Paris : Rue Eugène Flachat, éclectique, néo-gothique, néo-Louis XIII, prémices de l’Art Nouveau, les modes architecturales de la fin du XIXème siècle dans le quartier de la Plaine Monceau - XVIIème

 

La rue Eugène Flachat, baptisée en l’honneur de l’ingénieur en chef de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, Eugène Flachat (1802-1873), est ouverte par décret le 30 avril 1879. Elle illustre le processus d’urbanisation tardive de la Plaine Monceau à partir des années 1870. Ce quartier issu de l’ancienne commune Batignolles-Monceaux, rattachée à Paris en 1860, séduit la nouvelle bourgeoisie, les caciques du Second Empire et de la Troisième République, les récentes fortunes des grands industriels, les artistes à la mode, peintres, musiciens, comédiens. Raccordée en 1883 avec le boulevard Berthier, la rue Eugène Flachat vierge de construction attise leur intérêt. Désireux d’établir un statut social acquis de fraîche date, ils font édifier des hôtels particuliers prestigieux. Ils recrutent à grand frais les architectes les plus en vue qui rivalisent d’audace et s’emploient à refléter les mouvements esthétiques en vogue. La rue Eugène Flachat devient le terrain d’expression des modes de la fin du XIXème siècle, éclectique, néo-gothique, néo-Louis XIII, prémices de l’Art Nouveau, échantillons contrastés des tendances architecturales. Préservé de l’appétit des promoteurs, le côté pair de la rue nous est parvenu quasiment intact.







A Paris, la crise de l’immobilier de 1880 à 1884 conforte l’austérité des façades selon les stricts principes haussmanniens d’homogénéité. En 1882 et 1884, deux premiers décrets, bientôt suivis d’un troisième décisif en 1902, assouplissent le règlement d’urbanisme. A partir de 1884, le renouveau de la construction à Paris, dont témoigne le lancement de revues telles que « La construction moderne » en 1885, « L’Architecture » en 1888, vient bousculer la trop sage pierre de taille. Le décret du 22 juillet 1882 autorise des saillies sur rue plus importantes et la construction de bow-windows. Celui du 10 juillet 1884 entérine un nouveau mode de calcul du gabarit. 

Les architectes s’émancipent des normes haussmanniennes. Après 1882, la couleur se manifeste à nouveau sur les façades parisiennes. L’association pierre et brique moins coûteuse que la pierre de taille est alors jugée plus cossue que les compositions de pierre et de métal. Elle rappelle l’esthétique de deux places royales prestigieuses la place Dauphine et la place des Vosges. Ère de grande inventivité, la période de 1884 à 1902 marque une rupture avec l’uniformité, une quête d’originalité. Les structures apparentes, les revêtements colorés, l’emploi des courbes et de l’asymétrie ou bien d’une géométrie alternative marquent le paysage urbain d’un tout nouveau répertoire architectural. La palette des styles s’élargit. Les architectes expérimentent le potentiel formel des nouvelles techniques, des nouveaux matériaux, le fer, le béton, le gré flammé. 








L’association pierre et brique moins coûteuse que la pierre de taille est alors jugée plus cossue que les compositions de pierre et de métal. Elle évoque notamment l’esthétique de deux places royales, la place Dauphine et la place des Vosges. Intermédiaire entre le néo-gothique romantique, le pittoresque troubadour et le répertoire classique, le style néo-Louis XIII se diffuse tout d’abord auprès des élites du Second Empire et de la nouvelle bourgeoisie industrielle. 

Entre 1880 et 1895, de nombreux hôtels particuliers voient le jour le long des rives de la rue Eugène Flachat. Le côté pair de la rue remarquablement préservé présente un échantillon éclectique des tendances architecturales contrastées de la fin du XIXème siècle. A partir de 1898, le concours de façades de la Ville de Paris, évènement annuel jusqu’en 1913 puis plus sporadique avant de connaître une dernière édition en 1930, sollicite l’imagination des architectes. Cette célébration de l’originalité marque un retour de la singularité des immeubles parisiens.






Au 8 rue Eugène Flachat, se dresse un délicieux hôtel particulier de style troubadour, édifié en 1881 sous la direction, selon le plan local d’urbanisme, de Gaston Aubry, architecte du service des édifices diocésains à partir de 1888 et adhérent de la société des amis des monuments parisiens de 1885 à 1900. L’année suivante, en 1882, Georges-Louis Bayard serait intervenu pour des travaux complémentaires, auteur également du 24 rue Eugène Flachat. La porte d’entrée est surmontée de deux cartouches, dans l’un desquels une signature gravée indique « Tréhot archte ». Cette mention soulève des doutes sur l’identité du cabinet en charge de l’édification. La bâtisse en pierre blanche, établie sur quatre niveaux, débute par un soubassement percé de soupiraux, et s’achève sur une rangée supplémentaire de lucarnes sous combles. La façade est distribuée sur deux travées asymétriques. A gauche, des colonnettes à chapiteau corinthien subdivisent les trois larges baies rectangulaires superposées dont les linteaux s’appuient sur des chimères variées. A droite la portion plus étroite comprenant la porte d’entrée, s’élève jusqu’à un amusant toit en pointe dans lequel s’ouvre une curieuse meurtrière. Ordonnancement équilibré, le programme décoratif se caractérise par le foisonnement des motifs végétaux. Les lignes déliées et les reliefs des balcons évoquent des fleurs de lys. Cette nature idéalisée se complète d’un bestiaire fantastique, chimères, dragons, et petits personnages cocasses, Adam et Eve, putti joufflus, cohorte qui anime des chapiteaux ouvragés.






