Ancien magasin principal de l’enseigne Félix Potin, l’immeuble à l’angle du 51 rue Réaumur et du 99 boulevard Sébastopol, est désormais occupé par un Monoprix terriblement contemporain. La partie basse de l’édifice, modifiée, apparaît désormais privée de ses marquises d’angle monumentales. Les élévations de style éclectique demeurent intactes dans leur flamboyance ornementale. Inaugurée en 1910, cette oeuvre néobaroque du très académique architecte Charles Lemaresquier (1870-1972), était surnommée la Poivrière du temps de sa splendeur. Le siège social de l’enseigne disparue devait son sobriquet à l’exubérante rotonde d’angle surmontée d’un grand dôme. Un comble pour une épicerie.
Entrepreneur novateur, Félix Potin (1820-1871) a été un pionnier de la grande distribution. Il a développé des concepts innovants imaginant le commerce moderne de l’alimentation. Sens des affaires et de la communication, il a su séduire les consommateurs au détriment des petits artisans moins inventifs. Parmi ses idées les plus prolifiques, les produits d’appel à prix coûtant ont permis de bâtir une réputation solide. Les marges étaient alors reportées sur les denrées de luxe transformées. En contrôlant les circuits d’approvisionnement, Félix Potin a réduit le nombre d’intermédiaires et les frais. L’enseigne a d’ailleurs rapidement ouvert ses propres usines de production, devenant précurseur des marques distributeur.
En 1844, Félix Potin, fils d'agriculteur, inaugure une première épicerie au 28 rue Coquenard, dans une rue très passante, fréquentée par beaucoup de ménagères. La deuxième boutique voit le jour en 1850, rue du Rocher. Une fois encore, l’adresse n’a pas été choisi au hasard puisqu’elle semble propice au développement d’une clientèle venant de la banlieue. En 1860, le frère de Félix Potin ouvre une nouvelle épicerie à l’angle des toutes récentes voies haussmanniennes que sont le boulevard Sébastopol et la rue Réaumur. L’emplacement stratégique à deux pas des Halles de Baltard draine une foule compacte. Le magasin déployé sur deux étages attire beaucoup de monde et participe à la renommée de la maison. Afin de répondre aux besoins de cette clientèle, le bâtiment est retravaillé en 1886. Puis au début du XXème siècle, le succès de Félix Potin devenant triomphe, l’immeuble est entièrement repensé à grands frais. Transformé et agrandi par l’architecte Charles Lemaresquier, le magasin, fleuron de l’entreprise, propose dès lors de nouveaux espaces luxueux, une grande boucherie-charcuterie, une épicerie élégante. Le dernier cri, le comble du chic.
1870 Alfred Decaen et Jacques Guiaud La queue à la porte d'une épicerie Félix Potin |
1900 Magasin Félix Potin boulevard Sébastopol |
1910 Nouveau magasin Félix Potin bd Sébastopol/rue Réaumur |
1910 Inauguration de la Nouvelle boucherie Félix Potin |
1910 Félix Potin bd Sébastopol / rue Réaumur - Nouvel espace boucherie |
1910 Félix Potin bd Sébastopol / rue Réaumur - Nouvel espace boucherie |
1910 Félix Potin bd Sébastopol / rue Réaumur - Nouvel espace boucherie |
1910 Félix Potin bd Sébastopol / rue Réaumur - Nouvel espace boucherie |
Charles Lemaresquier, proche de Victor Laloux, est peu sensible aux préceptes naissants du Modernisme. Adoubé par l’Académie, membre très en place du sérail, il ne déroge pas à sa ligne esthétique. Dans le cadre de son travail personnel au sein de son cabinet ou dans celui de ses fonctions publiques, il suit un programme bourgeois sans coups d’éclat. Architecte en chef des bâtiments civils, des Palais Nationaux, du domaine de Rambouillet, des bâtiments du ministère de la Marine, de l’Ecole Nationale de l’Agriculture, Charles Lemaresquier compte parmi ses œuvres majeures, le palais Berlitz sur le boulevard des Italiens, le Cercle militaire de la place Saint Augustin, une aile moderne de l’hôtel de Rochechouart où se trouve le ministère de l’Education nationale.
Pour Félix Potin, il conçoit un édifice au style néo-baroque très en vogue dans la bonne société. Il puise son inspiration dans les préceptes d’une architecture académique. Bien que l’édifice paraisse exubérant à des yeux contemporains, il s’avère en son temps très traditionnel dans une veine ornementale. Concession au progrès technique, Charles Lemaresquier imagine une structure en ciment armé, un matériau encore récent à l’époque et tout à fait inédit pour la conception d’un commerce. Ses propriétés spécifiques ouvrent le champ des possibilités formelles et esthétiques. L’emploi systématique de ce béton va permettre de repenser l’architecture utilitaire.
L’ostentation manifeste de l’édifice attire l’œil des curieux. Mais plus encore, elle démontre concrètement la prospérité des magasins Félix Potin. L’opulence du programme décoratif communique une image de commerce florissant. La façade de la rotonde d’angle est parcourue de symboles d’opulence, une iconographie classique mêlant mythologie et représentations idéalisées. Consoles flanquées de cornes d’abondance, guirlandes de fruits, vases, consoles à feuillages et caducée, les attributs d’Hermès, dieu du commerce. Les éléments peints du décor apportent leur fantaisie polychrome à la pierre de taille. Les courbes néo-baroques et le relief des éléments en ronde-bosse soulignent le fastueux foisonnement.
Ancien siège social de Félix Potin
51 rue Réaumur / 99 bd Sébastopol - Paris 2
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse - Hachette
Le guide du promeneur 2è arrondissement - Dominique Leborgne - Parigramme
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