Paris : 10 cours artisanales, mémoire du Paris ouvrier, réhabilitation des lieux, réinvention de l'esprit

 


Cours artisanales et industrielles convoquent la mémoire du Paris ouvrier, un monde disparu dont le souvenir s’ancre dans l’histoire. Quelques ensembles préservés, hérités du XIXème siècle, perdurent dans les quartiers de l’est parisien. Le Faubourg Saint Antoine conserve le souvenir des métiers du meuble, les artisans du bois, menuisiers, ébénistes, doreurs, vernisseurs. A Belleville et Ménilmontant, au détour d’une tour brutaliste des années 1970, à l’abri des regards derrière les derniers immeubles de rapport faubouriens, se cachent des cours rescapées des grandes transformations, là où se trouvait une petite industrie de la chaussure, de l’habillement, de la maroquinerie, là où sont nés les premiers syndicats de la chapellerie et de la métallurgie. Au début du XXème siècle, le phénomène de désindustrialisation de Paris, repousse le monde ouvrier vers la périphérie. La spéculation remodèle la capitale et dédie le centre-ville, son cadre de vie privilégié sans cesse rénové, aux classes bourgeoises. Ateliers et manufactures sont délocalisés vers la banlieue tout d’abord puis vers d’autres pays par la suite. Le contexte urbain évolue. Dans les années 1970 les anciens ateliers désertés sont menacés de destruction. Beaucoup disparaissent. Cependant, des programmes de réhabilitation menés par la Ville, l’Etat ou bien des particuliers permet de sauver certaines cours artisanales en leur trouvant une nouvelle vocation, artistique, sociale. Voici dix cours artisanales et industrielles préservées à l’atmosphère unique.





Accès 12 rue Saint Gilles - Paris 3
Métro Chemin Vert ligne 8

La Cour de Venise, parcelle de l’ancien îlot Saint Gilles, est une cour industrielle réhabilitée à deux pas de la place des Vosges. Typique du XVIIème siècle, elle s’illustre par sa taille impressionnante, 4000 m2, dans un quartier pourtant prisé des promoteurs immobiliers. Elle a été sauvée par l’action militante des associations de riverains. Ensemble pittoresque, la Cour de Venise présente des constructions de différentes époques. Côté ouest de la parcelle, se trouve un édifice du XVIIIème siècle. Les immeubles du XIXème siècle de trois à cinq étages ont conservé au rez-de-chaussée des ateliers, traces d’un passé industriel et artisanal. Du studio au cinq pièces, pour une surface totale de 4200 m2, soixante-quinze logements sociaux ont été créés dont cinquante réservés pour les familles modestes et vingt-cinq pour les plus démunis. Un grand centre a été spécialement conçu pour accueillir l’association Autisme 75 qui vient en aide aux jeunes autistes. Destinés à des artisans, des artistes, des professions libérales, les ateliers sous vérandas offrent de multiples possibilités.





37 bis rue de Montreuil - Paris 11
Métro Faidherbe-Chaligny ligne 8

La Cour de l’Industrie, dans le quartier Sainte Marguerite à deux pas du Faubourg Saint Antoine, témoigne avec charme du passé industriel de la Capitale. Lieu patrimonial, social et culturel, au 37 bis rue de Montreuil, elle porte le souvenir vivace du vieux Paris. Ce site exceptionnel datant de la deuxième moitié du XIXème a bien failli disparaître emporté par la vétusté. La Mairie de Paris lui a offert une véritable renaissance en rachetant l’ensemble. Le chantier de réhabilitation aura duré six ans pour rendre la cour de l’Industrie à sa vocation originelle. C’est ainsi que se perpétuent aujourd’hui encore les gestes ancestraux de l’artisanat. Bordés de 6000m2 d’ateliers, ces espaces ont conservé l’identité singulière des cours dédiées à l’industrie du meuble et des métiers du bois. Au rez-de-chaussée les ateliers bruissent d’activité tandis qu’en étage des logements demeurent. Lieu de vie et de lien social, la cour de l’Industrie rend hommage à la solidarité d’une communauté riche de compétences. Les cinquante-cinq ateliers occupés par des artisans et des artistes s’affirment comme les belles vitrines des savoir-faire. 