Au 14 rue Eugène Flachat, un hôtel particulier édifié en 1895 par Charles Girault (1851-1932), architecte du Petit et du Grand Palais, du tombeau de Pasteur, dresse une belle façade polychrome sur trois étages couronnés d’un auvent. Le revêtement, calepinage en céramique, briques émaillées et cabochons de grès, inscrit le programme décoratif dans une modernité géométrique qui préfigure l’Art déco. Les frises de faïence scandent les étages, alternance de briques vernissées vertes et de briques jaunes. Les motifs soulignent les fenêtres. Ces éléments agrémentent la façade de notes colorées.






Au 16 et 18 rue Flachat, deux hôtels particuliers aux façades polychromes de style néo-Louis XIII associent les briques rouges et roses à la pierre blonde. Edifiés en 1882 sur les plans de l’architecte Georges-Louis Bayard disciple d’Emile Vaudremer (1829-1914), ils ont été construits sur un modèle identique : un étage carré sur rez-de-chaussée, soubassement de pierre blonde, deux travées filantes remplies de briques en bandeaux et toits d’ardoise, entourages parés de pierre. Au premier étage, des trumeaux décorés de carreaux de céramiques de couleur selon des motifs floraux stylisées rythment les espaces entre les fenêtres. Sous les dernières corniches se trouvent des frises filantes scandées de poinçons. Le numéro 16 semble avoir perdu une partie des éléments décoratifs. Dans une volonté d’esthétique fluide, les hauts combles d’ardoise sont percés de lucarnes dans la continuité de la façade. Les deux hôtels particuliers, faux jumeaux, se différencient notamment par le calepinage dont les jeux de géométrie varient d’une façade à l’autre. Au numéro 18, des colonnettes encadrent la porte d’entrée et les fenêtres sont entourées de briques roses. Le chapiteau de la première fenêtre des combles semble avoir été rénové récemment. L’architecte Stephen Sauvestre (1847-1919) a résidé au numéro 16 entre 1888 et 1896.






Au 24 rue Eugène Flachat se tient un hôtel particulier d’influence rationaliste et historiciste, édifié en 1882 sous la direction de l’architecte Georges Louis Bayard (1873-1904). Ce dernier est intervenu à plusieurs reprises dans le quartier, notamment lors de travaux au numéro 8 de la même voie. Il signe en 1891 le numéro 9 dans un style très différent. L’hôtel particulier du 24 rue Eugène Flachat s’inspire du rationalisme constructif théorisé par Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879). La façade de pierre blanche, d’une grande sobriété, se déploie sur trois niveaux surmontés d’un rang de lucarnes à la base du toit. Les éléments de décor empruntent à la mode du XIXème siècle d’un Moyen-Âge fantasmé. Le linteau de la porte d’entrée se pare d’un relief sculpté. Il représente deux cimiers affrontés sur fond de rinceau, arabesques végétales. Deux têtes sculptées, un homme et une femme sont placés de part et d’autre de la porte en consoles d’angle. La façade est rythmée par deux médaillons. Le cartouche du rez-de-chaussée a été coupé à l’occasion du percement d’une petite fenêtre. Le trumeau central présente une frise sous corniche.





26 rue Eugène Flachat 

Edifié vers 1880, cet hôtel particulier appartient à un ensemble cohérent. Pierre blanche de parement et remplissage de briques rouges, il s’inscrit dans la veine du style néo-Louis XIII. L’inclinaison historiciste qui puise son inspiration dans l’architecture de la place des Vosges, traduit une volonté de faire cossu à moindre frais. 





28 rue Eugène Flachat 

Elément de la suite historiquement cohérente développée sur une même parcelle, l’hôtel particulier se compose deux étages carrés élevés sur rez-de-chaussée. La façade scandée par trois travées alterne les bandeaux de briques brunes et rouges.






