Paris : Ceramic Hotel, un immeuble Art Nouveau, oeuvre de l'architecte Jules Lavirotte - 34 avenue de Wagram - VIIIème



Le Ceramic Hotel illustre les principes esthétiques flamboyants d’une architecture Art Nouveau parisienne. Oeuvre de l’architecte Jules Lavirotte (1864-1929), dont la quête de reconnaissance le pousse à multiplier les coups d’éclat, ce singulier bâtiment est inauguré en 1904. Son exubérance dans un goût très Modern Style laisse déjà à l’époque les badauds perplexes. Jules Lavirotte signe une prouesse technique à l’apparence remarquable. La façade de céramique entièrement revêtue de grès flammé polychrome et de briques vernissées, dissimule une structure de béton armé établie selon le système Cottancin. Lauréate du concours de façades de la Ville de Paris en 1905, son décor foisonnant a été réalisé en collaboration avec le céramiste Alexandre Bigot (1862-1927) et le sculpteur Camille Alaphilippe (1874-après 1940) sculpteur et céramiste qui deviendra en 1914 le directeur de la manufacture de grès flammés de Bigot à Mer dans le Loir-et-Cher. Toitures et façades sont inscrites à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 17 juillet 1964. Le Ceramic Hotel, appellation tardive, désormais Elysées Ceramic Hotel, a été distingué par le label Patrimoine du XXème siècle. Les intérieurs de cette halte trois étoiles, entièrement repensés, n’ont plus rien d’originel mais l’édifice conserve sa curieuse allure organique. 











Au début du XXème siècle, quittée par son époux, Amélie Russeil, professeure de chant réputée, ne perd pas le nord. Propriétaire d’une parcelle sur l’avenue de Wagram, elle envisage la construction d’un immeuble de rapport afin d’y établir une « maison meublée » susceptible de lui assurer un revenu stable. Amie de Jane de Montchenu-Lavirotte, artiste-peintre et épouse de l’architecte, Amélie Russeil fait appel à Jules Lavirotte. La commanditaire souhaite que l’édifice se distingue par son style, pour se démarquer des autres établissements et attirer les clients, tout en maintenant des coûts raisonnables. Jules Lavirotte et Alexandre Bigot créent une façade typiquement Art Nouveau qui attire encore l’œil de nos jours.

Sous l’enseigne Logilux, Amélie Russeil loue chambres et petits appartements meublés, aux touristes de passage, aux commis voyageurs. La rumeur murmure même que les vénus mercenaires y font abondamment commerce de leur corps. Le quartier a conservé une certaine tradition datant de l’Empire, des mœurs lestes. Au début du XIXème siècle, il se trouve à la frontière de la barrière d'octroi, l’enceinte des Fermiers Généraux et la barrière du Roule. Dès 1812, époque à laquelle est inauguré le bal de Dourlans, ancien grognard, vétéran de la Garde Impériale, qui deviendra la salle Wagram, de nombreuses guinguettes s’installent. Le week-end, les Parisiens s’encanaillent à l’ombre des fortifs. Lorsque l’agglomération des Ternes est rattachée à Paris en 1863, le haut de l’avenue de Wagram demeure très festif. Et les occasionnelles nombreuses. 

En 1904, Jules Lavirotte a pris le parti de l’étroitesse de la parcelle détenue par Amélie Russeil pour donner à son immeuble des proportions singulières. Edifié sur huit niveaux, il donne une impression de mouvement, d’élévation. L’architecte dynamise la façade en exploitant le vocabulaire plastique de l’Art Nouveau et ses pléthoriques ressources ornementales. Façade large de neuf mètres, édifice profond de trente-quatre mètres, le rez-de-chaussée rehaussé de quarante centimètres par rapport au trottoir déploie avec élégance les lignes fluides des consoles. 










La disposition en décalage des ouvertures, l’emploi de la courbe et les jeux de volumes affirment la grande modernité de l’architecture. Les deux premiers étages présentent seulement deux travées de fenêtres. Le massif balcon de pierre du troisième étage marque une séparation visuelle forte avec les étages supérieurs. Au-delà les bow windows, fenêtres en baie avancée, s’y trouvent soulignés par des balcons en fer forgé. Cette travée verticale est appariée en asymétrie avec une rangée en saillie de fenêtres simples. Le sixième étage et le septième étage se trouvent sous les toits de tuiles vernissées comme pour l’immeuble du 29 avenue Rapp.

La façade de grès flammé Alexandre Bigot fascine par l’opulence des motifs végétaux, glycine, pommier, magnolia, coings. Le programme ornemental en relief valorise les lignes courbes inspirées par la nature de l’architecture. Les lianes des pieds de glycine s’élancent depuis des amphores ornant le soubassement. Elles rampent sur la façade, encadrent les fenêtres et la porte, puis grimpent jusqu’aux fenêtres du premier étage. Plus haut le balcon de pierre au troisième étage est colonisé par des coléoptères.

Primée au concours de façades de la Ville de Paris, édition 1905, le jury note à son sujet : « Le principal intérêt de cette maison est dans l’emploi de la brique et de la faïence émaillée qui revêt la construction depuis son soubassement jusqu’à son sommet. L’architecte expose aux yeux des passants un ensemble dont la couleur est harmonieuse mais dont l’ossature moins agréable, semble faite pour défier la plus libre esthétique ... »

Ceramic Hotel
34 avenue de Wagram - Paris 8



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Le guide du promeneur 8è arrondissement - Philippe Sorel - Parigramme

Sites référents
Base Mérimée 
Structurae 
Les cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère - « Jules Lavirotte (1864-1929) ou l’Art nouveau symboliste », un article signé Bruno Montamat