Accès 12 place de la Bastille - 12 rue Daval - Paris 11
Métro Bastille ligne 1, 5, 8

L’esprit du Faubourg Saint Antoine a fait son deuil des ébénistes, menuisiers et ferrailleurs, artisans d’un temps révolu. Place de la Bastille, se dévoile pourtant au promeneur attentif un havre de paix verdoyant, joli clin d’œil au patrimoine parisien préservé. La cour Damoye dont l’entrée principale se trouve au 12 rue de la Bastille joue à cache-cache entre deux limonadiers sans charme. Curiosité architecturale, elle trottine sur 124 mètres de long parmi les glycines jusqu’au 12 rue Daval.  Alors qu’elle était menacée, dans les années 90, par des promoteurs désireux de la raser pour y faire pousser quelques vilains immeubles plus rentables, cette petite enclave pavée a été entièrement réhabilitée en respectant son architecture d’origine. Les anciens ateliers abritent désormais les jeunes entreprises du domaine créatif, design, architecture, graphisme et startups variées.





26 rue de Charonne - Paris 11
Métro : Ledru-Rollin ligne 8 ou Bastille lignes 1, 5, 8

L’accès au passage Lhomme s’ouvre au 26 de la rue de Charonne en traversant un immeuble du XVIIIème siècle dont l’alignement a été revu au début du XXème. Avant le percement de l’avenue Ledru Rollin, ouverte par tronçons successifs entre la rue de Lyon et l’avenue Daumesnil dès 1859, puis entre la rue Basfroi et la rue Godefroy-Cavaignac jusqu’en 1931, un ensemble de ruelles étroites, dédale de courettes caractéristiques, permet de rejoindre la rue de Charonne depuis le Faubourg Saint-Antoine. Fief des métiers du bois plus particulièrement liés à l’ameublement tels que menuisiers, ébénistes, doreurs, marqueteurs et ferrailleurs, ce quartier s’est développé sous leur impulsion jusqu’au début du XXème siècle. Le passage Lhomme typique donne l’illusion d’être suspendu dans le temps, vieux Paris révolu où résonnent encore le bruissement fantôme de l’activité artisanale. 





Métro Charonne ligne 9

Au 77 rue de Charonne, derrière un immeuble sur rue daté de 1886, se trouve une magnifique cour industrielle à la physionomie inhabituelle. Cet ensemble remarquable qui contraste si fortement avec les allures bourgeoises de la pierre de taille en façade aurait pu être construit indépendamment à une date différente. Cependant, la structure de fonte évoque avec panache le style architectural de l’époque. Les ateliers répartis sur cinq étages ployés en U sont desservis par des coursives. La charpente de métal peinte en rouge, l’ocre de la brique traditionnelle et les éléments de bois s’associent en un heureux camaïeu de teintes, lesquelles semblent fort exotiques à l’œil parisien. Au fond de la cour pavée, un monte-charge silencieux témoigne d’un passé industrieux. Aménagé et rénové, le bâtiment est aujourd’hui occupé par des bureaux, un studio de danse, une salle de yoga, un cours de comédie, un cabinet d’architecte ou encore une agence de voyage. La loge, un petit théâtre créé en 2009 par Alive Vivier et Lucas Bonnifait, a jusqu’en juillet dernier ouvert ses planches aux nouveaux talents de la musique, de la danse, du théâtre. Avec le succès de leur programmation, ses fondateurs ont fermé cette salle afin de s’installer dans des locaux plus grands.





Accès 2 rue de la Roquette ou 21 rue du Faubourg Saint-Antoine - Paris 11
Métro Bastille lignes 1, 5, 8

Aménagé en 1824, le passage du Cheval-Blanc, un ensemble de courettes à vocation artisanale typiques du faubourg, sert à l’origine d'entrepôts de bois pour les artisans du Faubourg Saint-Antoine. Il tient son nom d'une ancienne enseigne disparue frappée d'un cheval. Long de 155 mètres, il se compose de cinq escaliers et de six cours distribuées le long de la voie centrale portant le nom des six premiers mois de l'année. La cour de Janvier située au numéro 3 n'est pas toujours accessible mais derrière la grille se trouvent des bâtiments datant du milieu du XIXème siècle. Les cours de Février au 5 et de Mars au 7, ont été construites sont un même modèle. Située à l'arrière un bâtiment plus récent, se trouvent d'identiques ateliers réhabilités à pans de bois et à la structure aux poutres apparentes.





