Paris : Passage Bourgoin, un confetti fleuri préservé grâce à la ténacité de ses riverains - XIIIème



Le passage Bourgoin, rescapé d'une époque lointaine, typique d'un tissu urbain disparu est le vestige du passé modeste de l'arrondissement peuplé alors d'artisans et d'ouvriers. Au Sud-est du XIIIème arrondissement, quartier bouleversé par les grands travaux débutés dans les années 60, résiste encore et toujours ce petit passage bucolique d'à peine 150 mètres de long. Bordé de pavillons, bicoques anciennes et maisons d'architecte modernes, le passage est envahi d'une végétation qui submerge la venelle par-dessus les murs. Bignonias, vignes, volubilis, rose déploient leurs volutes colorées dans l'abondance des parfums fleuris. Une partie des bâtisses alignée sur la voie affiche des façades chamarrées tandis que l'autre adossée au fond de la parcelle dégage des jardins sur la rue. Côté rive sud, les maisons construites en L ouvrent leurs courettes sur le passage rabattant leur aile en retour à l'alignement. Dans cette atmosphère de village, intime et pittoresque, le flâneur trouve le temps d'une parenthèse enchantée qui doit sa survie à la ténacité des riverains.










Des réaménagements urbains drastiques sous Georges Pompidou jusqu'aux plus récents projets, Paris Rive Gauche et ZAC Château des Rentiers, le quartier de la Gare aura connu une destinée singulière, changeant complètement de visage. Avant 1850, le territoire est peu construit. Le Coteau d'Ivry planté de vignes a des charmes agrestes que seule l'implantation du chemin de fer d'Orléans viendra bouleverser. De nos jours, il reste encore en mémoire de cette époque quelques parcelles allongées d'est en ouest typiques des exploitations viticoles de petite envergure. 

En 1867, Etienne Bourgoin, tanneur né à Meung-sur-Loire en 1820 devenu marchand de vin au 114 avenue d'Ivry, a l'idée une opération foncière consistant à lotir des terrains dans ce tout nouvel arrondissement de Paris afin de les revendre à une population récente. Il achète des parcelles agricoles à des familles d'Ivry sur le lieu-dit des Hautes-Formes, dont le nom fait référence aux excavations laissées par l'exploitation des carrières crayères au début du XIXème siècle.










En septembre 1879, le passage Bourgoin qui ne s'appelle pas encore ainsi est ouvert. De 1879 à 1887, le lotissement des terrains fait progresser l'urbanisation alors que s'édifient fabriques, bâtisses modestes, ateliers d'artisans, maisons d'ouvriers aux petits jardins. Les premières maisons du passage Bourgoin sont construites par des artisans sans architecte, sans règle d'urbanisme, souvent à partir de matériaux de récupération qui aujourd'hui encore refont surface lors de travaux de rénovation. Ce lotissement populaire construit sans promoteur est dès lors marqué par un style très composite qui perdure au gré des nouveaux propriétaires.

La première mention du passage Bourgoin sous cette dénomination apparaît dans un acte notarié du 4 avril 1883 signé chez maître Colleau tandis que l'impasse Bourgoin fait son apparition toujours chez le même notaire le 20 juillet 1883. En 1887, le passage Bourgoin figure sous ce nom dans l'Atlas municipal de la Ville de Paris et en 1888 entre dans la Nomenclature des voies publiques de la ville.








Ouvert à la circulation publique en 1959, le passage Bourgoin fait partie d'un tissu urbain fragile mis à mal par la rapide mutation sociologique de la population parisienne. Les différentes crises ont obligé les pouvoirs publics à envisager des solutions radicales pour fournir des logements nombreux et à faible coût. Dans les années soixante, il était planifié qu’une grande partie de Paris soit rasée afin que de grands ensembles voient le jour. Le quartier de la Gare a été ainsi totalement transformé.

Dans les années soixante-dix, l’idée de la table rase est abandonnée, la hauteur des immeubles limitée. Il s'agit alors de réconcilier dans ces nouveaux quartiers hybrides deux héritages en affrontement direct celui de la ville ancienne à taille humaine et celui de la modernité avec ses contingences incompressibles.







Le passage Bourgoin miraculeusement préservé a malgré tout été menacé de destruction à son tour en 1983 par le projet de la ZAC du Château des Rentiers. Pour sauver le passage, les habitants se rassemblent en une association citoyenne de quartier, l'Inter-Nationale-Bourgoin, présidée pendant une dizaine d'année par Alain Demouzon, romancier, scénariste, auteur de littérature policière et jeunesse, reporter et essayiste.

En 1989, avec la révision du Plan d'occupation des sols, les riverains obtiennent le classement du passage Bourgoin en zone UL en tant que "lieu de mémoire, de charme et de respiration". Tandis que le Plan local d'urbanisme favorise les activités culturelles, artisanales, artistiques, en 1991, une nouvelle modification du POS abaisse le coefficient d'occupation et limite les niveaux des nouvelles constructions à trois étages. Dernier souvenir, d'un quartier disparu, le passage Bourgoin est sauvé.

Passage Bourgoin - Paris 13
Accès 41 rue du Château-des-Rentiers et 32 bis rue Nationale



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 13è arrondissement - Gilles-Antoine Langlois - Editions Parigramme
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit
Paris méconnu - Jacques Garance et Maud Ratton - Editions Jonglez

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