Paris : 5 anciennes usines parisiennes, mémoire du Paris industriel

 

L’occultation de l’histoire industrielle parisienne a conduit vers l’effacement d’un riche patrimoine aujourd’hui redécouvert. Au XIXème siècle, Paris est la Capitale de l’Industrie avec tous nuisances induites, bruits, pollutions variées, poussière de charbon. Tandis que la poussée de la désindustrialisation faisait disparaître les traces de cette activité, la préservation des beaux quartiers haussmanniens a pérennisé une vision idéalisée. De 1830 à 1850, ce ne sont pas seulement les manufactures artisanales qui prennent leur essor mais également l’industrie lourde. Paris concentre alors 1/10ème des machines à vapeur présentes sur le territoire français. L’industrialisation développée à partir du centre s’étend vers l’Est puis le Nord. Les bâtiments adaptés prolifèrent. La plus grande usine d’électricité de Paris est implantée aux Halles. Les anciens hôtels particuliers du Marais accueille une petite industrie prolifique constituée d’ateliers et de modestes fabriques. A Belleville, du fait de la proximité des abattoirs de la Villette, se développe une petite industrie liée aux produits dérivés, traitement de la corne, du cuir, manufactures de chaussures, ceintures, boutons, peignes. La désindustrialisation efface progressivement la trace de cette activité pourtant intense. La plupart des anciens bâtiments industriels intramuros disparaissent sous la pression foncière et la spéculation immobilière. La non-reconnaissance de leur valeur patrimoniale éclaire une forme de préjugé sur le monde ouvrier. Au cours des années 1950, gares, usines sont rasées, les cheminées abattues.

Pouvoirs publics et historiens ne redécouvrent ce patrimoine industriel qu’à partir des années 1990. Désormais, ils oeuvrent pour sa préservation pour l’inscription de bâtiments iconiques aux Monuments historiques, des classements partiels. Les lieux désaffectés réhabilités, reconvertis deviennent des universités, des bureaux, des hôtels. Ce type de bien immobilier, souvent situé en fond de cour est désormais recherché. Il fait l’objet de réaffectation inventive. Les espace investis par les professions créatives, architectes, designers, graphistes. Dans le Marais, se trouve l’une des rares cheminées encore debout, rue des Francs-Bourgeois, visible depuis le passage Lhomme. Elle appartient à l’ancienne fonderie de la Société des Cendres et se dresse aujourd’hui en plein cœur de la boutique Uniqlo.  Le Centquatre, sur le site de l'ancien Service municipal des pompes funèbres, témoigne de la reconversion heureuse en espaces culturels. Et parfois même la permanence de l’activité célèbre un savoir-faire tel que l’usine de la Monnaie de Paris. La rédaction a sélectionné 5 anciennes usines ou manufactures, insolites vestiges de l’ère industrielle.



49 rue de Bagnolet - Paris 20
Métro Alexandre Dumas ligne 2

Au numéro 49 de la rue de Bagnolet, un porche de pierre dont le fronton frappé de lettres rouges annonce « Maison Pellissier Jonas & Rivet, fondée en 1847 - Paris - New York », rappelle l’existence d’une ancienne fabrique disparue, vestige émouvant du Paris industrieux. A la fin du XIXème siècle, deux entreprises de l’Est parisien se spécialisent en « coupe de poils de lapin » : Chapal à Montreuil et Pellissier Jeunes & Rivet rue de Bagnolet. Dans les ateliers, le poil animal est traité grâce à des procédés chimique afin d’être amalgamé sous la forme de feutre destiné à la chapellerie. La demande de matière première employée dans la confection des chapeaux est alors très importante. En 1871, Pellissier père originaire du Puy-de-Dôme, implante un atelier en 1871 rue de Bagnolet. C’est le début d’un succès qui dure jusqu’aux années 1930. L’évolution du marché ne lui est pas favorable. La situation économique difficile plombe le commerce. Le développement des matières synthétiques et la désaffection pour la mode du chapeau achèvent les affaires. La dernière usine américaine située à Walden dans l’Etat de New York est mise en vente en 1953. La branche parisienne ferme ses portes en 1958.



