pièce de bois qui sert à orienter les ailes, le moulin du Vin (près du Château des Brouillards), la Vieille-Tour, la Grande-Tour, la Petite-Tour, tous les trois rue Norvins, le moulin Paradis, la Turlure, la Lancette, la Poivrière, construit pour moudre des couleurs destinées aux peintres de la Butte et les ingrédients de produits de beauté commandé par une échoppe à proximité), le Blute-Fin et le Radet.

Montmartre si pittoresque, si champêtre avec ses vignobles abondants, ses vergers, ses sources et ses moulins, devient un lieu de promenade dominicale. Les Parisiens se rendent à dos d’âne en haut de la Butte. Ils empruntent le Vieux Chemin dont le tracé sera repris approximativement pour ouvrir la rue Ravignan. Peu à peu, afin d’accueillir les visiteurs, se développent des guinguettes où se restaurer, boire le petit vin blanc aigre montmartrois et danser.


1840

1875

1885

1898

1899 Eugène Atget

1899 Eugène Atget


Le Moulin de la Galette ne désigne pas un moulin à proprement parlé mais le bal public ouvert par la famille Debray, meuniers historiques de la Butte entre deux moulins de la Butte, le Blute-fin et le Radet. La carcasse vide du Moulin Radet surmonte, de nos jours un restaurant à l’angle des rues Lepic et Girardon, judicieusement nommé Le Moulin de la Galette sans pourtant être l’original. Selon la famille Debray, le Radet daterait de 1268. Construit sur la Butte Saint Roch, en face de la porte Saint Honoré à l’ouest de Paris, il est déplacé lors de l’arasement de cette colline en 1636 à l’occasion de grands travaux d’urbanisation menés sous le règne de Louis XIII. Le meunier François Chapon lui confère son premier nom, le moulin Chapon. Il est tout d’abord installé à l’angle de la rue de l’Abreuvoir et du chemin des Regards. Mais le moulin change souvent d’emplacement, notamment au gré des mesures d’alignement de la rue. En 1717, il est déménagé un peu plus loin sur un vaste terrain entre les rues Norvins, Girardon et de l’Abreuvoir. Acheté par Jacques Ménessier, il est entièrement reconstruit vers 1760 et devient le Radet.

Toujours selon les Debray, à la fin du XVIIIème siècle, le Radet sert à moudre de l’albâtre destiné à la fabrique de porcelaine fondée en 1771 par Pierre Duruelle à Clignancourt. Cette porcelainerie dont je vous parlais ici deviendra dès 1775 la Manufacture de Monsieur, sous la protection du Comte de Provence, frère puîné de Louis XVI et futur Louis XVIII. En 1812, le Radet dans un triste état de conservation est racheté par Nicolas Charles Debray pour la somme fort modeste de 1 200 livres. En 1830, le moulin moud les ingrédients nécessaires à la parfumerie située au carrefour des rues Norvins et Girardon.


Circa 1900

Circa 1900

Circa 1900

Circa 1900

Circa 1900

Circa 1900


Le Blute-fin connaît une destinée un peu différente. Il est érigé en 1621, pour Nicolas Guignard, fils de Marin Guignard, le meunier du moulin Vieux, peut-être à la place d’un moulin du XIIIème siècle écroulé sous le poids de sa vétusté.  Acheté en 1709 par Nicolas Ménessier, il demeure dans cette famille jusqu’en 1809 date à laquelle le moulin est vendu à Nicolas Charles Debray. Le meunier y produit alors une farine très fine dont la réputation s’étend à travers toute la capitale.

Autour sont construits plusieurs bâtiments afin de créer un commerce de vin. L’ensemble se fait connaître sous le nom de Ferme Debray. Le Blute-fin répondra à diverses appellations : de 1622 à 1640, moulin du Palais, de 1640 à 1795 moulin Bout à fin, de 1795 à 1835 Blute-fin, du verbe bluter, tamiser la farine pour la séparer du son. Souvent restauré, il a conservé un mécanisme intérieur intact ainsi que divers éléments comme l’escalier, meules, lit du meunier.



