Paris : Passage Delanos, enclave verdoyante à deux pas de la gare du Nord, souvenir des vacheries parisiennes - Xème



Le passage Delanos, ancien raccourci entre les gares du Nord et de l'Est, aujourd'hui voie privée accessible uniquement après avoir passé un digicode, résonne du souvenir des vacheries à Paris. Disparus au début du XXème siècle, ces établissements, véritables étables installées au cœur de la ville, fournissaient du lait cru et frais aux citadins. Côté rue du Faubourg Saint-Denis, la vaste porte cochère ouvrant sur le passage Delanos est surmontée d'une tête de vache qui indiquait autrefois la nature particulière de l'ensemble. Rénové avec goût, joliment entretenu et abondamment fleuri, ce chemin de traverse est une pépite parisienne qui se veut discrète. Un peu de chance et un sourire vous permettront certainement d'y entrer.








Succession de trois courettes en enfilade sur une centaine de mètres, le passage Delanos trottine joyeusement sur les pavés. Les deux premières datent des années 1830 tandis que la dernière est plus tardive. Construite sous le Second Empire, elle a été alignée perpendiculairement aux deux autres. L'architecture du rez-de-chaussée des premières cours, divisée en cellules, évoque encore les étables où se trouvaient les vaches. Chaque cour comprend quatre escaliers, quatre accès aux bâtiments. Ce décor singulier a inspiré le cinéma. En 1969, Henri Verneuil y a tourné l'une des scènes du film Le Clan des Siciliens avec Jean Gabin, Alain Delon et Lino Ventura.

Une initiative privée est à l'origine de la création de ce passage pittoresque. Les Delanos, une famille de propriétaires terriens normands, ont lancé les travaux vers 1830 dans l'idée d'accueillir une entreprise de distribution de lait afin de compléter leur activité sur Paris. La trace de la vacherie Delanos se retrouve dans les dossiers administratifs de l'époque où elle est signalée comme l'un des dépôts de la Compagnie générale de la laiterie parisienne.

Au XIXème siècle, la consommation de lait, jusqu'alors réservée aux enfants, se développe à Paris avec la mode du café au lait qui prend de l'ampleur même parmi les populations les plus modestes. Au XVIIème et au XVIIIème siècle, laitiers et crémiers s'approvisionnent dans les villages environnant de Paris mais l'urbanisation galopante mène à la disparition des éleveurs de proximité. Le lait étant un produit difficile à conserver, il n'est pas possible de le transporter sur de longues distances. Les premières vacheries intra-muros voient le jour dès le début du XIXème siècle distribuant la traite du matin aux alentours. 











Vers 1857, les Parisiens achètent 575 000 litres de lait par an et il existe alors 150 vacheries dans Paris. Leur succès donne des idées aux entrepreneurs. En 1879, elles sont 300 et les citadins consomment 21 millions de litres par an. En 1886, le nombre grimpe à 464 vacheries dans Paris et 612 en banlieue, pour atteindre un sommet en 1892 avec 502 établissements à Paris.

Les plus petites exploitations disposent d'une dizaine de vaches et les plus grandes, une soixantaine de bêtes. La plus importante vacherie parisienne qui se trouve dans le Jardin d'Acclimatation aura jusqu'à quatre-vingt animaux. Les vaches laitières réformées sont ensuite emmenées aux abattoirs. Leur viande maigre entre alors dans la composition de produits carnés peu chers.

Les techniques de conservation du lait évoluent. Nicolas Appert développe en 1831 une méthode de stérilisation par la chaleur dans des contenants hermétiques et stériles qui deviendra le procédé utilisé dans les conserves. En 1864, Louis Pasteur invente la pasteurisation qui limite la prolifération bactérienne.










L'activité des vacheries décline à partir de 1895. Elles ont alors mauvaise réputation. Le métier de garçon-vacher est mal payé, peu valorisé. Les employés des vacheries améliorent leurs revenus en complétant les bidons de lait à l'eau de la fontaine publique et la clientèle s'en plaint. 

Ces étables urbaines sont insalubres. La nuisance des animaux en ville mécontente les riverains. Les maladies endémiques du cheptel parisien - tuberculose, fièvre aphteuse, mammite - le manque d'hygiène lors de la traite et du stockage obligent les consommateurs à faire bouillir le lait avant consommation. Le Conseil d'hygiène publique et de la salubrité du département de la Seine renforce la législation en la rendant plus contraignante.

Les "laiteries en grand" forme industrialisée des vacheries prennent le pas sur les établissements plus anciens, plus vétustes, tout en répondant aux nouvelles normes. Ces groupes progressent rapidement et on en compte 41 à Paris en 1907.








A ces éléments précurseurs de la disparition s'ajoutent le développement de modes de transport plus rapides, notamment le train et les véhicules à moteur, qui permettent d'envisager des livraisons depuis les zones péri-urbaines.

Avec des affaires en perte de vitesse, les grands bâtiments des vacheries attirent la convoitise des promoteurs immobiliers. Ils voient dans ces ensembles en pleine ville l'occasion d'une spéculation foncière très profitable et rachètent massivement les édifices pour les transformer. En 1900, le nombre de vacherie chute à 375, puis 278 en 1905, 141 en 1910 et 30 en 1918. Il n'en reste que trois en 1945. 

Jusqu'en 1950, le lait est vendu en vrac dans des bidons en aluminium mais la nouvelle réglementation impose la pasteurisation du lait et la vente dans des bouteilles hermétiquement fermées dans les villes de plus de 20 000 habitants. C'est la fin définitive des vacheries à Paris.

Passage Delanos - Paris 10
Accès 148 rue du Faubourg Saint-Denis - 25 rue d'Alsace



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 10è arrondissement - Ariane Duclert - Editions Parigramme
Le lait, la vache et le citadin : Du XVIIe au XXe siècle - Pierre-Olivier Fanica - Editions Quae
Mémoires lactées : le lait et la machine - Pierre Boisard

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