Paris : La Ruche, cité d'artistes bourdonnante et souvenirs piquants de Montparnasse - passage de Dantzig - XVème




La Ruche, véritable cité des arts fondée au début du XXème siècle, est rapidement devenu le centre névralgique de l'Ecole de Paris. Ce lieu d'accueil destiné aux peintres et sculpteurs démunis était à l'origine distribué en plus de cents ateliers. A proximité du parc Georges Brassens dont je vous parlais ici, sur les rives d'un XVème arrondissement à l'urbanité minérale, s'ouvre au numéro 48 de la rue de Dantzig un passage éponyme. Dans l'abondance flamboyante de la vigne vierge automnale  se dressent d'insolites constructions. Au numéro 2, La Ruche se dissimule derrière une vaste grille en fer forgé. Inaugurée en 1902 par le ministre de l'Instruction publique grâce au mécénat du sculpteur Alfred Boucher (1850-1934), elle réserve de belles surprises. Splendeur des singularités architecturales, cet édifice étonnant aux airs de pagode ou de chapiteau circassien est parvenu  jusqu'à nous étonnamment préservé. Considérée comme une annexe de Montparnasse, haut lieu de la vie artistique parisienne du début du XXème siècle, la Ruche a réuni, en son sein, l'une des communautés d'artistes les plus importantes de cette époque.











Surnommée La Ruche par le sculpteur Alfred Boucher, cette cité doit son nom à la disposition particulière des ateliers en alvéoles autour de l'escalier central du bâtiment principal octogonal. Ancien pavillon de l'Alimentation et des Vins de la ville de Bordeaux lors de l'Exposition Universelle de 1900, acquis à moindre coût aux enchères, celui-ci est remonté sur un terrain vague de Vaugirard, 5000 m2 acheté en 1895 pour vingt sous le mètre.

En souvenir de sa jeunesse indigente, Boucher y crée des ateliers d'artistes, oeuvre de bienfaisance et soutien de la jeune création. La structure métallique de la rotonde provient des ateliers Eiffel. Des vestiges de l'Exposition Universelle, la Ruche possède également la grande grille en fer forgé qui ornait la porte du pavillon des Femmes et les Cariatides, le pavillon de l'Indonésie. L'ensemble est alors augmenté d'un bâtiment de quatre étages avec entrées de plain-pied sur la rue pour les sculpteurs se faisant livrer de lourds blocs de pierre, d'une galerie d'exposition et d'un théâtre de trois cents place où Louis Jouvet fit ses débuts tandis que de petits ateliers de briques sont progressivement construits dans les jardins.

Si les débuts sont un peu difficiles, la grande animation industrieuse des artistes se développe à tel point qu'elle est comparé en plus vaste à celle du Bateau-Lavoir de Montmartre. Dès 1905, La Ruche accueille Fernand Léger puis Marc Chagall en 1910 et de nombreux artistes de l'Europe Centrale. Soutine, originaire de Lituanie, y peint L'écorché célèbre tableau représentant une carcasse de bœuf achetée aux abattoirs de Vaugirard - aujourd'hui parc Georges Brassens  - tout proches. Le sculpteur Ossip Zadkine y fit un bref séjour mais l'atmosphère confinée des lieux ne lui convenait pas.











Foyer de l'Ecole de Paris, communauté d'intense création artistique, village cosmopolite, La Ruche a hébergé de nombreux talents : le réalisateur, essayiste et romancier Jean Epstein, la peintre Marie Laurencin, le peintre Gabriel Deluc, le sculpteur Constantin Brancusi, le peintre Alexandre Altmann, les poètes Guillaume Apollinaire, Max Jacob, l'écrivain, essayiste, romancier André Salmon, l'écrivain Blaise Cendrars, le sculpteur Alexander Archipenko, le peintre Michel Kikoïne, le peintre Jacques Chapiro, le sculpteur Jacques Lipchitz, le sculpteur peintre et dessinateur Henri Laurens…

L'entre-deux-guerres, avec notamment le décès de son fondateur Alfred Boucher en 1934,marque un tournant pour la Ruche et un déclin progressif. Après la Seconde Guerre Mondiale, sa réputation s'amenuisant, la cité des arts n'est plus entretenue. Ce n'est qu'au début des années 60, qu'un groupe de jeunes artistes relance l'activité créatrice au sein de ce bel ensemble chargé d'histoire.

Les peintres Paul Reyberolle, Simone Dat, Francis Biras, Joseph Sima s'y installent pour un modeste loyer de 50 francs par mois. Attirant la convoitise des promoteurs, la Ruche est menacée de destruction en 1965. Elle est sauvée grâce à la mobilisation des artistes, un comité de soutien mené par Marc Chagall et l'intervention d'André Malraux. Rachetée en 1971 par la famille Seydoux, façades et toitures sont classées au titre des monuments historiques par arrêté du 19 janvier 1972 deux ans après l'incendie qui ravagea le Bateau-Lavoir.










Financée par le mécénat privé et les aides publiques depuis toujours, La Ruche voit une nouvelle ère s'ouvrir. Entre 1973 et 1984, les trois bâtiments principaux sont rénovés. La Fondation La Ruche Seydoux créée en 1985 grâce à la donation de Geneviève Seydoux en assure la gestion et l'entretien. Entre 1994 et 1996, de nouveaux ateliers plus grands sont édifiés du côté du passage de Montauban. Parrainés par la Fondation du Patrimoine, la Fondation Total et la Fondation La Ruche Seydoux, de grands travaux de rénovation de l'ancien pavillon de l'Exposition Universelle sont menés de 2009 à 2010.

Aujourd'hui, charme préservé et architecture restaurée, une soixantaine d'ateliers d'artistes dont vingt-trois dans la rotonde principale qui a été entièrement modernisée et évidée pour créer des espaces plus clairs, la Ruche est un lieu privé qui se visite uniquement lors des journées du Patrimoine [Edit : l'article a été écrit en 2016. Il est nécessaire de vérifier chaque année si la Ruche participe ou pas à cet événement.] Petite anecdote amusante, Ernest-Pignon-Ernest y loue un atelier.

La Ruche, cité d'artistes
2 passage de Dantzig - Paris 15



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Paris, le guide du patrimoine - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Connaissance du vieux Paris - Jacques Hillairet - Rivages
Traversée de Paris - Alain Rustenholz - Parigramme
Le guide du promeneur 15è arrondissement - Florence Claval - Parigramme
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Edition 1996 - Parigramme

Sites référents