Paris : Tombe d'Héloïse et Abélard, mausolée des amants légendaires, habile opération de communication - Cimetière du Père Lachaise - XXème



La Tombe d’Héloïse et Abélard, au cimetière du Père Lachaise est la dernière demeure plus symbolique que véridique d’un couple légendaire, symbole de passion amoureuse et de constance depuis le Moyen-Âge. Elle célèbre une histoire qui a traversé les siècles grâce à la publication de "Lettres des deux amants", émouvante correspondance échangée entre les époux contrariés jusqu'à la fin de leur vie. Ce mausolée est inauguré solennellement le 6 novembre 1817, au cœur de ce qui est alors la toute nouvelle nécropole parisienne. Organisé par la Ville de Paris, ce transfert pour le moins singulier intervient treize ans après l’ouverture du Père Lachaise alors cimetière du Mont Louis. Il s’agit pour la municipalité de produire un effet d’annonce afin de rendre plus attractif la nouvelle nécropole inaugurée en 1804 mais peu fréquentée. Les Parisiens boudent le cimetière, rebutés par sa situation hors de la Capitale, dans un quartier pauvre. Le déplacement est orchestré dans le but d’établir la réputation du site en multipliant les hôtes de prestige. Héloïse et Abélard sont d’ailleurs rejoints au cours de cette opération de communication par les dépouilles présumées de Molière et La Fontaine. Le succès public est immédiat. Le tombeau d’Héloïse et Abélard acquiert rapidement le statut de sépulture la plus célèbre de France. En pleine apogée du courant romantique, sous les auspices de ces deux amants mythiques, la chapelle néogothique devient lieu de rendez-vous et de tendres serments échangés.  









L’histoire d’Héloïse et Abélard débute au XIIème siècle sur l’île de la Cité, cœur de Paris, épicentre de la vie intellectuelle. Pierre Abélard (1079-1142), dialecticien, philosophe, théologien chrétien, exerce ses talents de professeur de l’école monastique. Objet de gloire et de scandale, cet intellectuel rebelle originaire de la région de Nantes, a rejoint Paris en 1110 afin de suivre l’enseignement de Guillaume de Champeaux. Fondateur de la scolastique, il inaugure le premier collège à Sainte Geneviève qui préfigure l’université. La renommée d’Abélard s’étend à travers toute l’Europe d’autant qu’il jour un rôle de précepteur auprès de la progéniture des plus grandes familles de l’aristocratie.

Héloïse (1092-1164) est la fille illégitime d’un seigneur libertin avant l’heure. Elle grandit auprès des bénédictines d’Argenteuil. A l’adolescence, sa mère Hersende, confie son éducation à son propre frère, le chanoine Fulbert qui habite le presbytère de la chapelle Saint-Christophe. L’intelligence vive de la jeune fille intrigue. Bientôt sa réputation de femme savante se répand. Fulbert engage Abélard afin de parfaire son éducation. Ce dernier fomente le projet de séduire son élève. Dès 1113, la liaison est consommée et les deux amants entretiennent une abondante correspondance, reflet d’une relation passionnée, transgressive et charnelle, modèle de l’amour libre. Mais les deux amants sont bientôt découverts. Abélard est chassé par Fulbert. Le couple trouve des stratagèmes pour se retrouver.









Lorsqu’Héloïse tombe enceinte, ils s’enfuient au Pallet chez Denyse, la sœur d’Abélard. Astrolabe nait sous des auspices contrariés. Abélard de retour à Paris tente d’obtenir le pardon de Fulbert. Il obtient une paix partielle par la promesse d’un mariage, à condition selon ses termes qu’il demeure secret et qu’ainsi il puisse poursuivre son travail de clerc. Mais au lendemain de la cérémonie, afin de laver son honneur, Fulbert rend publique toute l’affaire. Survient un malentendu. Le chanoine se croyant à nouveau trahi par Abélard, décide de se venger et charge deux sbires, d’émasculer l’éminent professeur. A la suite de cet attentat, le courroux des Parisiens est grand. Le chanoine Fulbert est démis de ses fonctions, ses biens confisqués tandis que les sbires sont condamnés à subir le même sort que leur victime.

