Paris : Immeuble le plus étroit de Paris ? L'hôtel Pioust de Saint Gilles au 13 quai Voltaire, une curiosité architecturale - VIIème


Immeuble le plus étroit de Paris, voici un titre que revendique au 3 quai Voltaire un ancien hôtel particulier tour à tour hôtel Brigallier, hôtel Moisnet, puis finalement hôtel Pioust de Saint-Gilles. Cet édifice assume sa largeur atypique dans l’alignement majestueux du quai Voltaire où les bâtisses professent des proportions élégamment imposantes, symboles d’un certain statut social. Dans le quartier Saint Thomas d’Aquin, sa façade assume une singularité piquante. Cette étonnante étroitesse est le fruit d’un phénomène architectural à la cocasse récurrence. Il semblerait qu’à l’instar de la plus petite maison de Paris au numéro 39 de la rue du Château d’Eau ici, l’hôtel Pioust de Saint-Gilles ait été imaginé sur une parcelle restée vacante entre des constructions antérieures. La curieuse bâtisse semble avoir poussée, mauvaise herbe, entre deux plantes grasses richement entretenues. Sur le quai Voltaire, l’envergure des immeubles souligne son étroite façade d’à peine 2,50 mètres et toute entière prise par la largeur d’une monumentale porte bleue. Cette dernière curieusement massive semble disproportionnée d’autant que celles voisines ouvrant sur des édifices plus conséquents paraîtraient presque modestes à ses côtés. Imposante et mystérieuse, cocasse et excessive, la porte bleue du 13 quai Voltaire confère un caractère supplémentaire à la façade d’hôtel particulier la plus étroite de Paris.





Le quai Voltaire, avant de devenir indépendant, fut tout d’abord une portion occidentale du quai Malaquais puis quai Théatin A la suite de l’établissement d’une communauté religieuse en 1644, favorisé par les largesses du cardinal Mazarin, ce tronçon devient quai des Théatins. Sur les parcelles s’étendant de nos actuels 23 / 25 du quai Voltaire jusqu’au numéro 17, Camillo-Guarino Guarini, architecte renommé et religieux de l’ordre théatin mène un vaste chantier. Eglise et bâtiments de la congrégation voient rapidement le jour. La congrégation démantelée durant la Révolution en 1790, la nouvelle dénomination en hommage à l’homme de lettres décédé en 1788, sera effective en 1791. Les anciens bâtiments des Théatins seront rasés en 1822 pour faire place à de luxueux ensembles. 

L’histoire de notre curiosité architecturale s’immisce au gré des évolutions du quai. En 1660, trois associés, Jean Perrault, président de la Chambres des Comptes, Pierre Brigallier, conseiller de la Cour des Aides, premier avocat du roi au Châtelet, et Nicolas Boulleau, conseiller secrétaire du roi, se portent acquéreur auprès de Cyprien et Jean-Baptiste de Varic d’un terrain nu sur les bords de Seine qui jouxte la propriété des religieux théatins. Deux hôtels particuliers opulents voient le jour, celui de Jean Perrault au niveau de l’actuel numéro 9 quai Voltaire et celui de Nicolas Boulleau au numéro 11. 

L’étroite façade de l’hôtel particulier de Pierre Brigallier, plus tardif, au numéro 13, vient combler le passage entre l’église des Théatins et la propriété de son associé. Derrière la porte monumentale de l’édifice exigu, partagée, se trouve l’une des entrées du lieu de culte. De nos jours, l’immeuble appartient à la Caisse des Dépôts et Consignations auquel s'ajoute le numéro 56 de la rue de Lille, autre bien de la Caisse des Dépôts, formant un ensemble considérable. Dans la cour inaccessible au public se trouvent les vestiges de la façade occidentale de l’église. 


1866 Gravure

Circa 1890 Charles Joseph Lansiaux

Circa 1900 Eugène Atget

Circa 1900 Eugène Atget


En 1706, le nouveau propriétaire, Jean Moisnet secrétaire du roi mène des travaux d’aménagement et d’embellissement de la façade. Aussi étroite soit-elle, il décide de richement l’orner. Deux balcons en fer forgé ouvragés s’ajoutent au décor, l’un en courbes le second plus rectiligne. La porte monumentale est désormais surmontée d’un mascaron. La console en forme de lions soutient le balcon du premier étage où la fenêtre entourée de palmiers est également couronnée d’un mascaron.  

Dès 1789, l’hôtel particulier devient le siège de la gazette nationale, Le Moniteur Universel fondée par Charles Joseph Panckouke écrivain et libraire-éditeur français, éditeur de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, de l'Encyclopédie méthodique et de la revue Mercure de France, et Hugues-Bernard Maret, homme d'État et diplomate français, pair de France, membre de l'Académie française et de l'Académie des sciences morales et politiques. Le journal Le Moniteur Universel sera interdit sous la Commune en 1871. En 1789, le bâtiment est également la résidence officielle du romancier et homme politique révolutionnaire Jean-Baptiste Louvet, dit Louvert de Couvray, député à la Convention, membre du Conseil des Cinq Cents.





 
De 1850 à 1890, le typographe A. Pougin y exerce son art avec talent bientôt rejoint dans son entreprise par l’imprimeur P. Mouillot. L’imprimerie florissante compte jusqu’à deux cents ouvriers en 1881 sous la Troisième République. En 1935, L’Informateur colonial Organe de la France Impériale, périodique bimensuel, y tient ses bureaux avant de devenir en 1949 L’Informateur de la France d’Outre-Mer. 

Désormais élément du grand ensemble de la Caisse des Dépôts et Consignations, l’hôtel Pioust de Saint-Gilles s’est replongé dans le ronronnement d’une quiétude industrieuse. Et de temps à autre, sa fantaisie pique la curiosité du passant.

Immeuble le plus étroit de Paris
Hôtel Pioust de Saint-Gilles
3 quai Voltaire - Paris 7

Bibliographie
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions Rivages
Le guide du promeneur 7è arrondissement - Françoise Colin-Perrin - Parigramme
Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments - Louis et Félix Lazare

Sites référents



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.