Accès 67 rue de Reuilly - Paris 12
Métro Montgallet ligne 8

La cour d’Alsace-Lorraine, insolite ruelle pavée, se divise en deux allées en impasses. Ouverte au public en journée, cette voie privée présente un pittoresque ensemble d’ateliers investis par des artisans et des professions libérales. Ebénistes, menuisiers, ferronnier, côtoient une maison d’édition, un cabinet d’architecte, un studio de design. Selon la légende, la cour en double impasse, destinée à devenir des écuries, aurait été construite aux alentours de 1789 avec les pierres de la Bastille. Son nom de cour d’Alsace-Lorraine lui est donné vers 1889, afin de commémorer la perte par la France des provinces d’Alsace et de Lorraine lors de la guerre contre la Prusse en 1871, provinces recouvrées après la Première Guerre Mondiale en 1918. Réhabilitée dans les années 1990, la cour d’Alsace Lorraine a affirmé depuis sa vocation artisanale. Récemment, les ateliers ont été peints de couleurs vives qui rappellent Notting Hill. 





Accès 56 rue du Faubourg Saint-Antoine - Paris 12
Métro Bastille lignes 1, 5, 8

La Cour du Bel-Air, pittoresque ensemble du XVIIème siècle, fait partie de ces nombreuses cours artisanales du faubourg Saint-Antoine dont le destin a pris des inflexions moins manuelles. Dans cet ancien quartier des artisans du bois, les spécialistes du mobilier ébénistes, tapissiers, vernisseurs, laqueurs ont été éclipsés, au cours du XXème siècle, par des boutiques élégantes et des studios de professions libérales. Accessible librement en semaine, la cour du Bel-Air comporte quelques habitations particulières, une grande librairie, une galerie d’art orientée design dont la devanture en bois néo-gothique est ornée d’un décor de moulures joliment chantournée. Longue de 56 mètres, large de 3,1 mètres, cette cour champêtre est entourée d’immeubles de trois étages aux façades envahies de vigne vierge. 





47 bis avenue de Clichy – Paris 17
Métro La Fourche ligne 13

Au 47 bis avenue de Clichy, la cour Saint Pierre s’ouvre en entonnoir. La voie privée longue d’une centaine de mètres se termine en impasse. A l’origine cité d’artisans, la légende raconte qu’autrefois, les chevaux du champ de course de l’Hippodrome de Montmartre ouvert en 1899 en remplacement de celui de l’Alma et devenu plus tard le Gaumont Palace, y paradaient avant de courir. Dans les années 1980, la cour Saint Pierre est une cité d’artistes informelle où une communauté composée de musiciens, écrivains, peintres, photographes lui donnent son allure bucolique en cultivant une atmosphère de petit village. Dans les années 1990, les promoteurs s’intéressent à la parcelle. Mais l’association de Défense du Village de la Fourche s’insurge et bataille ferme parvenant à sauver la Cour Saint Pierre. L’association Cour Saint Pierre perpétue l’esprit des artistes des années 80 en organisant expositions, animations et événements culturels autour des arts plastiques. L’Atelier Terre de Sienne d’Isabelle Kessedjian propose cours de peinture, de dessin, de sculpture pour enfants et adultes. La vocation créatrice de la Cour perdure dans la tradition.





145 rue de Belleville - Paris 19
Métro Jourdain ligne 11

Au début du XXème siècle, se développe à Belleville une nouvelle industrie liée à l'activité des abattoirs de la Villette. Dans les ateliers situés en arrière-cours, se travaillent cuir et corne afin de confectionner des chaussures, des ceintures, des boutons, des peignes. Au 145 rue de Belleville, passé le porche d'un classique immeuble de rapport, l'une de ces cours industrielles datant de 1906 se dévoile dans la candeur d'un charme préservé. Les petits ateliers désormais accueillent un studio de danse, des artistes et des artisans d’art.



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.