78-80 rue Rébeval - Paris 19
Métro Pyrénées ligne 11

Aux numéros 78 et 80 de la rue Rébeval, se dresse la silhouette colorée d'une ancienne usine Meccano, entreprise britannique spécialiste des jeux de construction. Intrigante façade de brique et pierre de taille tout en courbes et contre-courbes, les raccords aux bâtiments mitoyens ont été érigés en forme de tourelles crénelées. L'immeuble industriel s’élève sur cinq niveaux en cour d’ilot. Il abrite de nos jours l’Ecole des ingénieurs de la Ville de Paris. Construit entre 1921 et 1922, il est l’œuvre de l’architecte d’origine belge Arthur Vye-Papmintep à qui l’on doit également lotissement de la villa Pasteur à Neuilly-sur-Seine. Insolite dans le paysage parisien, il est inspiré par le romantisme pittoresque post-Art Nouveau dont se retrouvent de nombreux exemple à Bruxelles. Jouant sur le double dénivelé du terrain, la partie centrale en cour anglaise se déploie en ailes obliques. Le curieux effet d’optique est renforcé par la verticalité et la variété des baies. Une longue nef entre rue et cour traverse tout l’édifice depuis la grande porte.




35 rue Clavel - Paris 19
Métro Pyrénées ligne 11

A Belleville, au 35 de la rue Clavel perdure la trace d’une activité artisanale typique du XIXème et du début du XXème siècle. Le bâtiment originel date de 1879. Il s’agit alors de l’atelier d’un couvreur-plombier répondant au nom de Hinal. Par la suite, il est occupé une année par l’entreprise Heumann et Billaudel produisant des accumulateurs électriques. Dans les années 1920, Auguste Mermet, fabricant de peignes fait rénover l’atelier du 35 rue Clavel et y appose sa marque avec une enseigne en mosaïques. L'entreprise prospère. A la même époque il existe une succursale à Oyennax, un bourg de l’Ain célèbre pour ses peignes en bois depuis le Moyen-âge. En 1928, Auguste Mermet entreprend des travaux de reconstruction et de modernisation de sa fabrique-magasin parisienne. L’architecte M. Ricaud, maître d’ouvrage du projet, donne sa forme finale au bâtiment tel qu’il se trouve aujourd’hui misant sur un matériau révolutionnaire le béton armé fourni par la société Henebique. La bâtisse en U lovée autour d’une minuscule cour privative s’élève sur deux étages. Au rez-de-chaussée est située une petite boutique, un atelier avec de grandes baies vitrées au premier étage et une partie habitation au dernier étage. Atelier, boutique et logement, le 35 rue Clavel a alors fière allure. Cependant, la crise puis la guerre mettent à mal ce commerce florissant qui ferme ses portes avant la Seconde Guerre Mondiale. Curieusement rescapé des opérations immobilières, le petit édifice, malgré le manque manifeste d’entretien, garde un certain charme. 




103 rue Marcadet 61/63 rue du Mont-Cenis - Paris 18
Métro Jules Joffrin ligne 12

Une singulière tourelle dresse sa silhouette pittoresque à l’angle de la rue Marcadet et de la rue du Mont-Cenis, sur le versant nord de la Butte Montmartre. Coiffée en poivrière et accolée à d’anciens corps de bâtiment, son aspect piquant dans la configuration naturelle du tissu urbain pose de nombreuses questions. Le long de la rue Marcadet, une grande arcade à refends surmontée d’une corniche classique indique un reliquat de l’ancien portail de la Manufacture de porcelaine de Clignancourt qui connut entre 1771 et 1799 un certain succès. L’ensemble paraît peu entretenu même si la tourelle à l’angle du mur d’enceinte est inscrite aux Monuments historiques par arrêté du 31 mai 1965. Aujourd’hui occupé par un club libertin, le Château des Lys, il s’agit de l’une des plus anciennes maisons de Montmartre dont le destin a croisé celui d’une manufacture de porcelaine passée sous le haut patronage du frère du roi, le comte de Provence en 1775. Cette curieuse tourelle devenue un hôtel-restaurant a été immortalisée à de nombreuses reprises par le peintre Maurice Utrillo entre 1911 et 1954.





22/24 rue Faidherbe - Paris 11
Métro Faidherbe Chaligny ligne 8

Aux numéros 22 et 24 rue Faidherbe, l’ancienne succursale de la Maison Boutet évoque le passé du quartier. Cette entreprise de l’industrie du bois, aujourd’hui disparue, était établie à Vichy dans l’Allier. L’annexe parisienne accueillait magasins, espaces manufacturiers et ateliers de finitions dont les spécialités étaient annoncées par les frises en mosaïque au fronton de l’immeuble, sciage, ponçage, placage. Exportateur de bois exotiques, producteur de contreplaqué, la Maison Boutet fournissait abondamment les artisans du Faubourg Saint Antoine, menuisiers et ébénistes. Le bâtiment a vécu plusieurs vies depuis cette époque, changeant de vocation au fil des ans. Tour à tour chocolaterie, bureaux de la RATP, il est désormais dévolu à l’hôtellerie de luxe. L’immeuble est inscrit sur la liste des protections patrimoniales du XIème arrondissement.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.