Le numéro 30 rue Eugène Flachat emprunte au style néo-Louis XIII des allures de petit manoir. Hôtel particulier et atelier ont été achevés en 1887 en plein essor du quartier de la Plaine Monceau. L’édifice a été imaginé par l’architecte Gaston Aubry (1853-1901), élève de Jules André aux Beaux-Arts de Paris, promotion 1873. Les restaurations du château de Villegongis et de l’église de Lésigny marquent les débuts de sa carrière. Maturité et réputation acquises, il réalise des immeubles de rapports et des hôtels particuliers à Paris, notamment 9 rue Ampère, 24 et 30 rue Eugène Flachat, 8 rue de Penthièvre ainsi que des villas et des maisons pour le quartier Saint-James de Neuilly-sur-Seine ainsi qu’au Val de la Haye. A partir de 1888, architecte diocésain à Aire puis Autun, il se consacre aux édifices religieux. Le cachet particulier du 30 rue Eugène Flachat s’exprime dans la bichromie de sa façade, briques rouges et pierres de parement blondes, décorée de deux tirants métalliques chantournés. La large baie à meneaux de l’étage carré sur rez-de-chaussée évoque le style troubadour ainsi que la porte d’entrée flanquée de pinacles et surmontée d’un gâble en accolade achevé en fleuron. Les combles importants sont percés de lucarnes à panneaux de bois apparents. Le revers de la façade à pans de bois décline cette esthétique. L’arrière du bâtiment est visible au 49 boulevard Berthier.






Au 32 rue Eugène Flachat, la Maison Dumas fait de l’ombre aux hôtels particuliers voisins. Sa fantaisie colorée accapare toute l’attention. Le revêtement turquoise de faïence rutilante contraste joyeusement avec la brique rouge. La frise de l’archivolte en carreaux de céramique déploie de somptueux motifs méditerranéens, branches de citronnier de Sorrente chargées de fruits. L’architecte Paul Sédille (1836-1900), auteur de l’édifice, a fait appel au céramiste Jules Loebnitz, son collaborateur de longue date, afin de réaliser ensemble cette remarquable façade. Lorsque la rue Eugène Flachat est créée en 1879, François Guillaume Dumas (1847-1819), journaliste, critique d’art et écrivain, fait l’acquisition d’un terrain vierge qui court entre la nouvelle voie et le boulevard Berthier. Il souhaite que sa demeure reflète son succès et son goût pour la modernité esthétique. Paul Sédille, ses idées innovantes, ses expérimentations ambitieuses, apparaît comme l’homme providentiel. 

Le permis de construire du 32 rue Flachat est délivré le 15 février 1892. Paul Sédille imagine pour François-Guillaume Dumas une bâtisse sur trois étages dont le riche programme décoratif embrasse pleinement la polychromie monumentale dont il est l’ambassadeur le plus fervent. L’association de briques vernissées vertes et de briques rouges illustre ses propres principes créatifs. Il en va de même pour les références à la Renaissance italienne, bossages, fenêtres groupées en plein cintre, bas-relief représentant une femme nue et un putto. Un tympan triangulaire surmonte la porte d’entrée. Au premier étage, une frise d’iris souligne le balcon en encorbellement et fenêtre à meneau. Des pilastres à chapiteaux simples séparent les trois fenêtres du troisième. Sur le revers de la construction, côté boulevard Berthier, Sédille a repris le même programme coloré, le fleurissant d’iris, de muguet et de chardon. Les bow-windows incarnent l’élément moderne.






Au 34 rue Eugène Flachat, se tient un hôtel particulier édifié en 1891 par l’architecte Jean Brisson comme l’atteste l’inscription en façade. Auteur également des 93 et 95 boulevard Pereire, et du 19 rue Fortuny, celui-ci s’est illustré en oeuvrant auprès des nouvelles fortunes de la Plaine Monceau dans le XVIIème arrondissement. Ses créations révèlent une inclinaison pour l’esthétique néo-Renaissance, les références historiques réinterprétées, les façades polychromes, autant de motifs à la mode au tournant du siècle. La parcelle en angle aigu, déployée entre le boulevard Berthier et la rue Eugène Flachat, a représenté une contrainte technique susceptible d’influencer la forme finale de l’hôtel particulier. La façade dans la veine néo-Louis XIII alterne brique rouge et pierre blanche. La porte est surmontée d’une lucarne couronnée d’un pignon à redans de style néo-flamand. Un relief signé Joseph Chéret (1858-1894) sculpteur et céramiste, frère du peintre Jules Chéret, représente une femme pinceau à la main. Allégorie de la peinture, elle semble s’inspirer du paysage qui l’entoure avant de se mettre à l’ouvrage. Le médaillon rend hommage aux peintres du boulevard Berthier dont les nombreux ateliers aux vastes baies vitrées marquent l’architecture de la voie. Le 34 rue Eugène Flachat a été un temps la résidence de Léon Fourneau dit Xanrof (1867-1953), auteur-compositeur, chansonnier au Chat Noir, dont les airs populaires tels que « Le Fiacre » interprété par Yvette Guilbert ont fait les belles heures des nuits montmartroises.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.