Paris : Tombes de Molière et La Fontaine, mystères et imbroglios autour des célèbres cénotaphes du cimetière du Père Lachaise - XXème

 

Les tombes de Molière et La Fontaine au cimetière du Père Lachaise sont entourées d’une aura d'incertitude teintée de mystère. En 1816, la nouvelle nécropole de l’est parisien inaugurée en 1804 peine à rencontrer son public. La Ville de Paris monte une opération de réclame d’un genre un peu particulier. Elle organise le transfert de défunts célèbres vers le Père Lachaise, quitte à prendre quelques libertés avec la réalité. Ainsi le mausolée d’Héloïse et Abélard, les célèbres amants, les tombes de Molière (1622-1672) et La Fontaine (1621-1695) sont consacrées solennellement le 6 novembre 1817. Les restes supposés des deux hommes de lettres, exhumés au cimetière Saint Joseph au cours de la Révolution, un temps déposés au musée des monuments français, trouvent là un lieu de repos plus digne. Selon toute vraisemblance, les évènements autour des inhumations et des exhumations ayant été chaotiques, et l'imbroglio certain, les dépouilles ne seraient pas vraiment celles du dramaturge et du fabuliste. Néanmoins, la publicité se révèle efficace et dans les années qui suivent deux-mille monuments funéraires sont élevés. Le cimetière du Père Lachaise est régulièrement agrandi jusqu’en 1850 date à laquelle il atteint ses dimensions actuelles. Il s’agit de la seule nécropole parisienne destinée à accueillir des concessions perpétuelles. Les deux cénotaphes placés dans la 25ème section au croisement des chemins Molière et La Fontaine, sont classés aux Monuments historiques à l’occasion du classement du cimetière par arrêté du 14 novembre 1983.






Au début du XIXème siècle, Paris manque de lieux de sépulture. L’application tardive de la loi de 1765 qui interdit les cimetières en ville a conduit à la fermeture du cimetière des Innocents le 1er décembre 1780, et du cimetière Saint Joseph en 1796. Le 21 février 1801, le premier préfet de la Seine Nicolas Frochot (1761-1828) valide par arrêté la création de trois nouveaux grands cimetières, au nord le cimetière de Montmartre, au sud de Montparnasse, à l’est du Père Lachaise. La Ville de Paris se porte acquéreuse de l’ancienne propriété de François d'Aix de La Chaise (1624-1709), père jésuite, confesseur du roi Louis XIV durant trente-quatre années. Les dix-sept hectares de Mont-Louis sont consacrés à la création du cimetière de l'Est. L’architecte néo-classique Alexandre-Théodore Brongniart (1739-1813) dessine les plans. Il s’inspire des jardins à l’anglaise, avec bosquets et avenues, trace des contre-allées sinueuses et imagine des monuments funéraires ouvragés à la manière des fabriques. 

Pourtant le nouveau cimetière du Père Lachaise officiellement inauguré le 21 mai 1804 ne connaît pas le succès attendu. En 1815, dix ans après son ouverture, il ne compte que six-cent-trente-cinq inhumations. Le transfert en 1817 des sépultures de célébrités le tombeau d’Héloïse et Abélard ainsi que ceux de Molière (1622-1673) et de La Fontaine (1621-1695), devrait assurer son prestige et augmenter sa désirabilité. L’opération est un succès. Pourtant, il est avéré que ces sépultures toutes symboliques n’accueillent pas réellement les dépouilles des gloires défuntes.

Molière décède le 17 février 1673 à son domicile de la rue de Richelieu. Jean-Baptiste Poquelin excommunié du fait de sa profession de saltimbanque n’aurait pas le droit à une sépulture religieuse. L’intervention de Louis XIV auprès des autorités religieuses autorise un enterrement dans le cimetière Saint-Joseph relevant de la paroisse Saint Eustache à condition qu’il soit inhumé de nuit et sans aucune pompe. Les funérailles ont lieu le 21 février 1673. La sépulture officielle se trouve alors au pied de la croix centrale du cimetière. Pourtant selon certains registres paroissiaux, à la suite de cette inhumation particulière, la tombe aurait été déplacée à l’initiative du clergé de Saint Eustache. La dépouille de Molière aurait été ensevelie dans la partie non consacrée du cimetière, le carré des suicidés et des enfants mort-nés. Un doute subsiste concernant cette double sépulture.








Au cours de l’année 1792, les autorités révolutionnaires de la Convention décident de rendre hommage aux grands hommes de la Nation. Le 6 juillet, le père Fleury, vicaire de Saint Eustache est chargé d’exhumer au cimetière Saint Joseph la dépouille de Molière. Pour la retrouver, il se base sur la théorie de la double sépulture et prélève les restes présumés dans une tombe du carré non consacré. Le cercueil est exposé dans la chapelle Saint Joseph afin que tous puissent se recueillir devant. Le 21 novembre, Fleury fait ouvrir la sépulture voisine que de fausses informations attribuent à Jean de La Fontaine afin que ce dernier rejoigne Molière. Pourtant, les registres confirment que le fabuliste a été inhumé en 1695 au cimetière des Innocents. Il n’a jamais reposé à Saint Joseph. 

Alors que l’identité des ossements n’est pas assurée, les sarcophages sont longtemps exposés dans la chapelle Saint Joseph. A la suite de sa démolition, ils rejoignent le deuxième étage du corps de garde qui la remplace. Quelques privilégiés s’octroient des passe-droits. Les cercueils ouverts, certains prélèvent des souvenirs macabres, des reliques littéraires. Les restes sont d’ailleurs probablement intervertis lors d’une manœuvre malheureuse. Le 7 mai 1799, les deux dépouilles rejoignent un lieu plus digne, le Musée des monuments française d’Alexandre Lenoir.

Le 6 mars 1817, les sépultures officielles de Molière et La Fontaine sont transférées au cimetière du Père Lachaise. Les cercueils présentés lors d’une messe à l’église de Saint Germain des Prés sont placés dans des sarcophages de la 25ème division. Ces prestigieux résidents reposent cependant plus certainement dans les catacombes où les ossements prélevés dans les cimetières des Innocents et de Saint Joseph à leur fermeture ont été déplacés. 

Tombes de Molière et La Fontaine

Père Lachaise
Entrée principale : 8 boulevard de Ménilmontant - Paris 20
Horaires d’ouverture :
- De novembre à mi-mars : du lundi au vendredi de 8h à 17h30 - le samedi de 8h30 à 17h30 - le dimanche et les jours fériés de 9h à 17h30 
- De mi-mars à octobre : du lundi au vendredi de 8h à 18h - le samedi de 8h30 à 18h - le dimanche et les jours fériés de 9h à 18h 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 20è arrondissement - Anne-Marie Dubois - Parigramme

Sites référents



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.