Paris : 31 et 31bis rue Campagne Première, immeuble de style Art Nouveau dédié aux ateliers d'artistes, oeuvre de l'architecte André Arfvidson - XIVème

 


L’immeuble du 31 - 31 bis rue Campagne Première dans le quartier Montparnasse à Paris, oeuvre d’André Arfvidson (1870-1935) affirme des partis pris esthétiques forts en lien avec sa vocation initiale, un ensemble d’ateliers d’artiste haut de gamme. Edifié en 1911, le bâtiment, béton armé et remplissage de briques, illustre la modernité des nouvelles techniques de construction. La façade sur rue se déploie sur quatre niveaux d’ateliers scandés d’imposantes bow-windows rendues possibles grâce à la structure de ciment armé, niveaux auxquels répondent huit sur cour intérieure correspondant aux espaces d’habitation. La façade sur rue en grès flammé, décor atypique du grand céramiste Alexandre Bigot, témoigne des évolutions stylistiques des années 1910. Le revêtement d’inspiration Art Nouveau inscrit l’immeuble dans un programme décoratif plus Otto Wagner et Jugendstil viennois que Guimard. Son ordonnance classique souligne la sobriété d’un agencement géométrique des motifs qui préfigure l’Art Déco. Les cabochons aux motifs végétaux évoquent les expérimentations esthétiques de Charles Rennie Mackintosh et de la Glasgow School of Art. La discrète polychromie de la façade, camaïeu de brun, d’ocre, de blanc, accroche subtilement la lumière du jour, développant des variations chromatiques au fil de la journée. La production en série des carreaux issus du catalogue de la maison Alexandre Bigot a réduit les coûts généraux sans restreindre l’effet. L’immeuble primé au concours de façade de la Ville de Paris en 1912, a été distingué par les Monuments historiques. Façades et toitures sont inscrits par arrêté du 12 juin 1986. 









L’immeuble du 31 - 31 bis rue Campagne Première témoigne des évolutions techniques en matière d’architecture dans les années 1910. La révolution du béton représente alors le progrès. Elle ouvre le champ des propositions et permet d’envisager un nouveau modèle d’habitation. L’immeuble ateliers d’artistes situé dans le XIVème arrondissement de Paris incarne cette innovation architecturale. Les appartements aménagés en duplex jumèlent logements et ateliers dans un compromis moderne entre la fonction et le confort. L’originalité formelle et esthétique porte l’accent sur les volumes libérés par la structure de béton armé et la lumière grâce aux bow-windows.

A partir des années 1910, Montparnasse succède à Montmartre dans le cœur des artistes. La bohème change de quartier et ses créateurs recherchent des lieux propices à leur pratique, des ateliers orientés au Nord et bien éclairés. En retrait des boulevards, les artistes investissent d’anciennes écuries, des ateliers d’artisan en fond de cours. Des cités d’artistes sont créées telles que la célèbre Ruche. Le succès et les moyens financiers venant, ils s’installent dans des appartements au dernier étage ou éventuellement des hôtels particuliers, les deux surmontés de verrières à charpente métallique. Leur cas intéresse les promoteurs immobiliers qui songent à construire des immeubles dédiés. Les structures en ciment armé, poteaux et de poutres de béton, libèrent les volumes intérieurs. Il est dès lors possible de proposer un nouveau modèle d’atelier à destination de cette clientèle. Entre 1840 et 1935, environ cent-cinquante nouveaux immeubles ateliers d’artistes sont édifiés.

Le 7 août 1901, l’homme d’affaires Charles Henry Bréal achète la parcelle comprise entre le 31-31 bis rue Campagne Première et le passage d’Enfer où se trouve l’Ecole nationale d’équitation d’Henri-Florentin Jamin, qui vient de disparaître. Le promoteur immobilier fait appel à l’architecte André Arfvidson. Ensemble, ils développent un projet d’immeuble de rapport destiné à accueillir des ateliers d’artiste hauts de gamme. Le chantier de démolition du manège et des écuries débute le 14 février 1910. Le permis de construire est délivré le 15 mars 1910. 









L’ensemble du 31-31 bis rue Campagne Première complété par le passage d’Enfer s’articule autour d’une cour intérieure commune. Le bâtiment associe deux notions, le confort moderne et l’adaptation à la fonction. Les contraintes de la création artistiques déterminent le cahier des charges lequel prend en compte l’importance de la vie domestique parallèle. 

Rue Campagne Première, les vingt appartements-ateliers aux surfaces variées, le plus grand comportant trois chambres et un bureau, s’adaptent aux besoins des locataires selon le nombres de pièces et leur destination. Les logements établis en duplex rompent avec la règle de composition classique. Etablis sur deux niveaux d’élévation, ils forment deux espaces distincts. Les ateliers et leurs grandes verrières orientées au Nord donnent côté rue et les espaces d’habitation côté cour intérieure. L’étage s’ouvre sur l’atelier par une loggia. L’espace domestique à la façade percée de petites fenêtres se tourne côté Sud sur cour. Les ateliers du passage d’Enfer, moins monumentaux dans leur approche possèdent chacun leur entrée indépendante sur la ruelle.

Les appartements de la rue Campagne Première sont conçus selon le principe des volumes intérieurs ouverts. Grâce au béton, les cloisons de séparation n’ont plus de fonction porteuse. Avènement du plan libre. Chaque atelier dispose d’un logement en duplex, d’une salle à manger et d’une cuisine au niveau de l’atelier sur rue, d’une chambre, d’une salle de bain et d’un salon au niveau de la mezzanine sur cour. Leur conception renouvelle l’idée de l’atelier d’artistes pour revendiquer le standing d’habitations mêlant confort et praticité.







L’immeuble est livré avec des aménagements modernes remarquables, ascenseurs doublés d’escaliers communs, système de chauffage central à vapeur, électricité et gaz, salles de bain dotées d’un chauffe-bain et d’une caisse à linge, téléphone à disposition des locataires dans la loge du concierge, possibilité de raccordement des appartements. 

Les loyers envisagés lors de la conception du projet sont importants. A la livraison le succès est tel qu’ils augmentent tout de suite. Selon la surface, ils sont compris entre 1600 et 3400 francs par an, alors que les artistes de Montparnasse gagnent en moyenne 100 francs par mois. En comparaison, les loyers de la Ruche s'élèvent à 300 francs par an, voire même 50 francs pour les ateliers du rez-de-chaussée dont les sols sont insalubres. Bréal et Arfvidson s’adressent à une clientèle ayant des moyens financiers confortables.  

Parmi les célèbres résidents, se trouvent le photographe Man Ray, le peintre Chaïm Soutine, la photographe Dora Maar, le sculpteur César, le peintre écrivain Iouri Annenkov, l’écrivain Ezra Pound, Pierre Restany critique et historien d’art, le plasticien Jean-Pierre Raynaud,










Aujourd’hui, l’immeuble du 31 rue Campagne Première fait l’objet de nouveaux travaux. Les portes actuelles ne sont pas d’origine et le verre cathédral du rez-de-chaussée a été remplacé. La façade en grès cérame a été restaurée lors d’une campagne menée en 2015 par la société spécialisée Normandy Ceramics. 

Ateliers d’artiste 31 rue Campagne Première - Paris 14



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Ateliers d’artistes à Paris - Jean-Claude Delorme et Anne-Marie Dubois - Editions Parigramme
Le guide du promeneur 14è arrondissement - Michel Dansel - Parigramme 
Grammaire des immeubles parisiens - Claude Mignot - Parigramme
Guide d’architecture Paris 1900-2008 - Eric Lapierre - Editions Pavillon de l’Arsenal