Corps rendu imparfait par la mutilation, Abélard doit, selon les préceptes de l’époque, renoncer à l’enseignement. Il se retire à l’abbaye de Saint Denis et exige d’Héloïse qu’elle prenne le voile au couvent d’Argenteuil. Devenu moine en 1119, Abélard se consacre dès-lors à la théologie. Son esprit brillant et contradictoire va connaître de nombreux revers auprès des plus hautes autorités de l’Eglise. En 1131, sur les bords de l’Ardusson près de Quincey, il fonde l’oratoire du Paraclet, relevant du diocèse de Troyes. Il s’agit de la première communauté religieuse aux règles établies spécifiquement pour les femmes.



Eugène Atget - Musée Carnavalet

























Abélard s’éteint en avril 1142 à Saint-Marcel-lès-Chalon, au prieuré bénédictin de Cluny, en Saône-et-Loire. En décembre, Héloïse obtient que sa dépouille soit transférée à l’abbaye du Paraclet où il est mis en terre dans la chapelle du Petit Moustier qu’il avait construit de ses mains. A son décès, qui survient en 1164, Héloïse demande à être ensevelie auprès de son époux dans le même cercueil. Cette étreinte éternelle va inspirer quelques vers de la Ballade des dames du temps jadis de François Villon en 1460. Le tombeau des deux amants est transféré en 1497 dans la grande église du monastère. Mais une abbesse un peu prude s’avise avant de déplacer es restes des deux amants, de trier soigneusement les ossements. Deux sépultures séparées leur sont désormais consacrées au sein de l’église.

Durant la Révolution, les biens de l’Eglise sont nationalisés. La dernière demeure d’Héloïse et Abélard débute un voyage en 1792 vers la chapelle Saint-Léger de l'église de Nogent-sur-Seine dans l'Aube. Leurs dépouilles vont faire halte peu de temps avant de repartir vers d’autres cieux. A cette époque, Alexandre Lenoir (1761-1837) médiéviste et conservateur de renom imagine le monument funéraire dédié à Héloïse et Abélard. Il fonde le Musée des Monuments Français dans les murs de l’ancien couvent des Petits-Augustins, là où s’établira bientôt l’Ecole des Beaux-Arts. Fasciné par l’histoire des deux amants, leurs échanges épistolaires et leur relation interdite, Lenoir forme le projet d’un tombeau incarnant leur mythologie. En 1800, il dresse les plans d’un édicule néo-gothique, évocation du XIIème siècle, dont le décor original est constitué de fragments médiévaux réarrangés provenant de la chapelle du Paraclet et de l’abbaye de Saint Denis. L’authenticité de certains éléments a été néanmoins remise en question. 



 




Démontée, la chapelle sépulcrale est transférée au cimetière du Père Lachaise le 16 juin 1817 avant d’être inaugurée officiellement le 6 novembre 1817. Les romantiques adoptent rapidement cette célébration d’un amour tragique. En 1853, Alphonse de Lamartine écrit : « Là, on voit encore les statues couchées côte à côte d'Héloïse et Abélard, parsemées tous les jours de couronnes et de fleurs funèbres, éternellement renouvelées sans qu'on voie la main qui les dépose ».

Classé aux monuments historiques par arrêté du 14 novembre 1983, le mausolée est menacé par l’érosion et les infiltrations. Les structures instables et la présence disgracieuse d’armatures métalliques de soutien accélèrent la corrosion de mortiers inadaptés. Un audit mené par des architectes a conclu à la nécessité d’un démantèlement complet afin de restaurer en profondeur le monument funéraire. 

Tombeau d’Héloïse et Abélard
Division 7 du cimetière du Père Lachaise

Entrée principale : 8 boulevard de Ménilmontant - Paris 20
Horaires d’ouverture :
- De novembre à mi-mars : du lundi au vendredi de 8h à 17h30 - le samedi de 8h30 à 17h30 - le dimanche et les jours fériés de 9h à 17h30 
- De mi-mars à octobre : du lundi au vendredi de 8h à 18h - le samedi de 8h30 à 18h - le dimanche et les jours fériés de 9h à 18h 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 20è arrondissement - Anne-Marie Dubois - Parigramme

Sites référents



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.