1900
1900
























La famille Debray entre dans la légende montmartroise lors la Bataille de Paris en 1814 qui oppose l’armée impériale et les forces européennes alliées. Les troupes russes menées par le général de Langeron attaquent la face nord de la Butte. Le 30 mars 1814 les quatre frères Debray ainsi que le fils de l’aîné résistent à l’envahisseurs. Trois frères sont tués lors de l’assaut. Le quatrième tire au canon sur les soldats qui le menace. Tandis que son fils reçoit un coup de lance, blessure à laquelle il survivra, il est tué à son tour. Les Russes, rendus furieux par cette résistance, prennent la macabre décision de le démembrer, découpent son corps en quatre morceaux qu’ils attachent aux ailes du moulin en guise d’avertissement à la population. 

Dans les années 1810 à Montmartre, seize bals publics sont officiellement autorisés à annoncer leur ouverture mais de nombreux établissements sauvages, guinguettes variées s’improvisent. Le plus célèbre bal qui se trouve sur l’actuelle place Emile-Goudeau s’appelle alors le Poirier-sans-pareil. Mais le sol de la place miné par les carrières de gypse provoque un accident. Un effondrement engendre la fermeture du bal en 1830. 

Le fils survivant de la famille Debray, devient « le petit père Debray ». Du fait de son ancienne blessure, il ne boit pas d’alcool. Amateur de danse, il donne des cours aux jeunes du quartier avant d’organiser à partir de 1833, un bal. En 1834, il transfère le Radet à l’intérieur du clos de la Ferme Debray à proximité du Blute-fin, à la croisée du 3 rue Girardon et de l’allée des Deux-frères. 


1910 Albert Harlingue

1910 Albert Harlingue

1938


Durant la semaine, le Radet et le Blute-fin poursuivent leurs activités de moulin tandis que le dimanche une guinguette s’anime à l’ombre de leurs ailes. Avec la création de la rue Lepic, l’accès à la Butte est facilité, assurant le succès de nouvel établissement. Ils ne cessent totalement de moudre dans les années 1870, époque à laquelle le bal public ouvert quatre jours par semaine. Renoir dont l’atelier se trouve rue Cortot y peint en 1876 son célèbre tableau, Le Moulin de la Galette. Le sujet inspire Toulouse-Lautrec, Steinlein, Picasso, Van Gogh….

Baptisé tout d’abord le Bal Debray, mais rapidement surnommé le Moulin de la Galette, il ne prend son nom d’usage qu’en 1895. La Galette en question est un petit pain de seigle servit avec le vin de la Butte. De guinguette en plein air, le Moulin de la Galette devient salle de bal fermé. La Goulue et Valentin le Désossé y font leurs débuts. Le compositeur Auguste Bosc est engagé pour mener l’orchestre. 

Au début des années 1920, alors que Pierre Auguste Debray mène d’importants travaux dans sa propriété afin d’être à même de mieux accueillir ces activités festives, il songe à raser le Radet pas nécessaire à son commerce, qui fait doublon avec le Blute-fin. Sous la houlette de l’association, la Société du Vieux Montmartre, les riverains s’organisent pour sauver le Radet. Il est tout d’abord envisagé de le déplacer place Jean-Baptiste Clément à proximité mais le coût de 300 000 francs est dissuasif. Une autre proposition, moins onéreuse, est validé par la famille Debray qui l’installe sur une parcelle de la rue Girardon. En 1924, démonté puis remonté mais évidé de son mécanisme, le moulin est placé au sommet d’une construction à l’angle des rues Lepic et Girardon. 


1960
1960
























Désormais, le Blute-fin est le dernier moulin de la Butte en état de fonctionnement. Situé sur une propriété privée où se trouvent les derniers vestiges de l’ancien Maquis de Montmartre, il ne se visite pas. Le moulin et les terrains sont classés au titre des Monuments historiques par arrêté du 5 juillet 1958. Rénové drastiquement en 1978, une nouvelle restauration des ailes est menée en 2001, par Lucien Poupeau charpentier avec les conseils techniques de Marcel Charron charpentier amoulageur à la retraite.

Moulin de la Galette - Paris 18
Blute-fin 75/77 rue Lepic
Radet angle 83 rue Lepic / 1 rue Girardon 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions Rivages 
Le guide du promeneur 18è arrondissement - Danielle Chadych et Dominique Leborgne - Parigramme

Sites référents