Paris : Passage des Dames de Saint-Chaumond, divine surprise traversante d'un hôtel particulier rocaille, rescapé des grands travaux d'Haussmann- IIème



Le passage des Dames de Saint-Chaumond est l'une de ces curiosités qui transportent le flâneur à travers les siècles. Parfois en longeant les façades haussmanniennes des boulevards parisiens, surgissent au-delà des portes cochères des mirages rescapés du temps passé. En son cœur, une pépite architecturale est dissimulée au regard sur le boulevard Sébastopol par un immeuble du XIXème siècle et sur la rue Saint-Denis par un alignement singulier de petites cours pavées. Cet hôtel particulier datant du XVIIIème siècle a miraculeusement conservé toute sa splendeur originelle. Il est le dernier témoignage des grands établissements religieux de la rue Saint-Denis, voie royale où se trouvaient l'église Saint-Sauveur, l'hôpital de la Trinité dont je vous parlais ici  ou encore la maison d'été des Catherinettes, le couvent des Filles-Dieu. Depuis la rue Saint-Denis sous un porche abondamment taggué, la porte bleue de l'élégante bâtisse attire le regard dans le prolongement du passage des Dames de Saint-Chaumond. Les passants peuvent à leur gré traverser l'hôtel particulier, qui a échappé aux grands travaux d'Haussmann, pour rejoindre le boulevard Sébastopol, opulente incongruité d'un passage hors du temps, survivance d'une époque révolue. Un peu d'histoire, si vous le voulez bien.










Au XVIIème siècle, Melchior Mitte, marquis de Saint-Chamond - devenu Saint-Chaumond par dérivation du nom - alors ministre de Richelieu, fait construire un hôtel particulier rue Saint-Denis à l'angle des rues Blondel et du Ponceau sur l'emplacement de notre actuel 224 rue Saint-Denis. En 1681, cet hôtel est la résidence de François d'Aubusson, comte puis duc de la Feuillade, maréchal de France sous Louis XIV. Dans ses jardins, celui-ci fait couler la statue de fonte de Louis XIV qui décorait la place des Victoires avant la Révolution.

En 1683, l'hôtel est légué aux Filles de l'Union Chrétienne, une communauté séculière fondée en 1652 par Vincent de Paul et Madame de Polaillon, oeuvre veillant originellement à l'instruction des femmes converties et offrant retraites aux femmes en instance de séparation. Le couvent installé à partir de 1685 dans l'hôtel de Saint-Chaumond, les couventines sont alors surnommées les Filles de Saint-Chaumond.

De nos jours, il ne reste rien de cet hôtel particulier. En revanche, en 1734-35, la communauté fait construire un logis dans les jardins, résidence destinée aux riches pensionnaires laïques. De style rocaille, ce nouvel hôtel est réalisé par l'architecte Jacques Hardouin-Mansart de Lévi, petit-fils de Jules Hardouin-Mansart. C'est cette noble bâtisse qui a été préservée même si elle a perdu entre temps son escalier principal, son décor intérieur et a été surélevée d'un étage. Destiné aux dames de la bonne société désirant effectuer une retraite, l'entrée de l'hôtel se trouve alors rue Saint-Denis.












A la suite de la Révolution, le couvent devient propriété nationale en 1795. La chapelle désaffectée est réhabilitée en imprimerie sous l'égide du maître-imprimeur Jean-François Furcy Michelet, père du célèbre historien Jules Michelet. L'église attenante au couvent, une oeuvre de l'architecte Pierre Convers réalisée en 1782 dans le style antique qui se trouvait à l'angle de la rue Tracy, sera entièrement détruite. Mais le logis des Dames de Saint-Chaumond est préservé. 

De nos jours, ce bâtiment exceptionnel, pierre de taille et fer forgé, a conservé son plan en courbes et contre-courbes. Le décor des façades réalisé par Nicolas Pineau, maître de l'art rocaille ou rococo est classé au titre des Monuments historiques. Côté rue Saint-Denis, la porte principale est surmontée d'un écusson encadré de deux consoles rococos. Le balcon en ferronnerie ouvragée, dalles chantournées, volutes de pierre, est marqué d'un monogramme. Deux pavillons saillants, ajout ultérieur, flanquent la façade rectiligne aux baies cintrées en rez-de-chaussée et au premier étage. Les arcades portent des agrafes formant clef.











L'élégante porte bleue passée, un long corridor étroit mène à une nouvelle cour réduite à portion congrue par un bâtiment datant du XIXème siècle qui donne sur le boulevard Sébastopol. Là, s'étendaient les jardins originels du logis. La seconde façade de l'hôtel a été dessinée par Jacques Hardouin-Mansart en hémicycle. Le fronton de l'entrée est décoré d'un mascaron où Nicolas Pineau a réalisé une figure féminine particulièrement belle. 

Curieux chemin qui dans un quartier populaire nous offre la possibilité de visiter un hôtel particulier, raccourci à travers les siècles, le passage des Dames de Saint-Chaumond est très certainement l'un de ces trésors improbables qui gagneraient à être mieux connus.

Passage des Dames de Saint-Chaumond - Paris 2
Accès 226 rue Saint-Denis - 131 boulevard Sébastopol 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 






Bibliographie
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Le guide du promeneur 2è arrondissement - Dominique Leborgne - Parigramme
Curiosités du Paris haussmannien - Nicolas Jacquet - Parigramme
Le guide du patrimoine, Paris -  Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette

Sites référents